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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°38, 4 octobre 2010  >  Evolution de l’école: davantage d’argent pour moins d’enseignement [Imprimer]

Evolution de l’école: davantage d’argent pour moins d’enseignement

«Satire II»

rl. Comme l’école est un marché indéfiniment financé par l’argent des impôts, il suscite toutes sortes de convoitises. Reste à élucider plus précisément qui travaille en coulisses pour qui.
Nous sommes un soir dans une «commune scolaire» de taille moyenne quelque part en Suisse alémanique. Quatre semaines avant l’assemblée communale, le nouveau président de la commission de gestion demande un entretien avec un directeur d’école dynamique.

«Tu refuses d’approuver les comptes annuels?»
«Oui. Vous avez dépassé considérablement le budget. En outre, vous n’avez pas mentionné certains postes.»
«Nous n’avons pas pu respecter les limites du budget. Toutes les écoles du canton connaissent cette explosion des coûts.»
«Mais je ne vois pas pourquoi notre commune devrait payer deux ‹journées découverte› pour tout le corps enseignant, y compris le personnel administratif.»
Tu veux dire nos journées de formation au travail en équipe? Toutes les écoles font ça aujourd’hui. C’est même recommandé par le Canton.»
«Un voyage de formation d’une journée entière pour 54 personnes organisé par Event S.A. et terminé pas un repas! Et six mois plus tard, vous participez à une autre journée de formation au grimpé à la corde raide avec des thérapeutes de groupe. Il est évident que cela coûte de l’argent. Nos enseignants sont-ils mauvais au point d’avoir besoin de ça?»
«Ecoute. Nous faisons du team development; cela fait partie du développement scolaire. Ça se pratique depuis des années dans toutes les écoles. On se moquerait de nous si nous nous montrions pingres. »
«Mais qu’est-ce que c’est que ces 60 heures de supervision qui figurent dans les comptes? Le team development [développement de l’esprit d’équipe] n’a-t-il rien apporté? Vous êtes-vous tellement bagarrés qu’il a fallu autant d’heures de supervision? A 200 francs
l’heure, ça fait …»
«Tu ne veux pas me comprendre. Ce sont des dépenses approuvées par le Canton. Les écoles modernes en ont besoin. Je recom­mande chaudement la supervision à chacun. Les superviseurs sont recommandés par le Canton.»
«Mais le Canton ne les paie pas!»
«Euh … non …»
«C’est nous qui casquons. Et en plus, il y a trois fois une journée entière consacrée à la formation continue interne des enseignants organisée par une animatrice externe, Mme Geppeli, de la société Weber Coaching scolaire S.A. à 1500 francs la journée. Nos enseignants ont-ils si mal été formés?»
«C’était inscrit au budget … et ça fait partie des écoles modernes. Ça aussi, c’est du développement scolaire. Toutes les écoles le pratiquent. C’est recommandé par le Canton.»
«Les élèves n’avaient-ils pas classe pendant votre formation?»
«Non, mais la formation continue interne des enseignants est bonne pour notre cul­ture scolaire.»
«Et qui s’occupe des élèves? L’année dernière, nous avons financé à raison de 15 000 francs une cantine pour permettre la journée continue et vous, vous renvoyez les élèves à la maison?»
«Ce n’est pas comme ça qu’il faut voir les choses. Le Canton exige de nous le développement scolaire et la journée continue. C’était budgétisé.»
«Le poste ‹dépenses extraordinaires› de 5000 francs n’est pas spécifié. Point 2.6157: Intervention. Qu’est-ce que c’est?»
«Nous avons eu des bagarres d’élèves ici, tu sais bien, et nous avons dû faire venir une aide professionnelle extérieure. Nous avons mis en place le module de prévention Go soft. Il est recommandé par le Canton.»
«J’ai entendu dire que la direction de l’école n’avait pas fait intervenir la po­lice mais qu’un enseignant avait passé un tel savon à quatre garçons «il avait parlé à leurs pères et à leur entraîneur de football que le calme était revenu. C’était six mois avant Go soft.»
«Ecoute, ce module de prévention fait avancer considérablement notre culture scolaire. L’incident en question a été le facteur déclenchant …»
«Module de prévention de la violence, 2 journées de team development, 3 journées de développement scolaire, 60 heures de supervision et tu dis que c’est recommandé par le Canton? Je n’ai pas souvenir d’avoir voté là-dessus.»
«Si, la nouvelle loi scolaire. Il s’agit d’un tout nouveau concept, l’école considérée comme une organisation apprenante. Tu ne peux pas raisonner en francs et en centimes. Nous explorons de nouvelles voies. L’école évolue avec toutes ses ressources.»
Le directeur avait les yeux qui brillaient. Mais alors qu’il voulait poursuivre son plaidoyer, le président de la commission de gestion l’interrompit.»
«A propos de ressources, le poste «conseillers scolaires» relève-t-il également de la société Weber Coaching scolaire S.A? Est-ce la même chose que l’‹évaluation externe›, et ou figure ce poste?»
«L’évaluation externe ne coûte rien à la commune. Celle-ci ne paie que l’évaluation complémentaire, Point 2.1611: 2500 francs. Le Canton évalue notre école tous les trois ans et nous nous y préparons avec l’aide de conseillers en évaluation externes. Nous en avons également besoin pour le développement organisationnel. La rémunération de ces conseillers fait l’objet d’un poste séparé, le point 2.6101: 25 000 francs. Mais comprends-moi bien, c’est ce que fixe le Canton, c’est la pratique courante.»
Et … autre chose. En ce qui concerne le personnel, je constate que maintenant, nous avons en plus deux éducatrices spécialisées et une assistante sociale, alors que les effectifs élèves diminuent. Avons-nous payé trop d’argent au canton?»
«Je t’explique: Nous avons fait l’économie d’un poste d’enseignant, celui de
la classe à effectif réduit destinée aux élèves en difficulté. Maintenant nous pratiquons l’intégration, et nous avons besoin d’éducateurs spécialisés pour accompagner ces élèves. Et le travail social était néces­saire … mais il entre dans le budget des Affaires sociales.»
«Et les élèves s’en tirent mieux maintenant?»
«Mais oui; maintenant, ils sont intégrés.»
«Qu’est-ce que tu me racontes là? Ils sont simplement dispensés d’atteindre les objectifs d’enseignement. Dans leur bulletin, il est écrit qu’ils ont participé à la classe mais qu’ils n’ont pas atteint les objectifs. Comment voulez-vous qu’ils trouvent un emploi avec un tel bulletin? Mais revenons à nos comptes. Je t’ai dressé une liste des postes contestés: il s’agit des deux vo­yages de formation au travail en équipe, dont nous avons parlé, des 60 heures de supervision, des 3 journées de développement organisées par une animatrice externe, du module de prévention de la violence, d’un nouveau bureau pour les deux éducatrices spécialisées et d’un ordinateur portable pour l’assistante sociale. A cela s’ajoutent l’achat de 3 nouveaux PC pour l’administration, l’engagement d’une secrétaire pour 14 heures par semaine nécessité par les nouvelles tâches bureaucratiques, les constructions destinées aux nouveaux environnements d’apprentissage: 150 000 francs, mais nous en avons déjà parlé lors de notre dernière assemblée. Et puis, je voulais te demander: Pourquoi les dépenses de matériel pédagogique ont-elles tant augmenté?»
«Là, je t’arrête. Nous avions décidé l’engagement de la secrétaire et l’achat des trois ordinateurs à notre dernière assemblée, cela figure au procès-verbal. Et, à propos du matériel pédagogique, eh bien, nous pratiquons maintenant l’individualisation. Ça veut dire que chaque élève apprend à son rythme, selon son type d’apprentissage. Il faut donc naturellement de nouveaux manuels et de nouveaux didacticiels. Et, évidemment, nous n’achetons que ce que la maison Nertelsmann nous offre de meilleur. Tu ne peux donc rien contester.»
«J’ai compris que tu voulais me dire ceci: A la suite de l’évolution de l’école voulue par le Canton, nous avons davantage de dépenses et cela malgré la baisse des effectifs et les élèves ‹dispensés d’atteindre les objectifs›. Maintenant, je te pose la question: Comment se fait-il que nous recevions toujours davantage de plaintes des entreprises formant des apprentis qui déplorent que beaucoup de nos élèves ne sachent ni écrire correctement ni appliquer une règle de trois?»
«Qui prétend ça? Nos élèves savent travailler individuellement en fonction de leurs besoins. Et nous les coachons individuellement. Nous sommes en train, avec d’autres cantons, de transformer le secondaire. Et pour les petits, nous allons, avec notre cycle élémentaire light, permettre une entrée à l’école sans problèmes.»
«Excuse-moi, cela ne me regarde pas, mais une jeune institutrice aux cheveux rouges coupés courts vient de me dire qu’à force de formation continue et d’évaluations, elle n’avait plus le temps de préparer sérieusement son enseignement et que si quelqu’un proteste, tu le menaces dare-dare de l’évaluer. Elle m’a prié de te le dire.»
«Ça alors, elle ne manque pas d’air. C’est n’importe quoi! Elle doit être dépassée
par les événements. Elle fait certainement un burn out. Je vais l’envoyer en supervision.»
«Je me demande si nous ne devrions pas réfléchir en profondeur à tout cela. On dé­pense l’argent péniblement gagné par les contribuables pour des choses inutiles alors que les enseignants n’ont plus le temps de préparer leurs cours. Je me demande qui est à l’origine de ce qu’on impose à nos enfants. La commune règle des factures pour des propositions d’un quelconque Bureau de développement scolaire téléguidé rattaché au Département de l’instruction publique qui reprend des idées de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique, de l’OCDE ou de Nertelsmann, en dehors de tout contrôle démocratique.»
«Excuse-moi, je voudrais ajouter, à propos des coûts. Nous avons communiqué sur notre nouveau concept scolaire ‹apprendre-vivre-s’amuser›, nous avons imprimé une bro­chure en couleurs sur papier glacé … tiens, regarde … mais les 10 000 francs budgé­tisés ne suffisent naturellement pas. J’ai pensé que nous pourrions inscrire ces dépenses au point 2.3341, sous ‹frais de communication supplémentaires›.»    •