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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°7, 23 fevrier 2009  >  «Quand il s’agit de tuer, vous savez très bien comment le faire» [Imprimer]

«Quand il s’agit de tuer, vous savez très bien comment le faire»

Prise de position de Recep Tayyip Erdogan lors du dernier sommet du WEF à Davos

hd. Dans le cadre du World Economic Forum WEF à Davos, une discussion en podium a eu lieu dans l’après-midi du 29 janvier 2009, qui avait pour objet la situation à Gaza après l’agression sanglante contre la population civile encerclée et assiégée. Le journaliste américain David Ignatius, membre de la rédaction et chroniqueur du «Washington Post» était l’animateur de cette discussion. Outre le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan et le président israélien Shimon Peres, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon et le Secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, ont également participé à la discussion. Après la déclaration de Ban Ki-Moon a suivi la prise de position d’Erdogan et ensuite celle du Secrétaire général de la Ligue arabe: Ignatius a déjà essayé d’interrompre celui-ci pour donner la parole à Shimon Peres qui a pris environ deux fois plus longtemps la parole que ses orateurs précédents.
Nous publions ci-dessous les déclarations d’Erdogan car elles documentent un procédé qui est nouveau dans l’histoire de telles manifestations. Si beaucoup d’orateurs mettent le pied sur de telles scènes dans l’intention de présenter des choses insignifiantes d’une manière politiquement correcte pour les médias et le public, ce n’était apparemment pas le cas du Premier ministre turc. Dans sa réplique interrompue à l’adresse de Shimon Peres, Erdogan a tendu un miroir aux participants et a critiqué clairement devant les caméras, c’est-à-dire devant le public mondial – dans la mesure où on le lui a permis – leur applaudissement irréfléchi du discours d’autodéfense en faveur d’une guerre génocidaire. Le lecteur pourra se former lui-même un jugement à l’aide des déclarations réelles d’Erdogan ainsi que sur les descriptions colportées par nos médias.

Avant que je réponde à la question de savoir ce qu’il faut faire, je pense qu’il est aussi important tout d’abord d’analyser la situation actuelle, car nous devons faire une analyse soigneuse de celle-ci pour déterminer les démarches à suivre.
Je ne commencerai pas avec l’analyse de la situation en revenant quarante ans en arrière, je retourne seulement au mois de juin 2008. Si nous revenons à ce moment, en juin 2008, il y avait alors un cessez-le-feu qui a été approuvé. Il n’y avait pas de problèmes avec le cessez-le-feu, qui devait durer six mois. Mais lorsqu’il a été levé six mois après, il n’y avait pas d’attaques au moyen de roquettes à ce moment-là. Alors, le côté israélien aurait dû lever l’embargo, la situation en Palestine aurait dû changer. Les territoires palestiniens sont cependant une «prison en plein air» car ils sont complètement coupés du reste du monde, tout à fait isolés, verrouillés. S’ils essaient d’apporter une caisse de tomates provenant de quelque part dans les territoires palestiniens, ils doivent obtenir une permission du côté israélien, sinon ce n’est pas possible.
Je considère cela d’un point de vue humanitaire, mais je voudrais aussi dire quelques mots en tant que Premier ministre. Il y a quelque temps, j’ai visité Israël et je voulais aller en Palestine. En tant que Premier ministre, j’ai attendu une demi-heure avec ma femme dans la voiture avant de pouvoir voyager de Ramallah jusque dans les territoires palestiniens. Jamais un diplomate venant d’Israël n’a dû attendre aussi longtemps à nos frontières. Je pense que nous devons regarder ces aspects de la situation sur place.
J’ai demandé aussi à Monsieur Olmert s’il y avait eu des morts quelconque en raison de ces attaques de roquettes. Il m’a dit qu’il n’y avait pas eu de morts mais que les attaques étaient des faits. Ces roquettes sont donc utilisées, mais elles ne blessent personne. On m’a dit que cela est dû aux roquettes mêmes car elles sont d’une assez mauvaise qualité. Cependant, depuis le cessez-le-feu du mois de juin dernier, 24 Palestiniens ont été tués. Le courant électrique a été coupé, il n’y avait pas d’aliments, dans les hôpitaux, il n’y avait pas d’électricité. Il y avait donc toute une série de problèmes difficiles.
Quand la Turquie avait commencé à envoyer de l’aide humanitaire en Palestine, il existait déjà à cette époque un problème humanitaire. Laissez-moi dire ceci: J’ai toujours été un dirigeant qui a déclaré expressément que l’antisémitisme est un crime contre l’humanité – l’islamophobie est également un crime contre l’humanité.
Pour moi, il importe peu qu’une personne soit chrétienne, juive ou musulmane; si celle-ci se sent sous pression, le point commun pour moi c’est que nous sommes tous des êtres humains. C’est pourquoi j’ai une attitude humanitaire et mes efforts se fondent là-dessus. Nous avons par exemple essayé par le biais du Croissant Rouge turc d’envoyer de l’aide humanitaire. Nous l’avons essayé, mais cela a duré assez longtemps, parfois deux semaines avant qu’un camion puisse passer la frontière. Je ne sais pas si le président Peres a conscience de ce fait. Cela nous a coûté assez de temps et nos diplomates ont dû travailler durement pour être sûrs que l’aide parvienne dans les territoires palestiniens.
Il est encore plus intéressant que le Premier ministre israélien ait été en Turquie – Monsieur Olmert a passé quatre jours en Turquie avant le début de la guerre de Gaza. Comme vous l’avez mentionné, la Turquie a pris le rôle de médiateur entre Israël et la Syrie au moyen d’entretiens indirects. Quatre séries d’entretiens indirects ont déjà eu lieu. Avec le président Olmert, nous avons conduit une cinquième série à laquelle ambassadeurs spéciaux et moi-même étions présents à Ankara. Nous avons siégé pendant cinq ou six heures et discuté des affaires entre la Syrie et Israël. J’ai eu un entretien téléphonique avec le président Assad et mon ambassadeur a parlé avec le ministre des Affaires étrangères Moallem.
Notre objectif à cette époque était de voir si nous pouvions passer à la prochaine étape c’est-à-dire à des entretiens directs entre Israël et la Syrie; C’était ce que nous avons tenté et notre but dans tout ce que nous fai­sions était de créer la paix dans la région. Nous avons essayé d’assembler des représentants de deux pays qui n’avaient jamais été en relation jusqu’à présent. Nous avions pas mal avancé, si bien que nous n’avions des problèmes qu’avec quelques mots dans la langue que nous utilisions. Nous avons décidé que quelques jours de réflexion seraient nécessaires avant de pouvoir prendre une décision définitive. Dans l’intermédiaire, j’ai parlé, en compagnie de mon ministre des Affaires étrangères et de notre ambassadeur spécial, avec Monsieur Olmert qui lui aussi avait ses conseillers. J’ai dit que nous pourrions travailler de sorte que le soldat israélien détenu par le Hamas soit libéré. Cependant, j’ai dit et j’ai fait la demande que l’élection définitive du parti de la réforme et du changement en Palestine soit reconnue.
Nous parlons de démocratie, nous vou­drions bien voir que la démocratie prenne racine: Si nous voulons bien voir que la démocratie prenne racine alors nous devons tout d’abord respecter les êtres humains qui ont obtenu les voix de la population du pays qu’ils conduisent.
Cela se peut que nous n’aimions pas ces gens mais nous devons respecter le procès. J’ai également dit au Premier ministre Olmert qu’ils détenaient les ministres et les membres du Parlement de la Palestine et j’ai proposé qu’on pourrait faire peut-être un geste, semblable à celui qu’on avait fait auparavant envers le président Abbas: Ils pourraient peut-être être libérés. Mais le Premier ministre Olmert a déclaré que cela rendrait les choses très difficiles pour le président Abbas. J’ai répondu qu’il serait peut-être possible de libérer quelques femmes et enfants et faire ainsi un geste. Le président Olmert m’a alors dit qu’il parlerait avec ses collègues et qu’il me répondrait le lendemain. Nous n’avons pas obtenu de réponse et quatre jours après, le 27 décembre, nous avons vécu la guerre de Gaza. Ce qui s’est passé c’est que plus de 1200 personnes ont été tuées dont des femmes et des enfants. Plus de 5000 personnes ont été blessées.
C’était un emploi disproportionné de la force. Si l’on considère tout cela d’un point de vue humanitaire et que l’on pense au pouvoir militaire d’Israël, y compris à ses armes de destruction massive, et si l’on cherche à savoir si Gaza possède ou non quelque chose de semblable ou si les Palestiniens ont un pouvoir militaire quelconque, [alors il faut le dire] ils ne possèdent pas un tel pouvoir. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni et la résolution a été publiée, mais Israël n’a pas reconnu cette résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Comme le Secrétaire général Ban Ki-Moon le mentionnait, le centre de l’ONU a également été touché pendant la guerre. Des écoles et des mosquées ont aussi été touchées, mais l’humanité dans son ensemble n’a pas réagi aussi vite qu’elle aurait dû le faire pour venir au secours des gens là-bas. Dans le cas de la Géorgie, les gens ont agi assez vite, je nous inclus dans ces efforts car nous avons également travaillé très dur pour aider aussi les Géorgiens dans ce moment difficile.
Ce que j’essaie de dire, c’est que nous ne devons juger personne en fonction de sa race ou de sa religion si elle est en détresse. Notre objectif, l’objectif de chacun est de tenter d’aider des personnes en difficulté. J’ai visité la Syrie, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, l’Egypte et j’ai parlé avec beaucoup de dirigeants européens au téléphone. Malheureusement, cela a duré trois semaines. Dès le début, les programmes de télévision, la BBC par exemple, se sont exprimés sur la durée de la guerre – tous disaient à l’avance qu’elle durerait trois semaines. Effectivement, toute la guerre s’est déroulée en trois semaines et cela a conduit à la destruction de l’infrastructure. Les chiffres que le Secrétaire général de l’ONU a mentionnés ne suffisent pas pour résoudre le problème. Nous avons besoin de beaucoup plus; 1 ou 2 milliards de dollars n’aideront même pas à rétablir l’infrastructure parce que ces gens n’ont aucun moyen pour reconstruire celle-ci et maintenant ce sont eux qui souffrent.
Il existe une quantité de commérages sur le Hamas mais ces membres ne sont pas les seules personnes à Gaza, il y a aussi la population civile. Le Hamas représente une forme de parti de changement et de transition. Le problème est que leurs droits démocratiques n’ont été ni reconnus ni respectés jusqu’à présent.
Où en sommes-nous aujourd’hui? Le cessez-le-feu unilatéral a été déclaré par Israël et alors le lendemain, le Hamas a aussi annoncé un cessez-le-feu unilatéral. Les uns parlent d’un processus de cessez-le-feu qui durera des années, les autres proposent une durée d’un an et demi.
Une autre question est bien sûr de savoir comment on peut mettre fin à l’isolation du peuple palestinien. Sera-t-il possible à Israël de le faire? En d’autres termes: Les passages frontaliers seront-ils ouverts pour que les individus puissent y entrer; Car comment les Palestiniens peuvent-ils, là où ils sont, survivre dans de telles conditions? Si nous respectons la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention de Genève – reconnues au niveau international – alors on doit ouvrir ces passages frontaliers afin que les gens puissent bénéficier de leurs droits, leur droit à la vie.
En plus, il faut ajouter la question des armes qui sont introduites clandestinement dans ce territoire. Si un bout du tunnel se trouve en Egypte, alors celle-ci doit stopper cet afflux illégal d’armes.
Toutefois, si l’on considère la Palestine comme un Etat, je pense que la question qui se pose et qui soulève différentes questions chez les gens, c’est la question de la division à l’intérieur de la Palestine et de la manière dont on peut résorber les différentes opinions entre le Fatah et le Hamas. Si nous essayons de pallier ces différences, alors nous devons tenir compte de tous les partis. J’ai dit cela aussi à Monsieur Olmert, car si le côté palestinien est uniquement représenté par le Fatah, cela ne suffira pas pour présenter les résultats de l’ensemble du peuple palestinien; On doit aussi tenir compte du Hamas parce qu’il est une partie de cette société, il a gagné les élections et de ce fait, il doit être associé à ce processus.
Si l’ONU se chargeait de mener les négociations, ce serait la bonne solution. J’espère qu’elle attache de l’importance à ces efforts. L’ONU et/ou les Etats-Unis sous l’administration d’Obama peuvent prendre un rôle important. J’espère – j’attends que le président Obama devienne la voix de la majorité silencieuse et qu’il utilise le pouvoir de son gouvernement pour la recherche de cette solution. Il ne doit pas le faire dans le cadre d’accords qui ont été décidés par l’administration précédente, y compris l’accord conclu entre l’ancienne secrétaire d’Etat Condoleezza Rice et Madame Livni. Il faut une nouvelle ouverture et le Hamas doit être pris en considération.
Si l’on demande à la Turquie de jouer un certain rôle là-dedans, nous serions prêts à nous engager, mais nous devons faire attention et considérer l’ensemble du processus si nous tentons de définir les partis concernés. Nous devons en tout cas créer la paix au Proche-Orient parce que cela est important et nécessaire pour la paix dans le monde entier. Si le processus de paix au Proche-Orient ne conduit pas à un résultat positif, cela signifie que nous tous n’aurons pas de paix dans le monde.
C’est pourquoi je pense que, dans le gouvernement d’unité nationale qui doit être édifié en Palestine, doit se trouver aussi ce parti de la réforme et du changement; Et de cette façon, le gouvernement d’unité nationale doit aboutir. Après, des élections doivent avoir lieu et si le nouveau gouvernement prend alors ses fonctions – qu’on lui soit favorable ou pas – il sera et devra être le gouvernement du peuple palestinien car nous devons respecter la volonté des Palestiniens.

Après le discours de Shimon Peres à Davos, Recep Tayyip Erdogan a pris position une deuxième fois:

Animateur: … C’était un débat fort et passionné. C’est un débat qui pourrait durer encore des heures ce soir, mais nous avons déjà dépassé notre limite de temps. Je pense …

Recep Tayyip Erdogan: Une minute.
Monsieur le Premier ministre … Excusez-moi, Monsieur le Premier ministre.
Une minute, une minute.

Alors, je … (L’animateur essaie toujours de l’interrompre).
Une minute, une minute! Ce n’est pas possible! Une minute! Une minute!

D’accord, mais je vous prie de ne pas dépasser la minute.
Monsieur Peres, vous êtes plus âgé que moi et vous avez une voix très forte. Je ressens que vous vous sentez coupable, c’est pourquoi votre voix était si forte. Ma voix ne sera pas aussi forte parce que vous savez ce que je vais vous dire.
Quand il s’agit de tuer vous savez très bien comment le faire. Je sais très bien comment vous avez tué, comment vous avez touché des enfants sur la plage, tiré sur eux. Il y a deux hommes, deux anciens Premiers ministres de votre pays qui m’ont dit quelque chose de significatif. L’un m’a dit: «Quand j’ai pénétré en Palestine dans mon char, j’étais heureux.» Quand les chars ont pénétré en Palestine, ils étaient heureux. Voilà comment vos ministres l’ont ressenti.
Ici, vous parlez de chiffres. Je peux vous donner des noms, mais peut-être que quelques-uns de vous se sentent mal à l’aise. Je condamne ceux qui applaudissent les cruautés. Car applaudir ces gens qui ont tué des enfants, c’est un crime contre l’humanité. Nous ne pouvons pas négliger cette réalité. Regardez, j’ai pris beaucoup de notes [pendant le discours de Peres], mais maintenant je n’ai pas la possibilité de répondre à tout. Je veux seulement vous dire deux autres choses concernant ce sujet. La première …

Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons pas relancer ce débat.
Excusez-moi. La première, la première …

Je suis désolé …
Ne m’interrompez pas.

Les gens doivent vraiment avoir leur dîner.
Le sixième commandement de la Thora dit: Tu ne dois pas tuer. Mais vous avez tué des Palestiniens. La deuxième chose, regardez, est très intéressante. Gilad Atzmon: «La barbarie d’Israël dépasse largement la cruauté.» Il est Juif. De plus, il y a un professeur pour les relations internationales à l’Université d’Oxford, Avi Shlaim, qui a servi dans l’armée israélienne. Il a dit dans un journal anglais: «Israël est un Etat voyou.»

Monsieur le Premier ministre, monsieur le Premier ministre. J’aimerais demander à notre hôte. Merci.
Moi aussi, j’aimerais le remercier, en ce qui me concerne, c’est fini.
Pour moi, pour moi, Davos est terminé. Je ne reviendrai plus à Davos. Vous devez savoir, ça c’est la fin. Vous ne me laissez pas parler. Lui, il a parlé 25 minutes et moi, je n’ai pu parler que 12 minutes. C’est inacceptable.

Il se lève et s’en va; le secrétaire de la Ligue arabe lui serre la main.    •

Source: www.tlaxcala.es
(Traduction Horizons et débats)