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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°40, 6 octobre 2008  >  «Règle d’or de notre conduite: remplacer l’égoïsme de la culture dominante par la solidarité humaine» [Imprimer]

«Règle d’or de notre conduite: remplacer l’égoïsme de la culture dominante par la solidarité humaine»

Discours de son Excellence Miguel d’Escoto Brockmann, président de la 63e Assemblée générale des Nations Unies, tenu le 23 septembre 2008 à New York, lors de l’ouverture de la séance plénière

Excellences, Mesdames et Messieurs
les Chefs d’Etats et de Gouvernements,
les Vice-présidents,
les ministres des Affaires étrangères et
les autres représentants des 192 Etats
membres de notre organisation,
Monsieur le Secrétaire général, chers amis,

C’est un grand honneur de pouvoir m’adresser à vous lors de l’ouverture de la séance plénière de la 63e session de l’Assemblée générale. A l’heure actuelle, la situation internationale est loin d’être satisfaisante. En fait, le monde doit surmonter des difficultés plus grandes que celles connues lors de la fondation de notre organisation, il y a 63 ans.
Aujourd’hui, nous sommes témoins de la conjonction de crises étendues liées les unes aux autres. Mais des crises ne doivent pas nécessairement aboutir à des tragédies. Nous passons par une période durant laquelle il est aisé d’améliorer notre manière d’agir, d’opérer de concert et en harmonie avec notre mère la Terre et avec la nature.
Si nous entendons profiter de l’occasion que nous offrent ces crises maintenant, il nous faut prendre des mesures concrètes qui vont plus loin que les lamentations, la tenue de discours intelligents et les bonnes intentions et qui se fondent sur la ferme décision de remplacer, règle d’or de notre comportement, l’individualisme et l’égoïsme de la culture dominante par la solidarité humaine.
Notre organisation a réalisé de nombreuses choses louables qui n’auraient pas vu le jour sans le concours des Nations Unies.
Toutefois, si nous considérons ses progrès dans la réalisation de ses objectifs premiers, qui ont justifié sa fondation, il nous faut avouer que nous avons échoué dans la suppression des guerres, le désarmement et la sécurité internationale.
Lorsque, jadis, nous avons adopté la Charte des Nations Unies, nous entendions tous nous en tenir à certaines règles fondamentales qui, si elles avaient été respectées par tous les Etats membres, auraient permis au monde de mieux relever les défis du XXIe siècle.
Le monde – notre monde – est malade, et sa maladie est celle que Tolstoï a décrite il y a plus de 100 ans comme la «folie de l’égoïsme».
D’aucuns prétendent que cette évolution est irréversible – qu’il est trop tard pour s’y opposer. Je pense que cette attitude est empreinte d’un défaitisme dangereux, qui nous paralyse et nous fait tomber encore plus bas avant de nous noyer dans la fange de l’égoïsme maladif, suicidaire, où nous nous trouvons.
Plus de la moitié de la population mondiale souffre de faim et de pauvreté, tandis que toujours davantage d’argent est consacré aux armes, aux guerres, au luxe et à des choses totalement superflues. Nous devons résister à la tentation d’enfoncer notre tête dans le sable pour essayer d’ignorer la réalité. Ayons le courage de reconnaître les injustices considérables qui règnent dans le monde et dans la plupart de nos Etats, même dans les pays en développement. Ces injustices sont des bombes à retardement; en les ignorant, on ne les fait pas disparaître.
Outre les problèmes de la faim, de la pauvreté et du renchérissement des denrées alimentaires, de nombreux autres problèmes apparaissent, dont l’origine humaine ne fait aucun doute. En font partie les changements climatiques, la privatisation de l’eau et son gaspillage faisant croire qu’il existe une source inépuisable, la course aux armements, le terrorisme, la traite d’êtres humains, la situation de la Palestine, les déficiences de l’aide humanitaire, les inégalités entre les sexes et la situation particulièrement précaire des enfants frappés par les conflits armés et les catastrophes humanitaires.
Tels sont les problèmes les plus urgents à résoudre, auxquels notre monde doit faire face aujourd’hui. Ils sont tous causés par des hommes et peuvent être attribués en grande partie à un manque de démocratie aux Nations Unies. Un petit groupe d’Etats prend des décisions intéressées, et les pauvres de par le monde en subissent les conséquences.
Les décisions qui se répercutent le plus fortement sur tous les Etats membres ne sont pas prises à l’Assemblée générale. Les décisions de l’Assemblée générale, c’est-à-dire des représentants de «nous, les peuples», au nom desquels notre organisation a été fondée, sont considérées comme de simples recommandations et éventuellement ignorées, bien qu’elles soient les souhaits de 95% des membres de notre organisation.
S’ajoutant aux coûts élevés des denrées alimentaires et aux catastrophes humanitaires dues à des phénomènes naturels répétitifs, la crise financière actuelle aura des conséquences graves. Elle empêchera tout progrès important – à supposer qu’elle laisse subsister un seul progrès permettant de réaliser les objectifs du millénaire du développement, eux-mêmes insuffisants. Ce sont toujours les pauvres qui paient le prix de la rapacité et de l’irresponsabilité des puissants.
Mes chers frères et sœurs,
Le monde a atteint un point à partir duquel il n’y a plus d’autre alternative que de s’aimer ou de périr, de commencer à nous traiter comme on traite ses frères et sœurs ou d’être témoins du début de la fin de l’espèce humaine. Si nous choisissons la voie de la solidarité et nous reconnaissons comme frères et sœurs, nous découvrirons de nouveaux horizons de vie et d’espoir.
C’est ce que les peuples du monde entier, en particulier les démunis de cette terre, espèrent entendre de cette vénérable assemblée de quelque 100 chefs d’Etats et de gouvernements. Ils aimeraient entendre un engagement universel de défendre les Nations Unies, à condition que cela implique de respecter et de défendre les principes sur lesquels repose notre organisation. Parmi ces principes figure tout d’abord celui de l’égalité de tous les Etats membres dans leur souveraineté; au deuxième rang se trouve leur engagement à remplir toutes les obligations qui découlent de la Charte. Son omission constituerait non seulement une sérieuse violation d’obligations internationales, mais aussi une attaque contre les Nations Unies et leur capacité de travailler efficacement pour la paix.
Les Nations Unies ont institué officiellement 2009 comme Année internationale de la réconciliation. Nous devons commencer aujourd’hui à adopter cette attitude. Nous devrions sortir de ce débat général dans un esprit de réconciliation. Nous devons pardonner ceux qui nous ont infligé de grandes douleurs et souffrances, mais qui ont promis maintenant de ne plus nous attaquer.
Pardonner n’est jamais un signe de faiblesse. Au contraire, une grande vigueur spirituelle est nécessaire pour oublier et refuser de laisser le souvenir du passé empêcher d’atteindre les niveaux d’unité et de solidarité dont nous avons besoin pour bâtir un monde nouveau, possible, nous en sommes convaincus.
Dans un moment, j’aurai le grand honneur et le privilège d’inviter chacun de vous, représentants d’un Etat membre, à exposer à tour de rôle comment nous devrions relever les défis de notre époque et comment nous pouvons réaliser l’unité dont nous avons besoin pour le faire efficacement.
Le premier délégué que je prie avec fierté et plaisir de prendre la parole est un ami de longue date, le président Lula du Brésil, le plus grand pays de ma patrie au sens large, l’Amérique latine et les îles caraïbes.
Immédiatement après lui, j’aurai le grand honneur d’appeler notre cher frère le président Bush et de lui serrer la main. Ce qu’il nous dira sera d’une grande importance pour le monde. Après quoi je demanderai à notre très cher frère le président de la République française Sarkozy, actuellement président du Conseil de l’Union européenne, de prendre la parole. Suivront les présidents des Philippines, du Gabon, de Bahrain, de ma patrie, le Nicaragua, du Libéria, de la Turquie, de l’Argentine, de Madagascar, de la Serbie et de la République unie de Tanzanie, président actuel de l’Union africaine. Je suis convaincu que l’esprit de notre cher frère et ami Julius Nyerere nous accompagnera et nous aidera à atteindre les nobles objectifs de ce débat général.
Cette déclaration liminaire vient du cœur. Elle est une accolade fraternelle de chacun, sans exception, in caritate non ficta, par amour véritable, pour reprendre une phrase de Saint Paul, qui a toujours été mon apôtre favori. Merci.     •
(Traduction Horizons et débats)

*    Miguel d’Escoto Brockmann est né en 1933 à Los Angeles, en Californie, et a passé son enfance au Nicaragua. En 1947, il est retourné aux Etats-Unis pour y étudier. Entré au séminaire catholique de Mary Knoll (New York) en 1953, il y a été ordonné prêtre en 1961. En 1962, il a obtenu un master à l’école de journalisme de l’Université de Columbia (ville de New York). Ordonné prêtre de la congrégation des missionnaires de Mary Knoll au début des années soixante, le père d’Escoto a beaucoup voyagé et visité la plupart des capitales. Il s’est rendu dans des régions reculées et difficiles d’accès et a consacré une grande partie de sa vie à soutenir les pauvres. En 1963, il a fondé au Chili l’Institut national de recherche et d’action pour la population (INAP), qui a pour but d’aider par des actions communautaires les populations défavorisées des bidonvilles de la périphérie de Santiago et d’autres villes à défendre leurs droits dans le monde du travail. En 1970, le père d’Escoto a pris la direction du département de communication sociale de Mary­ Knoll au siège de la congrégation à New York, où il a fondé la maison d’édition Orbis Books. En juin dernier, la candidature du père d’Escoto à la présidence de la soixante-troisième session de l’Assemblée générale des Nations Unies a reçu au sein de l’ONU l’appui unanime des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes. Son élection à ce poste a eu lieu le 4 juin.