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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  Nº33, 20 août 2012  >  «Pourquoi l’Union européenne doit renoncer à vouloir se hisser au rang de puissance mondiale et suivre l’exemple suisse» [Imprimer]

«Pourquoi l’Union européenne doit renoncer à vouloir se hisser au rang de puissance mondiale et suivre l’exemple suisse»

Une contribution au débat de Peter Gauweiler

km. Sous le titre «Quelle Europe voulons-nous?», la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» publie depuis le 7 juillet, dans son feuilleton, des textes assez complets de personnalités allemandes, venant de la politique, du droit, de la philosophie et d’autres domaines. Par ces contributions, on tente de comprendre la situation actuelle de l’Union européenne et de soumettre des propositions dans le but d’offrir des perspectives aux difficultés apparues.
Parmi les auteurs de ces contributions, il y en a qui approuvent de céder plus ou moins tout le pouvoir politique en Europe aux institutions de l’Union européenne, mais d’autres se montrent très critiques quant au chemin parcouru au cours des 60 dernières années. Parmi ces derniers se trouve Peter Gauweiler, député de la CSU au Bundestag et avocat à Munich. Sa contribution, parue le 2 août, est intitulée «Tout est vantardise, sans cœur, vide» et comporte un long sous-titre: «Le thème central du débat doit se porter sur la dépossession du souverain démocratique: pourquoi l’Union européenne doit renoncer à vouloir se hisser au rang de puissance mondiale et suivre l’exemple du modèle suisse.» Le titre et le sous-titre résument, à eux seuls, les thèmes traités dans la contribution.

Le Reich allemand de Bismarck et l’Union européenne actuelle

Le titre est repris d’une expression d’Otto de Wittelsbach. Ce dernier était le frère du roi bavarois Louis II et représentant de la Bavière lors de la proclamation de l’Empéreur allemand dans la galerie des Glaces à Versailles le 18 janvier 1871. Otto ne s’était pas senti à l’aise à Versailles et Peter Gauweiler se réfère à ce malaise ressenti par la Bavière envers la création du Reich par les Prussiens. Il compare le développement et l’état de la politique actuelle de l’UE avec celle d’Otto von Bismarck, alors le Premier ministre de la Prusse et premier chancelier du Reich, qui voulut fonder un empire allemand sous la férule de la Prusse, puis, à l’aide de celui-ci, dominer l’Europe et se placer comme puissance mondiale.
A cette époque, la Bavière perdit son indépendance et passa de «la condition d’un Etat libre à celle de ‹part royale bavaroise de l’empire›». Par la suite, on construisit dans toute la Bavière des tours en l’honneur de Bismarck, en déférence envers le créateur de l’empire – mais aussi une sorte de geste de soumission envers cette nouvelle forme du chapeau de Gessler.
Gauweiler cite l’auteur et historien de renom, Sebastian Haffner, qui a décrit la Prusse comme une entité étatique ne possédant «aucune identité nationale, ethnique ou religieuse […], se laissant trimballer comme une tente qui peut être mise à disposition de divers tribus, voire peuples». Tout comme l’Union européenne, selon Gauweiler. Les perdants furent les pays du nouvel Empire. Et Gauweiler de tirer une nouvelle parallèle: «Aujourd’hui, ce sont les Länder allemands qui sont les ‹perdants de l’Union européenne›. Berlin et Bruxelles ont construit d’innombrables tours de Bismarck dans les domaines politiques, qui furent ceux des Länder, soit la politique intérieure, la sécurité publique, l’enseignement, la culture, les médias, les services de prévoyance.»

«Quand de nouveaux empires se développent, il en va toujours de la guerre et de la paix»

Quel prix devra-t-on encore payer? Gauweiler déclare: «Quand de nouveaux empires se développent, il en va toujours de la guerre et de la paix.» Bismarck avait déclenché trois guerres pour assurer la domination de la Pusse en Allemagne et en Europe. Dans les monuments à la gloire de Bismarck, Gauweiler voit l’avertissement pour la Première et la Seconde Guerre mondiale. Il cite encore le député régional bavarois Krätzer lors du débat concernant l’entrée de la Bavière dans le nouvel Empire allemand. Ce dernier était opposé à la participation de la Bavière à l’Empire, voyant poindre la formation d’un empire dans lequel «toute vie parlementaire, toute liberté seraient annulées» et Krätzer de se demander «où va-t-on avec la formation d’un tel Etat? A la base, il y a la volonté de dominer l’Europe et la mobilisation de toutes les énergies mènera prochainement aussi à la guerre.» Sur quelle voie l’Union européenne s’engage-t-elle?
A l’époque, la grande majorité du Parlement n’écouta pas le député Krätzer – selon Gauweiler c’est à mettre en parallèle avec le refus d’écouter des voies critiques lors des débats actuels sur l’UE au Bundestag.

On n’écoute pas le peuple

A l’époque, le nouvel Empire allemand n’était pas non plus à l’écoute du peuple. On parlait le «bon allemand», prétendait être instruit et se moquait de personnages comme le roi de Bavière, Louis II. Parce que ce dernier ne cherchait pas à accroître son pouvoir au prix du malheur de ses sujets. Un médecin eut même le front de diagnostiquer une paranoïa. Selon Gauweiler: «Ne pas vouloir dominer un autre pays est, selon lui et ses confrères, un signe de démence.»

L’alternative selon De Gaulle: «Renoncer à vouloir dominer les autres»

Malgré tout, des hommes politiques de renom, dans l’après-guerre, tel le président français Charles de Gaulle, qui va servir de référence à Gauweiler par la suite, ont suivi les traces du roi Louis et non pas celles de l’ancien empire. Les citations de de Gaulle, reprises par Gauweiler, sont remarquables. Il s’exprima sur «le caractère insensé de ces combats» dans le but de dominer d’autres Etats et d’autres peuples. Il prônait de «renoncer à vouloir dominer les autres» et mettait en garde contre «la volonté de faire de l’Europe une patrie artificielle», mais aussi contre «le caractère ambigu de l’institution européenne», notamment de ses organes. Il caractérisait la tentative de fusion des économies et des politiques en Europe comme une «illusion de l’école supranationale». Son objectif pour l’Europe était d’obtenir «une concertation mutuelle face aux événements internationaux», c’était une «Europe des patries».

La voie de l’UE: «Saper la liberté et la démocratie»

Puis Gauweiler revient à l’UE actuelle: «Les élites de l’Union européenne se prennent aujourd’hui pour des dirigeants à portée mondiale. […] Cela aussi rappelle l’arrogance des élites de 1871. Comme le ‹statut de puissance mondiale› de celles d’aujourd’hui repose pour une bonne part sur l’euro, ils sont considérés comme un élément de souci pour l’économie mondiale. […] Il n’est pas encore possible de tirer un bilan du mal causé aux économies des pays soumis par ce monde d’experts. On comprend de mieux en mieux qu’il ne s’agit pas uniquement de monnaie, […] mais bien de la volonté de saper la liberté et la démocratie.»
On en arrive ainsi à la partie centrale de son article, comme cela ressort du sous-titre. «La dépossession du souverain démocratique doit devenir un thème central pour les peuples européens dans les débats concernant l’avenir des institutions bruxelloises. Non pas dans le but de bloquer toute réflexion, mais comme condition de toute solidarité politique, quelle que soit le domaine visé.»
Qui s’y oppose? Selon Gauweiler il s’agit d’une coalition des esprits les plus négatifs de gauche et de droite: Marx et Lénine d’une part, Goldman Sachs d’autre part.

«S’abstenir de toute politique hégémonique est une chance prometteuse»

Que faire? Gauweiler s’en reporte à nouveau à Sebastian Haffner qui avait fait comprendre aux Allemands «que de s’abstenir de toute politique hégémonique est une chance prometteuse». Pourquoi ne pas renoncer à cette concurrence désastreuse des Etats? Haffner avait écrit: «Cette Europe enviable qui ne souffre pas de la faim et n’a pas besoin de porter son rêve dans les étoiles.» L’Europe pourrait devenir «la Suisse du monde» et contribuer à résoudre les problèmes de l’humanité en développant «un équilibre entre la technique et l’humanité».
Et Gauweiler de rajouter: «L’Europe – la Suisse du monde? Une telle proposition dissoudrait immédiatement le caractère méga-politique et antipathique de l’Union européenne. Il en irait de même avec l’idée d’une Europe confédérale. Bruxelles pourrait apprendre de Berne à soigner sa pluralité des langues. De même en ce qui concerne le respect de l’autonomie des cantons et des fonctions civiques. Mais surtout le respect absolu de la volonté populaire et de l’équilibre entre les liens avec le monde et l’autarcie locale. Et qu’il ne s’agit pas de l’étendue de son territoire, mais de ce qu’on en fait.»

La Bavière, va-t-elle suivre sa propre voie?

La Suisse fut, après la Seconde Guerre mondiale, un exemple de démocratie directe pour la Bavière. Un autre Bavarois, le professeur Hans Maier, ancien ministre bavarois pour l’instruction et la culture, l’a rappelé dernièrement dans la «Neue Zürcher Zeitung» du 25 juillet: les succès politiques et économiques de la Bavière sont dus entre autre à ses droits populaires. «D’ailleurs, la Bavière doit ces éléments plébiscitaires à deux admirateurs de la démocratie suisse qui l’ont connue lors de leur exil pendant la période nazie: Wilhelm Hoegner et Hans Nawiasky. Cela prouve que les nouvelles démocraties peuvent apprendre des anciennes.»
Gauweiler ne croit pas trop que l’UE soit prochainement capable d’apprendre de l’histoire. De ce fait, il termine en recommandant un livre d’un autre Bavarois, Wilfried Scharnagel, lui aussi membre du parti CSU et pendant de longues années rédacteur en chef du journal du parti «Bayernkurier». Le titre de ce livre: «La Bavière peut s’en sortir seule: un plaidoyer pour un Etat indépendant.»     •