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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°24, 20 juin 2011  >  «L’eau est un bien commun, un droit de l’homme» [Imprimer]

Le succès du référendum berlinois «Unser Wasser» et les élections municipales

par Sophie Lessing

Le 12 mars 2011, le Journal officiel de la Ville de Berlin a publié la «Loi sur la divulgation de l’intégralité des contrats secrets de privatisation partielle du réseau de distribution d’eau», qui est ainsi entrée en vigueur. Le 13 février, 666 235 citoyens berlinois avaient approuvé le projet de loi «Unser Wasser». Cette dernière règlemente l’étendue et le mode de divulgation des accords conclus en 1999 et impose des délais.
Maintenant, le Sénat et la Chambre des députés ont six mois pour appliquer la loi. Dans le cadre des élections à la Chambre des députés, Parlement de la ville-Etat de Berlin, un certain risque existe que l’objet du référendum ne soit rabâché au cours de la cam­pagne électorale.

Evénement historique

Le référendum est apparu comme un événement historique. Pour la première fois à Berlin, le quorum légal d’une participation minimum de 25% du corps électoral a pu être dépassé. Selon Gerlinde Schermer, politicienne sociale-démocrate de l’arrondissement de Kreuzberg-Friedrichshain, «les Berlinois ont écrit l’histoire». En tant que députée à la Chambre des députés (Parlement de la ville-Etat de Berlin), elle s’était, entre 1991 et 1999, opposée sans grand succès à la privatisation de la distribution de l’eau. Mais pendant ce temps, un nombre toujours plus nombreux de citoyens s’étaient mobilisés. Sous la devise «L’eau est un bien commun, un droit de l’homme», un réseau local de représentants de divers groupements, de comités de défense et de citoyens s’était constitué autour du «Berliner Wassertisch». Les deux Eglises chrétiennes ont joué ici un rôle particulier en soutenant activement le référendum et ont défendu de manière exemplaire des services publics axés sur l’intérêt général.

Privatisation de la distribution de l’eau

De quoi était-il question dans le référendum? Non seulement la distribution de l’électricité (Bewag, à l’époque) et du gaz (Gasag) avaient été privatisées dans les années 1990, mais, en 1999, Berlin, sous la ministre des Finances et adjointe au maire Annette Fugmann-Heesing (SPD), avait vendu pour 1,68 milliard d’euros 49% de la distribution d’eau aux investisseurs privés RWE, Vivendi et Allianz. Entre-temps, les parts de Vivendi avaient été reprises par Veolia, groupe énergétique français. Le deuxième groupe énergétique allemand, RWE, détient 24,95% des parts.
Les contrats complexes avaient été élaborés essentiellement par Fugmann-Heesing. Peu à peu, l’opinion a appris que certains éléments des contrats avaient été tenus secrets, notamment des clauses confidentielles garantissant un profit fixe aux partenaires privés au détriment de la Ville de Berlin, donc de ses citoyens. Selon une évaluation du «Berliner Wassertisch», la répartition des bénéfices au cours des 10 dernières années avait été la suivante: 1,3 milliard d’euros pour les groupes RWE et Veolia et 696 millions seulement pour l’actionnaire majoritaire, la Ville de Berlin.
La conséquence la plus frappante de la privatisation partielle a été une hausse considérable – à d’environ un tiers – des prix de l’eau au cours de ces dix années. On s’est moins rendu compte de la détérioration inquiétante de l’entretien du réseau, ce qui s’est surtout traduit par une mise en danger de l’approvisionnement futur en eau et une réduction du nombre des employés.

Divulgation de tous les contrats secrets

C’est ici qu’intervient le résultat de l’action des promoteurs du référendum. Après la consultation du 13 février 2011 et sa publication au Journal officiel, quatre semaines plus tard, la «Loi sur la divulgation de l’intégralité des contrats secrets de privatisation partielle du réseau de distribution d’eau» est entrée en vigueur. Une revendication de plus en plus nette consiste en outre dans la remunicipalisation de la distribution d’eau, c’est-à-dire le rachat par Berlin des 49% de parts privatisées.
Une demande raisonnable est instru­mentalisée dans la campagne électorale
Berlin est gouverné par une coalition «rouge-rouge» c’est-à-dire par les sociaux-démocrates et Die Linke. Le ministre de l’Economie Harald Wolf (Die Linke) est responsable de l’application du référendum, de la décision d’appliquer un prix de l’eau correct, et avec le ministre des Finances, d’un rachat éventuel des parts du privé, mais il est aussi président du Conseil de surveillance du Service des eaux de Berlin et donc dans le même bateau que Veolia et RWE. Cette double fonction engendre une partialité juridique qui doit être dénoncée. L’abaissement du prix de l’eau serait d’une part contre les intérêts des actionnaires et diminuerait d’autre part le prix du rachat des parts de RWE et de Veolia par la Ville de Berlin.
Dans une étude comparative, l’Office fédéral des cartels a constaté récemment que les prix de l’eau à Berlin sont trop élevés, ils sont 25% plus élevés que dans d’autres villes. Le maire en fonction, Klaus Wowereit (SPD), s’est empressé d’expliquer aux Berlinois que le prix de l’eau va quasi «automatiquement» baisser l’année prochaine, que la planification du Service des eaux berlinois le prouve déjà. Son ministre des Finances est plus prudent et parle de 6 à 8% seulement, et cela uniquement si l’ensemble des actionnaires y consentent. Comme il est président du conseil d’administration des services de l’eau, ses adversaires lui reprochent – à juste titre – un conflit d’intérêts.
Entre temps RWE a fait une offre de vente de ses 24,95% de parts pour 800 millions d’euros, pratiquement leur prix d’achat il y a dix ans. D’après les estimations du «Ber­liner Wassertisch», RWE a à lui seul réalisé un profit de 650 millions d’euros.
Dans cette situation explosive, la Chambre de l’industrie et du commerce de Berlin a publié une étude commandée par elle et dont la conclusion est la suivante: Le rachat de la distribution de l’eau par la Ville de Berlin va peu alléger la facture des consommateurs et les dettes de la Ville augmenteront fortement. Le débat sur la remunicipalisation, qui vient de commencer et qui a été ravivé par le référendum du 13 février, devrait cesser. Or le mouvement citoyen déplore le fait que «toutes les négociations avec RWE et Veolia aient lieu à huis clos malgré le référendum».
Le parti Alliance 90/les Verts a profité de la situation pour déposer une motion assez délicate à la Chambre des députés: Le rachat des parts ne devrait pas se dérouler à l’insu de la population et du Parlement et les pourparlers de vente déjà entamés, les offres de rachat des parts de RWE et toutes les démarches ultérieures concernant la remunicipalisation devraient être rendus publics.
La Chambre des députés a rejeté cette demande avec les voix du SPD, de Die Linke, de la CDU et du FDP. Dans le débat parlementaire, les députés de ces quatre partis ont montré clairement qu’ils sont en principe favorables à des négociations se­crètes et qu’ils ne sont pas disposés à divulguer de futurs contrats, décisions et conventions annexes – secrets jusqu’ici – ni à les contester juridiquement.

Le «Berliner Wassertisch» continue son travail

Le «Berliner Wassertisch» travaille à la clarification des parties non rendues publiques des contrats de 1999. Dans des réunions publiques, on étudie l’article 23 du contrat de consortium qui contient la garantie de profits des groupes RWE et Veolia et fixe l’obligation pour la Ville de Berlin de leur verser une compensation si le rendement garanti n’est pas atteint.

Ce que Berlin peut apprendre de Paris

Berlin va-t-il prendre le chemin frayé par Paris? En 1986, là aussi, comme plus tard à Berlin, Vivendi (aujourd’hui Veolia) a créé avec la Ville de Paris une société dont le troisième partenaire était le fournisseur d’eau Suez. Anne le Strat, l’adjointe au maire et présidente du Service des eaux a déclaré, lors d’une invitation de la Fondation Heinrich-Böll en avril 2011, que comme à Berlin les Parisiens avaient constaté qu’après la privatisation partielle de la distribution d’eau, il y avait eu un manque de transparence et de démocratie. Depuis le 1er janvier 2010, le Service des eaux parisien appartient de nouveau à la Ville. Pour la première fois depuis 25 ans, Paris a baissé les prix de 8%. Les 25 années précédentes, les prix avaient augmenté de 260%. En comparaison de Berlin, les prix parisiens sont généralement bas. Actuellement, les Parisiens payent 96 centimes le mètre cube d’eau. A Berlin, en re­vanche, le mètre cube coûte 2,16 euros.
Un long chemin reste à parcourir pour qu’on arrive à une honnêteté à l’égard de l’intérêt général.    •
(Traduction Horizons et débats)

Vous trouverez une documentation concernant le référendum du 13 février 2011 sur le site http://ber­liner-wassertisch.net/index.php  (22 mai 2011)