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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°20, 14 mai 2012  >  «Les structures de la police vont être modifiées de fond en comble» [Imprimer]

«Les structures de la police vont être modifiées de fond en comble»

La réforme de la police menée par le gouvernement vert-rouge de Bade-Wurtemberg

par Joachim Lautensack, président du Syndicat allemand de la police du Bade-Wurtemberg

km. Comme dans le domaine scolaire où l’on introduit les prétendues écoles uniques («Horizons et débats» en a parlé), le gouvernement vert-rouge de Winfried Kretschmann est en passe de détruire, aussi dans d’autres domaines centraux de la politique régionale, des structures qui ont fait leurs preuves. Il s’agit de transformer les 41 directions et préfectures de police, qui sont proches de la population, en 12 nouvelles entités. Cette modification structurelle a été, une nouvelle fois, menée dans la précipitation et a déclenché de vives protestations. Il s’agit, dit-on, du début d’une dissolution des structures actuelles du Land selon les concepts de régionalisation de l’UE, et comprenant des projets débordant sur la Suisse.
A titre d’information, nous publions ci-après le discours du président du Syndicat allemand de la police du Bade-Wurtemberg, Joachim Lautensack, tenu le 21 avril 2012 lors d’une manifestation de protestation étendue au Land tout entier. (www.dpolg-bw.de).

Parlons clairement et sans détours: cette réforme de la police est mauvaise, tant pour la police que pour la sécurité intérieure ainsi que pour les citoyennes et les citoyens!
Les résultats de cette réforme dans ses grandes lignes, ses répartitions territoriales et ses lieux d’implantation, et notamment avec ses conséquences à long terme, n’ont absolument pas fait l’objet d’un débat entre spécialistes. Un tel débat nous est interdit par un ministre de l’Intérieur, élu dans un nouveau gouvernement régional, qui prônait un nouveau style politique consistant à savoir écouter et à engager des discussions d’égal à égal. Mais ce n’était que du vent. On a informé, communiqué, expliqué, justifié, défendu, mais on n’a pas abordé les faits déterminants pour les décisions prises, et on ne les abordera jamais.
C’est bien de cela – mais pas uniquement – que souffre cette réforme. Car ce n’est pas une «réforme de la police», comme le ministre de l’Intérieur essaie de nous le faire croire. Il a ordonné d’engager ce projet qui va dans une direction claire et nette et repose sur une conception essentiellement politique.
Et le fait que les résultats de ce projet aient été discutés au sein de la police n’enlève rien à la responsabilité du ministre de l’Intérieur. Cela reste la réforme du ministre de l’Intérieur Reinhold Gall. Il faut toutefois louer l’objectif fondamental du ministre, qui est de renforcer la base policière et de conserver en l’état le personnel et les moyens financiers. Mais on peut réellement se demander si cet objectif pourra être atteint, et si oui, quand et comment. Et nous ne pensons pas que le potentiel de renforcement nécessité par la réforme soit suffisant face à l’ampleur considérable des difficultés internes et externes et des risques liés à la transformation.
Cette réforme est une opération à cœur ouvert à haut risque menée sur un patient en bonne santé. Il est possible que notre police souffre d’un «rhume», mais cela ne justifie pas le fait de lui infliger une opération très risquée et de la plonger ensuite dans un coma artificiel. C’est irresponsable, pour ne pas dire prémédité.
La police du Bade-Wurtemberg est, comparée à celle des autres Länder, particulièrement performante. Nous obtenons d’excellents résultats en matière de sécurité avec des effectifs modestes. Cela tient notamment aux structures actuelles qu’on veut modifier maintenant de fond en comble.
Tout, absolument tout va être modifié: tous les processus de travail doivent être redéfinis, les relations doivent être réétudiées, les coopérations doivent être adaptées aux structures, de nombreux partenaires de longue date disparaîtront, on perdra tout le savoir concernant les lieux et les personnes. Si jusqu’à présent c’est à Pforzheim même qu’on prenait les décisions concernant la sécurité de la ville, dorénavant ce sera à Karlsruhe.
Tout sera décidé à Karlsruhe et non plus à Pforzheim, qu’il s’agisse du travail des quatre commissariats de police, à savoir sur quoi ils mettront l’accent et comment, à quoi accorder les priorités, où se passera le recrutement des forces de police, si on pourra encore se permettre des patrouilles motorisées – étant donné l’état déplorable des finances de Karlsruhe –, comment remédier au manque sporadique de personnel, de quels moyens financiers et de quels équipements les commissariats bénéficieront.
De plus, ceux qui décident de la carrière du personnel et de bien d’autres questions touchant directement le personnel de Pforzheim seront basés à Karlsruhe. Ce sera une administration centralisée à Karlsruhe qui décidera de tout ce qui concerne les 17 commissariats et les 49 postes de police.
Tout appel d’urgence passera par la direction centrale, qu’il s’agisse d’un cambriolage, d’un accident de la route, d’une agression, d’une dispute domestique ou d’une bagarre. Dès qu’il faudra faire appel à des services comme celui des accidents ou de la criminalité, cela prendra du temps. Et ce sont les personnes concernées qui en pâtiront, sans compter que cela demandera plus de personnel.
Récemment, j’ai eu l’occasion de me rendre dans des postes de police périphériques. Il m’a fallu plus d’une heure pour me rendre de la sortie de l’autoroute Heilbronn-Weinsberg vers Wertheim, cela par beau temps et avec une circulation fluide. Heilbronn doit devenir le siège d’un nouveau commissariat. On atteint Wertheim am Main en passant par la charmante vallée de la Tauber qui traverse de magnifiques paysages. Mais cela ne peut en aucun cas être déterminant pour le travail de la police.
Un autre parcours m’a mené de Karlsruhe à Calw et a duré aussi plus d’une heure, et notons bien que le trajet passe par la «pampa» aux magnifiques paysages car l’autoroute entre Pforzheim West et Karlsruhe était bouchée, comme c’est le cas si souvent.
Mais la nouvelle zone Oberschwaben/Bodensee paraît particulièrement absurde. Le trajet de Leutkirch ou d’Isny dans l’Allgäu (district de Ravensburg), à la nouvelle métropole de police de Constance demande une heure et demie, à condition d’attraper à temps le bac traversant le lac à Meersburg et qu’on ne doive pas attendre du fait des vagues de touristes en été ou lors de la pause d’hiver de la flotte du lac de Constance.
Ou voyons ce qui se passe à Freudenstadt qui doit être dorénavant sous les ordres de Tuttlingen. Qu’ont donc ces deux villes de commun? Qu’est-ce qui les relie? Quelles relations entretiennent les habitants? Tout cela est d’une stupidité totale.
Toutes ces modifications incroyables viennent du fait que les politiques ont décidé qu’à l’avenir il n’y aurait plus que 12 préfectures régionales. Ce chiffre est devenu un véritable dogme qui détruit, découpe, divise le paysage policier sans tenir compte des dégâts. Ni le gouvernement régional ni le ministre de l’Intérieur ne semblent prêts à renoncer à ce chiffre qui ne se justifie que par le fait que les polices criminelles des nouveaux centres sont dotées de 200 personnes. Ce sont des jeux et des astuces sur les chiffres qui portent atteinte au travail de la police et à sa proximité par rapport à la population et qui auront des conséquences sur les perspectives personnelles et professionnelles de tous les policiers.
Alors que le but était d’avoir des centres de police de même taille et de même efficacité, il ne pouvait pas être atteint le moins du monde. Alors que la nouvelle préfecture de police de Karlsruhe/Pforzheim/Calw comptera à l’avenir 2400 fonctionnaires, devenant ainsi le centre le plus important de toute la région, le centre voisin d’Offenburg/Rastatt n’en aura qu’à peine la moitié.
Il y a de vrais perdants dans cette réforme, et pas seulement des gens qui ont simplement l’impression d’être des perdants. Certains l’ont remarqué et ne ménagent pas leurs critiques. Mais beaucoup sont encore plongés dans un sommeil profond et ne se réveilleront peut-être qu’au moment où ils seront confrontés à la dure réalité.
Le fait que les critiques du début se soient estompées ne signifie pas que cette réforme se soit améliorée, ni que les milieux dirigeants de la police aient été attirés par la perspective de nouvelles tâches et d’emplois sûrs. Elle ne s’améliorera pas non plus parce qu’on a fait appel à des personnes compétentes pour sa mise en œuvre. Une réforme fondamentalement mal conçue ne peut s’améliorer dans les détails.
Prévoir les résultats d’une réforme est toujours un exercice intellectuel. Personne ne sait si la police va mieux fonctionner dans cette nouvelle structure. Il y a un réel danger que l’excellent travail de la police du Bade-Wurtemberg soit remis en question, et cela pour des années, et qu’on doive se contenter d’une qualité moindre. Et ce n’est pas l’«ardeur» des initiateurs du projet qui y changera quelque chose, même s’ils nous promettent des merveilles et des lendemains qui chantent. Cette réforme est démesurée et inutile.
Et quand le ministre de l’Intérieur s’en prend à ceux qui critiquent la réforme en leur reprochant leur esprit de clocher, je lui dis «Gardez les pieds sur terre».     •
(Traduction Horizons et débats)