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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 4, 17 février 2014  >  La forte résistance à la mentalité guerrière allemande reflète l’opinion publique [Imprimer]

La forte résistance à la mentalité guerrière allemande reflète l’opinion publique

par Karl Müller

L’Allemagne a-t-elle des tendances bellicistes? Il ne s’agit pas d’enjoliver la réponse. Ils existent bel et bien, ces esprits bellicistes allemands. Des Allemands tels que Gauck, Steinmeier, von der Leyen, Rühe, Özdemir – les Joffe, Frankenberger, Nonnenmacher et Kornelius. Il est vrai q’ue ce n’est qu’une petite minorité, mais ô combien bruyante: des hommes politiques allemands, des militaires et des journalistes, des néo-conservateurs allemands, en première ligne les «atlantistes» connus et leurs alliés. On les retrouve dans presque tous les partis. Ils tentent d’influencer l’opinion en Allemagne, cela depuis de longues années et de plus en plus ouvertement.
Ils appliquent la tactique dite du «salami», tranche après tranche, afin de briser la résistance. Ils utilisent confusion de langage et mensonge pour atteindre leur objectif principal: 100 ans après le déclenchement de la Première et 70 ans après celui de la Seconde Guerre mondiale, il faut que le peuple allemand perde sa crainte de la guerre, comme l’avait prévu, il y 15 ans, en mai 1999, l’ancien colonel divisionnaire suisse Hans Bach­ofner, lors d’une conférence donnée à Zurich à propos de la guerre meurtrière du Kosovo.
Ils parlent d’«intérêts allemands» et veulent que la «la prolongation de la politique par des moyens différents» soit établie pour instaurer une nouvelle grande puissance allemande. Ils estiment que c’est «normal» et qualifient cela par le fait «d’assumer ses responsabilités» et «de refuser de se tenir à l’écart». Ils veulent continuer de se comporter en vassaux obéissants des Etats-Unis, se soumettant aux ordres de Washington et des centres de la haute finance. Les graves crimes de guerre de leurs «alliés» ne les dissuadent pas. Ils veulent maintenir le régime de l’UE d’une main de fer sous contrôle allemand, bien qu’en pleine dislocation. Ils partent à la recherche de nouveaux «marchés» à l’Est, même au prix d’une nouvelle guerre froide (ou chaude).
Mais ils ont affaire à l’opposition de la majorité de la population et à des personnalités importantes, n’émanant pas seulement des cercles pacifistes et du parti de la gauche. Ces voix sont précieuses et démontrent que personne ne doit se taire et rester passif.
Willy Wimmer, ancien secrétaire d’Etat au ministère allemand de la Défense s’exprime de la manière suivante (cf. aussi l’encadré):

«L’Allemagne doit servir les intérêts de la paix dans le monde. C’est ce qui est inscrit dans la Loi fondamentale. Nous vivions très bien avec cela, avant qu’un certain gouvernement allemand se mette à violer la Charte des Nations Unies, lors de la guerre d’agression contre la République fédérale de Yougoslavie et plus tard lors de la guerre d’agression menée contre l’Irak avec un soutien logistique allemand massif. Jusqu’en 1998, il ne fut pas question de renoncer aux valeurs communautaires occidentales, ni de la part du peuple ni des gouvernements allemands. Cela a changé du fait que maintenant Guantánamo se trouve partout. Quiconque ose, depuis les attaques aériennes contre Belgrade, se prononcer en faveur du droit international, est pour le moins regardé de travers. Et pourtant, il est inscrit dans notre Constitution que les règles du droit international font partie de notre culture politique et donc de notre Etat. […] Depuis plusieurs semaines, on n’oublie pas le moindre kraal en Afrique lorsqu’il est question des soldats allemands. Mais qui se préoccupe de veiller à ce que les populations autochtones puissent bénéficier des ressources enfouies dans leurs terres? Le résultat en est que nous nous trouvons face à des êtres humains désespérés qui viennent se heurter aux murs de l’Europe. C’est d’une ignominie parfaite […].»

Et puis, il y a également Peter Gauweiler, président par intérim de la CSU bavaroise. Il s’est exprimé le 4 février, dans une interview avec le journal «Passauer Presse»:

La Loi fondamentale impose sans équivoque une culture de retenue en matière militaire. Celui qui veut se distancier de cette culture, doit modifier la Constitution. […] La CSU a contribué à cette culture de retenue et n’acceptera pas de modifications en la matière. Nous ne devons pas relancer l’Allemagne dans des aventures militaires. Nous n’accepterons pas de nouvelle ‹coalition des bonnes volontés›, comme celle créée au début de la désastreuse guerre contre l’Irak. […] Personne, parmi tous ceux qui réclament un engagement militaire accru à l’étranger, ne nous a expliqué comment la Bundeswehr pourrait soutenir cela en termes de personnel, de logistique et avec quelles nouvelles armes. On éveille des attentes que l’Allemagne ne peut et ne veut pas satisfaire. Y compris du point de vue historique: car nous savons que toute escalade militaire mène sur la fausse voie et que la guerre n’est jamais un moyen politique.»

Mais il y a aussi des journalistes, à l’instar de Jakob Augstein qui a écrit dans Spiegel online du 3 février:

«Il n’est pas nécessaire de consulter des livres d’histoire pour savoir que le général Sherman avait raison de prétendre que ‹la guerre, c’est l’enfer›. Il avait détruit par le feu la ville d’Atlanta lors de la guerre de Sécession. Il savait donc de quoi il parlait. Et nous le savons aussi, en nous souvenant du passé. […] Il y a peu, le ministre des Affaires étrangères Steinmeier a estimé que l’Allemagne ‹est trop grande pour se contenter de commenter la politique mondiale›. Quant à la ministre de la Défense von der Leyen, elle estime que ‹nous ne pouvons détourner notre regard, lorsque les tueries et les viols sont monnaie courante›. Le président de la République Gauck en a rajouté lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, en affirmant que l’Allemagne devait ‹s’engager plus tôt, plus énergiquement et plus substantiellement›. Ces politiciens n’utilisent jamais le mot ‹guerre›, alors même qu’il s’agit bien de cela lorsque Steinmeier parle de ‹politique étrangère active› et que Gauck incite les Allemands ‹à s’ouvrir au monde›. Avant les élections, ils ne se sont pas exprimés de la sorte, sachant que les électeurs n’en veulent pas. Ils n’ont pas annoncé leur changement de cap, préparé sans doutes de longue date. C’est une effronterie. Et c’est doublement stupide. Ces réflexions correspondent à une idée surannée de sécurité et de responsabilité. […] La grande majorité des Allemands est opposée aux engagements militaires de leur armée. Ils ont mieux compris que leur président – à la pensée rétrograde – et que leur ministre des Affaires étrangères – activiste agité – que les conflits culturels du présent ne peuvent être résolus par les armes.»

Et citons enfin Jürgen Todenhöfer, ancien politicien et actuellement journaliste et écrivain, qui a publié le 2 février une lettre ouverte qu’il est nécessaire de lire dans son intégralité.

«Monsieur le Président,
Vous exigez que l’Allemagne prenne plus de responsabilités envers le monde. Y compris militairement. Savez-vous vraiment de quoi vous parlez? J’en doute, d’où mes quatre propositions:
1.    Une visite en Syrie, à Alep ou à Homs. Histoire de vous rendre compte de ce que cela signifie, la guerre.
2.    Quatre semaines de patrouille avec nos soldats dans les zones de combat afghanes. Vous pouvez aussi y envoyer vos enfants, voire vos petits-enfants.
3.    Une visite dans un hôpital au Pakistan, en Somalie ou au Yémen – auprès de victimes innocentes des attaques par les drones américains.
4.    Une visite au cimetière militaire d’El Alamein en Egypte. Depuis 70 ans, ils s’y trouvent 4800 soldats allemands enterrés. Certains d’entre eux avaient tout juste 17 ans. Aucun président de la République fédérale ne leur a jamais rendu visite.
Selon notre Loi fondamentale vous avez pour mandat de ‹servir la paix›. Selon l’article 26, les guerres d’agression sont illégales et doivent être réprimées pénalement. La guerre n’est acceptable que pour la défense. Ne venez surtout pas prétendre que nous devons défendre notre sécurité en Afrique. Une telle chose s’est déjà produite: 100 000 Afghans ont payé cette ineptie de leur vie.
Comment se fait-il que ce soit précisément vous, en tant que président d’un pays qui a connu tant de tragédies guerrières, qui exigiez des engagements militaires de l’Allemagne? Il est vrai que nous devons assumer davantage de responsabilités envers le monde. Mais certainement pas pour faire la guerre, ce ne peut être qu’en faveur de la paix! En tant qu’honnêtes intermédiaires. Voilà notre devoir – et aussi le vôtre.
Meilleures salutations
Jürgen Todenhöfer
PS: Pour ma part, je préfère un président qui accepte une invitation d’amis à la Fête d’Octobre qu’un président qui veut à nouveau envoyer les soldats allemands au casse-pipe, alors que lui-même est confortablement installé dans son bureau. Je pourrais presque regretter Wulff qui, lui, voulait intégrer les gens, pas les tuer.»

De telles prises de position reflètent une toute autre tradition allemande d’après-guerre, illustrée également par la citation suivante, extraite du discours d’introduction d’un autre président de la République fédérale, Gustav Heinemann:
«Pour moi, notre première obligation est de servir la paix. Ce n’est pas dans la guerre que les hommes doivent faire leurs preuves, comme cela était enseigné à ma génération au temps de l’Empire. C’est en faveur de la paix que nous devons faire nos preuves.»    •

La position de Joachim Gauck ne correspond pas à la Loi fondamentale

par Willy Wimmer

Déjà le 3 octobre 2013, notre Président de la République fédérale s’est positionné en faveur d’une politique belliciste. A la fin du mois de janvier 2014, lors de la conférence de Munich, il a réaffirmé cette attitude. Il faut tenir compte du fait que par sa fonction de président de la République fédérale, il a été confronté à un forum peu enclin à une retenue distinguée face aux guerres de ces dernières décennies. Toujours est-il que dans le passé, il faisait partie d’une profession où l’on oublie facilement certaines choses. Il s’agit souvent de personnalités respectables qui, par la suite, nous expliquent par un déluge de paroles pourquoi, une fois de plus, quelque chose, va de travers. «Nous autres Allemands, nous sommes en route vers une forme de responsabilité à laquelle nous ne sommes pas encore habitués», dixit Monsieur le Président à Munich. Alors là, attention! Il ne peut s’agir que d’une situation opposée à la Loi fondamentale et pour cause! L’Allemagne doit servir les intérêts de la paix dans le monde. C’est ce qui est inscrit dans la Loi fondamentale. Nous vivions très bien ainsi, avant qu’un certain gouvernement allemand ne se mette à violer la Charte des Nations Unies, lors de la guerre d’agression contre la République fédérale de Yougoslavie et plus tard lors de la guerre d’agression ordinaire menée contre l’Irak avec un soutien logistique allemand massif. Jusqu’en 1998, il ne fut pas question de renoncer aux valeurs communautaires occidentales, ni de la part du peuple ni des gouvernements allemands. Cela a changé du fait que maintenant Guantánamo se trouve partout. Quiconque ose, depuis les attaques aériennes contre Belgrade, se prononcer en faveur du droit international, est pour le moins regardé de travers. Et pourtant, il est inscrit dans notre Constitution que les règles du droit international font partie de notre culture politique et donc de notre Etat. Où sont les initiatives de ceux qui se retrouvent à Munich pour redonner au droit international l’importance nécessaire? S’il y a une chose qui détruit la morale, c’est bien le fait d’accepter le droit du plus fort.
Monsieur le Président ne devrait pas oublier que beaucoup de gens en Allemagne se souviennent encore d’un chancelier Helmut Kohl, d’un ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher et de son successeur Klaus Kinkel. En comparaison avec ce qui se pratique aujourd’hui, ils débordaient d’activités diplomatiques pour obtenir la réunification de notre pays et pour se faire des amis en même temps. Eux, ne faisaient pas partie de ceux qui ont détruit l’espérance d’une fin de la guerre froide, en optant pour un développement de la militarisation et pour l’effondrement  des négociations diplomatiques. Nous n’avons qu’à nous poser la question de savoir ce que nous avons gaspillé année après année – par exemple en Afghanistan – par notre mépris des possibilités diplomatiques et du droit international. Une des conséquences est que nous avons soustrait aux problèmes réels de ce monde le soutien et l’aide dont ils auraient eu besoin.
Qu’est-ce que le nouveau gouvernement propose de faire pour retransformer l’existence lamentable de la politique de Sécurité et des Affaires étrangères allemandes en une politique digne des chanceliers allemands Helmut Schmidt ou Helmut Kohl ou de Hans-Dietrich Genscher dans sa flexibilité et dans sa fidélité aux principes? Depuis plusieurs semaines, on n’oublie pas le moindre kraal* en Afrique lorsqu’il est question des soldats allemands. Mais qui se préoccupe de veiller à ce que les populations autochtones puissent bénéficier des trésors enfouis dans leurs terres? Le résultat en est que nous nous trouvons face à des êtres humains désespérés qui viennent se heurter aux murs de l’Europe. C’est d’une ignominie parfaite et Munich aurait été une occasion d’inverser la vapeur pour suivre la voie qui a permis à notre pays de servir la paix dans le monde dans les époques les plus difficiles.
Monsieur le Président nous appelle à agir dans le cadre de nos alliances sans mentionner que celles-ci trouvent leur légitimation dans la Charte des Nations Unies. Où est l’approche allemande, est-elle là où elle doit être?
(Traduction Horizons et débats)

*Un kraal était au départ un hameau de forme circulaire en Afrique australe, généralement entouré d’un rempart d’épines en forme de ­palissade. [ndt.]

La situation juridique selon la Loi fondamentale allemande

km. Dans le préambule de la Loi fondamentale allemande, il est dit que le peuple allemand est «animé de la volonté de servir la paix du monde».
L’article 25 déclare:
«Les règles générales du droit interna­tional public font partie du droit fédéral. Elles sont supérieures aux lois et créent directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral.»
L’article 26 déclare:
«Les actes susceptibles de troubler la coexistence pacifique des peuples et accomplis dans cette intention, notamment en vue de préparer une guerre d’agression, sont inconstitutionnels. Ils doivent être réprimés pénalement.»
L’article 87a déclare:
«La Fédération établit des forces armées pour la défense. […] En dehors de la défense, les forces armées ne doivent être engagées que dans la mesure où la présente Loi fondamentale l’autorise expressément.»
Dans ses articles 115a et suivants, la Loi fondamentale ne connaît que des dispositions pour la défense.
Dans la Loi fondamentale, il n’est nulle part question d’engagements de la Bundeswehr à l’étranger pour «ne pas
rester à part», pour «assumer davantage de responsabilité dans le monde» ou même pour «défendre les intérêts allemands».