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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°33, 4 novembre 2013  >  «Pour nous, c’est une obligation d’aller sur le terrain auprès des personnes qui souffrent» [Imprimer]

«Pour nous, c’est une obligation d’aller sur le terrain auprès des personnes qui souffrent»

Interview de Mirko Manzoni, directeur du Bureau de coopération suisse au Mali*

Horizons et débats: Le Mali se trouve dans une situation très fragile. Comment est-ce possible d’y trouver des partenaires fiables? M. Dahinden vient d’expliquer qu’il faut évaluer la situation sécuritaire avec les personnes qui vivent sur place. Comment peut-on établir la confiance nécessaire pour pouvoir se fier aux analyses de ces personnes?

Mirko Manzoni: Un des grands avantages que nous avons en tant que Bureau de coopération suisse, c’est que nous travaillons directement sur le terrain, notamment en comparaison avec les autres agences de développement. L’avantage de la coopération suisse est qu’elle est toujours présente. Concrètement, cela veut dire que nous de Bamako, même moi avec ma cravate, je me déplace à Sikasso, ou aussi à Timbuktu. Je vais à la rencontre des gens, ce sont des rapports de confiance.

Pourquoi travaillez-vous de cette façon?

C’est beaucoup plus important que de rester à Bamako et de rencontrer des ministres. Ce n’est qu’ainsi qu’on établit de réels rapports de confiance avec les notables compétents et avec les partenaires. Donc je dirais que, malgré la fragilité du contexte, il est très important d’être proche des partenaires. Cela rend notre engagement possible et crée la confiance. Un autre avantage est que tous les membres de notre bureau travaillent sur place. Si nous perdions cela, ce serait très dommage parce que nous sommes aussi reconnus par les autres agences pour cette manière de collaborer.

Comment travaillent les autres organisations?

Il y a de grandes agences qui ne font pas eux-mêmes le travail. Mais si l’on fait que donner de l’argent, on va (normalement) dans la capitale. J’ai des collègues qui ne sont encore jamais sortis de Bamako. Ils ne quittent jamais cette ville pendant les 3–4 ans qu’ils y travaillent. Pour nous cependant, c’est une obligation d’aller sur le terrain auprès des personnes qui souffrent.

J’aimerais revenir sur l’aspect mentionné par Monsieur Dahinden. Comment la Suisse est-elle perçue? Est-elle aussi considérée comme pays neutre et digne de confiance au Mali?

Il faut souligner que la question de la neutralité est une question de relations. Il faut une communication ouverte pour pouvoir montrer aux autres qu’on est neutre. Ce n’est pas toujours facile.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans ce domaine?

Je vous donne un exemple: si vous êtes au Mali, où la situation est difficile, et vous dites que vous travaillez au Nord sans expliquer pourquoi, comment et avec qui aux gens du Sud, vous courez le risque de ne pas être considéré comme étant neutre. La situation des Suisses était très délicate à certains moments. Mais, surtout grâce à une bonne communication et à nos relations, nous avons réussi à être considérés comme étant neutres. La neutralité ne se gagne pas simplement parce qu’on est neutre, mais parce qu’on la transmet, on la vit. Un malentendu est vite arrivé, surtout dans les contextes fragiles.

Cela paraît être un grand défi. Comment faites-vous pour réussir?

Une chose est très particulière: si nous disons que nous voulons travailler dans une zone de conflit, nous courons le risque qu’on se méfie de nous ou qu’on nous critique parce que les habitants de cette zone pensent que nous faisons partie du camp adverse. Si vous consultez la stratégie de la Suisse au Mali, vous réaliserez que nous voulons, en tant que Suisses, travailler là où les problèmes sont les plus importants. Or plus nous travaillons là où il y a des problèmes, plus le risque est grand d’être critiqué. La communication directe avec les gens sur place est fondamentale. Sinon, on peut rencontrer de sérieuses difficultés et de gros problèmes. A Bamako, nous avons développé une stratégie de communication spécifique qui doit permettre d’éviter les malentendus. Chaque activité est conçue de manière à ne pas pouvoir être mal interprétée – ni par l’une, ni par l’autre partie. La communication directe en est le fondement, sinon vous pourrez être amenés à quitter très rapidement le pays.

Monsieur Manzoni, nous vous remiercions de cet entretien.    •

(Interview réalisée par Thomas Kaiser)

*    Mirko Manzoni dirige depuis 2012 le bureau de coopération suisse au Mali (49 collaborateurs, un budget annuel de 20 millions de francs suisses – l'un des plus gros programmes pays de la DDC).

Les obligations de la Suisse neutre dans le monde

mw. Les interviews de l’ambassadeur ­Martin Dahinden et de Mirko Manzani montre le travail essentiel fournit par la Direction du développement et de la coopération (DDC) dans de nombreux pays du monde, où elle contribue à la survie et à une existence digne d’un grand nombre de personnes.
Les deux collaborateurs de la DDC confirment que la Suisse, suite à son statut de neutralité, a de nombreuses possibi­lités de contribuer à l’aide humanitaire par des moyens civiles et par la voie diplomatique. En lisant le rapport du Mali, nous nous souvenons que le conseiller fédéral Didier Burkhalter, chef du DFAE (Département fédéral des Affaires étrangères) avait, au printemps 2013, prévu une intervention de l’armée suisse sous commandement de l’UE au Mali, un pays en guerre. Heureusement, cette intervention ne s’est pas concrétisée, en raison de l’opposition de parlementaires et de citoyens opposés à ce projet qui aurait violé notre neutralité. Dans ce monde exposé à la guerre et aux souffrances, la Suisse a d’autres tâches à résoudre que de participer à des interventions militaires.
Conformément à l’art. 54 al. 2 de la Constitution fédérale, la politique extérieure de la Suisse doit se limiter à la politique de paix et de neutralité:
«La Confédération s’attache à préserver l’indépendance et la prospérité de la Suisse; elle contribue notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles.»
La Suisse répond à cette obligation constitutionnelle par les diverses contributions de la DDC et du CICR, mais également avec le siège du CICR, le gardien des Conventions de Genève, et en tant qu’hôte pour de nombreuses organisations onusiennes et autres organisations internationales qui se consacrent au travail pour la paix. Même les bons offices que la Suisse met à disposition sur son sol et l’aide des diplomates suisses depuis des siècles, ne sont possibles que suite à la neutralité de la Confédération suisse.
L’art. 54 al. 2 de la Constitution fédérale ne peut en aucun cas être utilisé pour justifier l’envoi de troupes suisses dans des zones de guerre. C’est pourquoi, le 24 septembre 2009, le Conseil national a clairement rejeté la participation de l’armée suisse à l’opération de l’UE Atalanta (par 102 voix de presque toutes le fractions, contre 81). C’est également la raison pour laquelle l’intervention militaire, planifiée par le chef du DFAE Didier Burkhalter, n’a pas eu lieu.