Vers une politique financière durablepar Marianne WüthrichA la suite de la crise économique provoquée par la politique économique inconsidérée et brutale du colosse financier américain qui a frappé ensuite le reste du monde, les finances publiques de nombreux pays se sont plus ou moins dégradées. Quelles sont les conditions d’une politique financière solide et durable pour les Etats nations? La Suisse maîtrise mieux que la plupart des pays industrialisés son budget fédéral et pourrait, à cet égard également, être un modèle. Toutefois, dans la perspective d’une aggravation prévisible de la conjoncture, des politiques suisses réclament eux aussi une gestion plus économe des deniers publics. Philipp Stähelin, président de la Commission des finances du Conseil des Etats lance un avertissement: «Les dettes que nous faisons aujourd’hui sont nos menottes de demain. Si nous sommes obligés d’utiliser les recettes courantes pour payer les intérêts des dettes, nous manquerons un jour d’argent pour l’éducation et les infrastructures.» (Zürcher Landzeitung du 25/11/09). Bien qu’en 2009, la Suisse (contrairement à la plupart des autres pays) n’ait pas été dans le rouge, on sait aujourd’hui qu’il n’en sera pas toujours ainsi. C’est pourquoi Stähelin et d’autres politiques fédéraux ainsi que l’association économiesuisse, dans son rapport récemment paru et intitulé «Hausse de l’endettement: un défi pour l’après-crise» (2009) considèrent qu’il est absolument nécessaire de poursuivre avec encore plus de rigueur, ces prochaines années, la solution suisse consistant à freiner l’endettement. Selon Stähelin, la Suisse est certes moins endettée que d’autres pays mais, pour un petit pays, 117 milliards de francs de dettes représentent une somme importante. Il s’agit donc de faire en sorte d’éviter que la dette n’enfle comme dans d’autres pays et de l’amortir peu à peu. Une dette peu importante est un atout pour le paysPour Stähelin, l’absence de déficit du budget fédéral de l’année dernière s’explique premièrement par les bonnes recettes fiscales des deux dernières années et deuxièmement par le fait que, contrairement à l’Allemagne et aux Etats-Unis, la Suisse a renoncé à des programmes de relance très coûteux. «Cela m’agace considérablement de ne plus entendre parler que de l’image de la Suisse à l’étranger. Nous devons mener notre propre politique et notre philosophie n’a jamais été de dépenser l’argent que nous ne possédons pas. Ce qui se passe en Allemagne et en France est inouï. On soutient là-bas avec les deniers publics des entreprises qui ne sont pas viables.» Stähelin considère le faible endettement comme un atout important de l’économie suisse pour l’époque de l’après-crise parce que d’autres pays seront contraints, à la suite de leur lourd endettement, d’augmenter les impôts. Les délocalisations de sièges d’entreprises vers la Suisse pour des raisons fiscales vont donc augmenter. «La position avantageuse qui est celle de la Suisse en comparaison internationale n’est pas due au hasard.» (Rapport d’économiesuisse, p. 4)
Alors que le taux d’endettement des pays de l’OCDE représente actuellement en moyenne 76% du PIB, il n’est que de 48% en Suisse. A quoi cette nette différence est-elle due? Politique financière durable: frein à l’endettementLes augmentations d’impôts et les réductions de dépenses étant des mesures impopulaires et difficiles à mettre en æuvre, il serait plus approprié de veiller à ce que la dette n’atteigne jamais un niveau élevé. Comme les demandes de dépenses supplémentaires sont illimitées, cette condition semble difficile à respecter dans la majorité des pays. Par contre, les règles budgétaires et les freins à l’endettement peuvent être considérés comme des instruments efficaces avec une base légale claire.» (Rapport d’économiesuisse, p. 35) Une autre cause importante de la relativement bonne situation budgétaire relativement bonne de la Suisse consiste dans le «frein à l’endettement» valable depuis 2003 au niveau fédéral. «En temps de crise, les déficits sont donc possibles et lorsque la conjoncture est très favorable, les excédents sont, par contre, obligatoires. […] Jusqu’à présent, le frein à l’endettement a fait ses preuves. L’Etat a pu réduire sa dette de plus de 13 milliards de francs. […] Cette règle est de plus en plus reconnue au niveau international et a également servi d’exemple en Allemagne, qui a introduit un frein à l’endettement début 2010.» (Rapport d’économiesuisse, pp. 39–40) Deux recettes efficaces: la démocratie directe et le fédéralismeL’UE connaît également une réglementation visant à contrôler les dettes des Etats membres, mais bien que lesdits Etats soient soumis au Pacte de stabilité et de croissance, ils ne le respectent pas (nouvelles dettes: au maximum 3% du PIB par année et dettes totales: au maximum 60% du PIB). «Même si le Pacte prévoit un «processus pour déficit public excessif» lorsque les Etats ne respectent pas les règles et peuvent ainsi se voir imposer des amendes de 0,2 à 0,5% du PIB, l’effet est jusqu’à présent plutôt décevant. Les déficits chroniques et l’endettement croissant de certains Etats membres n’ont pas pu être évités. En 2006, dix Etats membres affichaient déjà des ratios d’endettement de plus de 60%, cinq se trouvaient au-dessus des 3% d’endettement supplémentaire autorisé. […] Seuls sept Etats ont rempli les critères de solvabilité à long terme. […] Etant donné la crise, une politique budgétaire durable dans ces Etats devient de moins en moins réalisable. Actuellement, 20 des 27 Etats de l’UE sont concernés par une procédure pour déficit excessif. Dans la zone euro, seuls la Finlande, le Luxembourg et Chypre ne sont pas touchés.» (Rapport d’économiesuisse, p. 39) Pourquoi cela réussit-il en Suisse? Qu’est-ce qui est nécessaire pour qu’un pays adopte une politique budgétaire responsable? Démocratie et frein aux dépenses• Le frein à l’endettement inscrit à l’article 126 de la Constitution fédérale n’a pas été décidé par les autorités mais par le peuple, et cela à une large majorité. Le 2 décembre 2001, 84,7% des citoyens et la totalité des cantons ont approuvé cette nouvelle disposition et ont par là même chargé le Conseil fédéral de faire en sorte que les dépenses de la Confédération ne dépassent pas les recettes. Le peuple souverain a ainsi pris la responsabilité d’empêcher que l’endettement ne s’emballe. «Dans certains Etats, outre les règles budgétaires et les freins à l’endettement, il existe des moyens procéduraux de limiter l’endettement public. Il s’agit principalement des cantons et villes suisses et des Etats fédérés américains. Il est, par exemple, possible qu’à partir d’un certain volume, les projets d’investissements soient approuvés non pas par le Parlement, mais par les électeurs inscrits. Il existe également des référendums financiers que les électeurs peuvent demander lorsqu’ils jugent certains projets exagérés. Le gouvernement et le Parlement sont donc incités à éviter les dépenses inutiles.» (Rapport d’économiesuisse, p. 43) La décentralisation fédéraliste constitue un autre frein aux dépensesBien que depuis des années les avocats de la centralisation prétendent que les fusions de communes ou de cantons permettraient des économies grâce à une synergie des dépenses, il y a longtemps que cet argument a été réfuté. Comme nous venons de le montrer, plus les structures politiques sont réduites, moins les dettes sont importantes. En Suisse, les cantons et les communes jouissent d’une grande autonomie financière, c’est-à-dire qu’elles ne reçoivent pas simplement de l’argent du trésor public fédéral qu’elles dépenseraient alors largement afin d’en recevoir encore davantage l’année suivante. Chaque canton, chaque commune est responsable de la gestion des recettes et des dépenses. Par conséquent, en comparaison d’autres pays, le budget fédéral est relativement modeste. Selon économiesuisse (p. 44), le budget fédéral ne représente qu’environ 1/3 de la totalité des budgets suisses. Notre pays est donc l’Etat qui présente la plus grande décentralisation fiscale de tous les pays de l’OCDE et, pour cette raison-là, celui qui est le moins endetté. «Seule la combinaison de limites institutionnelles (règles et freins à l’endettement), de démocratie directe et de fédéralisme peut limiter l’endettement de l’Etat. En Suisse, l’autonomie financière des cantons et des communes s’accompagne d’une responsabilité propre plus élevée (équivalence fiscale).» (Feld, L. und Kirchgässner, G. [2005]. Sustainable Fiscal Policy in a Federal System: Switzerland as an Example, CREMA Working Paper No. 16. [p. 44 du Rapport]) • Art. 126 de la Constitution fédérale suisse Frein à l’endettementArt. 126 Gestion des finances1 La Confédération équilibre à terme ses dépenses et ses recettes. A propos du débat des Chambres fédérales sur le budget et le plan financier (session d’hiver 2009)mw. Tant le Conseil national que le Conseil des Etats estiment lors de leurs débats annuels sur le budget, que le Parlement agit le plus souvent prudemment avec l’argent des contribuables. D’une part, comme déjà démontré, c’est le souverain qui a la haute main sur les augmentations d’impôts et les freins aux dépenses, y compris parfois des dépenses très concrètes, de telle façon que les deux chambres doivent respecter les instructions avancées. Par ailleurs, de nombreux parlementaires, tout comme le chef du Département fédéral des Finances, le conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz, ont la même mentalité que la plupart des citoyens suisses: on ne dépense pas plus qu’on ne possède. Quelques extraits du débat parlementaireEgger-Wyss, Esther (PDC, Argovie) présidente de la Commission des Finances du Conseil national:«Le budget est conforme au frein à l’endettement, du fait que cette conception autorise des déficits en période économique difficile. […] Cependant, on ne doit pas oublier que nous nous retrouvons dans ce débat sur le budget devant des chiffres marqués de rouge. On est très peu sûr des valeurs réelles de l’économie, ce qui nous oblige de nous en tenir fermement à cet instrument remarquable qu’est le frein à l’endettement. […] Kleiner, Marianne, Conseillère nationale (radicaux-libéraux, Appenzell Rhodes-Extérieures):«Les budgets publics des pays environnants doivent affronter des déficits exorbitants. Notre proposition budgétaire pour 2010 présente, il est vrai, aussi un déficit, ce qu’on ne doit pas minimiser, mais il est conforme au frein à l’endettement et de ce fait acceptable. Cela après des années de bénéfices et de remboursement de dettes à hauteur de 13 milliards de francs. Cela permet à notre pays de bien tenir sa place au milieu des nations à économie forte. On ne peut que congratuler le Conseil fédéral – mais nous-mêmes aussi – d’avoir su résister à la tentation de chercher à résoudre la crise économique par l’endettement et par des mesures conjoncturelles discutables et inefficaces, ce qui n’aurait fait qu’accroître les difficultés. Loepfe, Arthur, Conseiller national (PDC, Appenzell Rhodes-Intérieures):«Les grosses dettes engagent des grosses dépenses en intérêts pour le service de la dette. Ce qui signifie qu’on aura moins de marges de manœuvre dans les années à venir pour engager des dépenses en vue d’actions à mener. Prenez l’exemple du Japon: ce pays doit utiliser 20% de ses recettes fiscales pour assurer son service de la dette publique. Or, vous connaissez le déficit en développement de ce pays au cours des 20 dernières années. Stähelin, Philipp, président de la Commission des Finances du Conseil des EtatsNotre endettement s’élève actuellement à 120 milliards de francs. C’est beaucoup. Et on ne peut pas s’attendre à une diminution du fait qu’à l’étranger on s’est lancé dans un endettement considérable, qui continue d’ailleurs et s’en prend au tissu économique lui-même. Cela n’est pas propice à faire diminuer notre propre endettement. Il est vrai que les autres sont bien plus mal en point, ce qui ne veut pas dire que notre situation s’améliore. […] Finalement: des dettes plus élevées exigent des dépenses plus grandes pour le service de la dette. Actuellement, nous avons la chance de profiter de taux d’intérêts très bas, ce qui est réjouissant, mais cela ne tiendra pas éternellement. Un service de la dette plus élevé réduit à l’avenir les marges de manœuvre dans les autres domaines. Si nous devions, un jour, utiliser nos recettes entières pour payer nos dettes, ce ne serait guère profitable pour les générations futures.» Merz, Hans-Rudolf, président de la Confédération:«Notre position est forte sur le plan international en ce qui concerne les dépenses, les impôts, les dettes, etc. Je ne puis comprendre pourquoi vous voulez remettre en question cette position par des dépenses et même des dettes supplémentaires. Cette crise prendra fin et ceux qui se seront donné la peine de rester raisonnables et de s’en tenir aux priorités pendant cette période difficile s’en sortiront le mieux. Cela doit nous apparaître comme un avantage. Nous bénéficierons de notre volonté de ne pas vouloir de dettes ou d’intérêts négatifs à compenser pour les générations futures. Nous aurons une position raisonnable avec un budget sain. Voilà à quoi nous devons nous en tenir. |