La lutte pour la Crimée est une question de droit publique et de droit internationalpar Karl Albrecht Schachtschneider, professeur de droit public, BerlinDans la lutte pour la Crimée, l’Occident reproche à la Russie et à son président Vladimir Poutine l’engagement ouvert ou caché de soldats comme étant une violation du droit international. Aux dires de la chancelière allemande, la Russie aurait même annexé la Crimée. Cela ne convainc pas. Elle est mal informée. Ces reproches semblent plutôt devoir justifier, et même légitimer les sanctions, voire les agressions «indirectes» de l’alliance occidentale, de l’OTAN et de l’Union européenne (UE) contre la Communauté des Etats indépendants (CEI), et notamment contre la Fédération de Russie. L’opinion publique ne connaît que des informations tronquées. Moi aussi, je dépends des informations publiquement accessibles. Toutefois, dans la mesure où l’on veut se prononcer sur ce conflit, il faut savoir distinguer les faits réels de la propagande diffusée par la plupart des médias allemands concernant les événements en Ukraine. C’est possible grâce à la prise en compte des intérêts et grâce à la connaissance de la situation juridique. La Russie ne peut renoncer à la CriméeL’Ukraine faisait partie de la Russie et de l’Union soviétique. En tant que membre de la CEI, elle faisait aussi partie de l’aire d’influence de la Russie. Puis elle s’est tournée de plus en plus vers l’Occident pour être intégrée aussi rapidement que possible dans l’UE. La Crimée se trouve dans une situation particulière. Elle a décidé à une large majorité de quitter l’Ukraine et d’adhérer à la Fédération de Russie. Cette dernière l’a accueillie. La Russie ne peut renoncer à la Crimée, ceci pour des raisons historiques, mais plus encore pour des raisons géostratégiques et militaires. Sébastopol, le port de la flotte russe de la mer Noire se trouve en Crimée. Grâce au Bosphore, la mer Noire est pour la Russie la porte d’entrée vers la Méditerranée. Tout le monde sait parfaitement que la Russie ne peut se défaire de la Crimée, si elle veut rester une grande puissance. C’est pourquoi la Russie a assuré par un contrat son droit d’utilisation de ce port sur des décennies, à vrai dire une base peu sûre pour ses intérêts existentiels. L’Occident accepte le fait accompli du rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, reconnaissant l’intérêt porté par la Russie à ce territoire, mais pas l’Ukraine. Mais cette dernière n’est pas en mesure de modifier la donne. Les critiques occidentales ne remettent pas en cause les résultats du référendum. Une intervention militaire serait non seulement une violation du droit international, mais représenterait la fin de la paix mondiale et le risque de voir une bonne partie de l’Europe s’effondrer. Par le biais de ses critiques et sanctions, qui ne sont en réalité que de petites piques, l’Occident ne fait qu’assurer ses positions pour les développements futurs. L’Occident a favorisé le coup d’Etat en UkraineL’Occident n’a pas seulement favorisé le coup d’Etat en Ukraine, mais y a participé, ce qui représente une grave violation de la souveraineté intérieure et extérieure du pays. Il est parfaitement clair que le «Maïdan» ne fut pas une action menée de sa propre force par la seule population du pays. L’Occident a utilisé la vieille recette «éprouvée» du coup d’Etat, à l’instar des «révolutions» de couleur, recette utilisée d’ailleurs également par d’autres pays, dont, à l’époque, l’Union soviétique. Les contradictions ethniques entre Russes et Ukrainiens, mais aussi la corruption relativement évidente du système gouvernemental ont servi le coup d’Etat. Il n’y a que peu de doutes que l’Occident soit intervenu de façon «subversive», selon le droit international, afin d’installer un gouvernement qui lui serait conforme et serait disposé à faire adhérer l’Ukraine à l’UE, puis, tôt ou tard, à l’OTAN. L’échec de la mission des ministres des Affaires étrangères de France, de Pologne et d’Allemagne devant aboutir à la destitution pacifique du président élu de l’Ukraine, à l’élection d’un nouveau président et au retour à la Constitution de 2004, était de toute façon peu compatible avec la Constitution en vigueur et la souveraineté du pays, et moins encore la violation de l’accord du 21 février 2014 par les forces insurgées et leur prise de pouvoir par la force. Les insurgés, tout comme les intermédiaires occidentaux, ont ainsi pris le risque d’une partition du pays. La politique ukrainienne de l’Occident est une menace pour la RussieLa politique ukrainienne de l’Occident représente, indépendamment de la souveraineté de l’Ukraine, une menace pour la Russie. L’Occident n’a en rien respecté la souveraineté de l’Ukraine. Les mesures prises par la Russie pour protéger sa base maritime, obtenue en toute légalité, relèvent de la nécessité de défendre ses intérêts existentiels face à un Occident de plus en plus agressif. Elles sont proportionnelles et servent la défense de la Fédération de Russie, mais aussi des citoyens russes et des Ukrainiens de souche russe. Il ne s’agit ici ni d’une violation du droit international, ni d’une annexion de la Crimée. Elles se justifient par le droit à l’autodéfense, qui inclut l’autodéfense préventive, dans la mesure où elle est entreprise à l’aide de moyens doux et dans la mesure où elle est souhaitée de manière univoque par les populations de la région protégée, voulant se rattacher à leur pays protecteur. L’appel à l’aide du président déchu de l’Ukraine et la volonté déclarée de sécession par une large majorité de la population ont un grand poids au niveau du droit international. Plus important encore est le fait que le gouvernement intérimaire de l’Ukraine – dont les activités n’ont aucune légitimité, soutenu par un Parlement ayant participé au coup d’Etat et par l’Occident – a déclaré que le référendum de la Crimée en faveur de la sécession était illégal, qu’il ne le reconnaissait pas et que le cas échéant, il utiliserait la force (mobilisation). Tout cela renforce la légalité des efforts de protection russes pour faciliter un déroulement correct de la votation. Les Etats sont habilités à protéger leurs concitoyensLe droit légitime des Etats de protéger, même par la force, leurs concitoyens menacés dans leurs vies et leurs biens lors d’une intervention limitée est reconnu par la plupart des spécialistes du droit international. Ce droit est mis régulièrement en pratique et demeure reconnu dans la mesure où il est équilibré. Le mémorandum de Budapest n’est pas concernéLe Mémorandum de Budapest conclu en 1994 entre notamment l’Ukraine et les Etats-Unis, la Russie et la Grande-Bretagne stipule que l’Ukraine acceptait de se défaire de l’énorme stock d’armes nucléaires dont elle avait hérité lors de la dislocation de l’URSS pour obtenir en contrepartie des garanties pour sa souveraineté, son intégrité territoriale et son indépendance politique et économique. En outre, en cas d’attaque nucléaire contre le pays, les trois pays contractants s’adresseraient immédiatement au Conseil de sécurité des Nations Unies pour qu’il prenne les mesures appropriées. En réalité, la sécession de la Crimée et son accueil au sein de la Fédération de Russie ne concernent en rien le mémorandum de Budapest et ne constituent pas une violation. Seuls les citoyens sont souverainsLe contenu essentiel de la critique occidentale envers la politique de la Crimée de se rendre indépendante de l’Ukraine réside dans la théorie que la sécession d’une partie d’un Etat serait «illégale». C’est avant tout suite à ce point que certains croient pouvoir conclure que le soutien de la Russie à la Crimée dans sa politique d’indépendance constitue une violation du droit international. La fondation d’un Etat est un acte de libertéPas même une Constitution, telle que celle de l’Ukraine, stipulant un Etat unitaire sans prévoir l’organisation d’une sécession, ne peut interdire de telles activités à une partie de la population. La fondation d’un Etat est un acte de liberté et donc de souveraineté des personnes qui y cohabitent. Ce ne sont pas les Etats qui sont souverains, mais les personnes. Les Etats servent à réaliser de la liberté, vers l’intérieur et vers l’extérieur. Il n’existe pas d’Etats éternels, il n’y a pas de droit pour les Etats, ni pour leurs institutions, qui leur permette d’imposer leur existence à l’encontre des personnes et des citoyens et donc de leurs droits, et encore moins en recourant à la force des armes. Au contraire, il y a un devoir des êtres humains de vivre ensemble dans le droit et d’assurer la validité de ce droit par une organisation, par un Etat, par le droit naturel à une Constitution citoyenne qui garantisse la liberté et la propriété. L’Etat libre de Bavière, par exemple, a le droit de se séparer de la République fédérale d’Allemagne, s’il se trouve dans une situation existentielle, puis de vivre en Etat indépendant ou, par exemple de s’allier à la Suisse ou à l’Autriche. La Crimée a le droit de suivre sa propre voie – le référendum est le procédé correctDe telles politiques doivent cependant répondre au principe du droit. Celui-ci stipule que la cohabitation pacifique et libre doit être garantie vers l’intérieur et vers l’extérieur. Toute sécession sera entreprise par un territoire continu spécifique, car il est exclu que deux Etats puissent exercer, sur un seul territoire, deux pouvoirs étatiques qui se concurrencent. Les spécificités peuvent notamment avoir des raisons religieuses, ethniques, historiques, linguistiques ou économiques. Il est obligatoire qu’une majorité considérable des habitants d’un territoire voulant se séparer approuve la sécession afin d’éviter qu’une partie pas assez grande des citoyens concernés n’impose aux autres une appartenance non-désirée à un autre Etat. De l’autre côté, il n’existe pas de droit de la minorité d’imposer à la majorité l’appartenance à un Etat dans lequel cette majorité ne veut pas ou plus vivre. C’est une question d’autodétermination, de liberté. La minorité dissidente doit avoir le droit de décider elle-même si elle veut rester au sein de l’Etat pour continuer à vivre avec les citoyens non-dissidents ou si elle veut le quitter («ius emigrandi»). L’ancien Etat est obligé, suite au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, d’organiser le processus de sécession de manière pacifique. Il n’a pas le droit de l’empêcher, et en aucun cas par la force des armes. Un référendum auprès des citoyens vivant dans la partie concernée du territoire de l’Etat est indispensable. La sécession de la Crimée assure la paix dans la régionLa sécession de la Crimée assure la paix dans la région, au cas où l’Ukraine se tourne vers l’Occident et aspire à devenir membre de l’UE. C’est ce qu’on tente littéralement de lui imposer. Dans les clauses de l’accord, il est entre autre question de la politique commune de sécurité et de défense, indépendamment de l’adhésion à l’OTAN. Chaque Etat membre de l’UE est intégré dans cette communauté de défense, qu’il se dise neutre ou pas. |