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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°18, 20 mai 2013  >  L’«hiver arabe» ou la fin de l’hégémonie occidentale au Moyen Orient [Imprimer]

L’«hiver arabe» ou la fin de l’hégémonie occidentale au Moyen Orient

Par la chute d’Assad, les Etats-Unis veulent affaiblir l’Iran au niveau géopolitique

par Albert A. Stahel, Institut für Strategische Studien, Wädenswil

Au cours de la décennie passée, les Etats-Unis sont intervenus trois fois dans des Etats arabes, sur le domaine politique ou militaire, directement ou indirectement. Chaque fois, par leur intervention, en Irak 2003, en Libye et en Egypte en 2011, les Etats-Unis ont mis fin au règne des despotes au pouvoir. Dans le cas de l’Irak, ils ont fait exécuter l’ancien homme au pouvoir, Saddam Hussein, par ses adversaires de politique intérieure. Quant à Kadhafi de Libye, ils l’ont fait émasculer et ensuite fusiller par un mercenaire à leur solde, après un bombardement massif exécuté par leur propre aviation et celle de leurs alliés de l’OTAN. Finalement, l’ancien «pharaon» égyptien, Hosni Moubarak, attend toujours, dans un procès mystérieux, sa condamnation qui pourrait déboucher sur son exécution.
Quels ont été les résultats finaux et donc les preuves d’efficacité de ces trois interventions américaines? Il ne s’agit pas d’excuser, après coup, les violations des droits de l’homme dont les trois despotes se sont rendus coupables, pourtant un coup d’œil sur la situation actuelle dans ces trois Etats se justifie pleinement. Après le retrait des Etats-Unis en 2011, l’Irak se trouve, à cause des manipulations électorales du gouvernement chiite sous al-Maliki et des intrigues du régime saoudien, au bord d’une guerre civile. Or, al-Maliki profite du soutien de Téhéran, et les tribus sunnites et les salafistes sont financés et fanatisés par l’Arabie saoudite. Al-Qaïda en Irak vit un nouvel essor grâce aux Saoudiens, ce qui se manifeste dans des attentats dirigés contre les chiites et leurs institutions religieuses.
Quant à la Libye, même après l’élimination violente de Kadhafi, il y règne le chaos. On n’a pas réussi à y installer un gouvernement et une administration stables. Mais sans cela, la Libye n’a pas d’avenir. Là-aussi, c’est l’anarchie qui règne, au profit des salafistes et de leurs filières d’Al-Qaïda.
En Egypte, la chute de Moubarak a permis la prise de pouvoir des Frères musulmans et de leur président Morsi. Depuis lors, l’économie nationale égyptienne s’effrite. Le pays est déchiré par des disputes internes. Là aussi, les salafistes s’acharnent contre les minorités religieuses, par exemple contre les coptes chrétiens. La seule institution intacte serait l’armée, mais jusqu’à présent, les intentions des généraux sont restées obscures. Il se peut qu’ils se soient arrangés avec les Frères musulmans.
Le prochain candidat à la chute d’un despote est manifestement la Syrie. Après la chute de Saddam Hussein et le retrait des Etats-Unis d’Irak, al-Maliki reçoit ses directives des ayatollahs iraniens. Grâce à leur soutien du Hezbollah libanais allié et de l’alaouite al-Assad de Syrie, l’influence géopolitique de Téhéran s’étend sur la presque totalité du Croissant chiite du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la partie occidentale de l’Afghanistan, avec l’ancienne capitale d’Hérat, appartient également à la sphère d’influence iranienne. Par la chute d’Assad, les Etats-Unis entendent affaiblir l’Iran sur l’échiquier géopolitique. Ils veulent que le croissant chiite se divise en deux parties. Dans ces machinations, les Etats-Unis sont soutenus par leurs alliés saoudiens qui veulent, par cette alliance, triompher de leur ennemi chiite traditionnel, l’Iran. C’est dans ce but qu’ils soutiennent, financièrement et militairement, leurs exécutants sunnites en Syrie.
Le deuxième allié des Etats-Unis dans la région, la Turquie d’Erdogan, veut également se débarrasser d’Assad et établir à Damas un régime sunnite. Erdogan, s’inspirant de l’idée folle de la reconstruction de l’Empire ottoman, permet les livraisons d’armes aux insurgés syriens. Avec empressement, certains membres de l’OTAN, notamment la Grande-Bretagne et la France, applaudissent le déclin de la Syrie, toutefois sans réfléchir aux conséquences de la chute d’Assad. La saignée du régime syrien devrait aboutir à la division de la Syrie en diverses parties – en un Etat sunnite et un refuge alaouite. Là, s’ouvrirait une boîte de Pandore, qui n’a jusqu’à maintenant éveillé que peu d’attention. Il ne faudrait pas seulement s’attendre à ce que les salafistes, soutenus par Riad, prennent le pouvoir à Damas, mais à ce qu’ils s’unissent très rapidement avec leurs camarades irakiens et qu’ils tentent de fonder un Grand Empire sunnite. Le résultat serait le démembrement de la Syrie et de l’Irak. Comme en Irak, la minorité chrétienne en Syrie – 10% de la population de 22,5 millions d’habitants – serait expulsée et éradiquée. La guerre civile syrienne aboutirait, tout comme en Libye, à l’anarchie supranationale et à la déstabilisation de tout le Moyen-Orient. Chaque Etat arabe, et probablement aussi la Turquie, pourraient être aspirés dans les remous de ce déclin.
La victoire des salafistes en Syrie serait probablement synonyme du règne d’Al-Qaïda à Damas, qui n’hésiterait pas, dans son zèle religieux, à prouver à l’Europe sa puissance à l’aide d’attentats. Au lieu du «Printemps», le monde arabe serait alors confronté à l’hiver. L’ancienne hégémonie des Etats-Unis et de leurs alliés au Moyen-Orient ne serait alors plus qu’une note de bas de page de l’histoire.    •
(Traduction Horizons et débats)