Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°2, 17 janvier 2011  >  Crise de la politique régionale [Imprimer]

Crise de la politique régionale

Relançons l’idée du Fonds d’aide aux investissements dans les régions de montagne

par Werner Wüthrich

30 parcs naturels doivent être créés en Suisse. Dans son édition spéciale no 45 du 22 novembre 2010, Horizons et débats a abordé la question de manière exhaustive. La Confédération encourage ces projets dans le cadre de la Nouvelle politique régionale (NPR). Quel est l’objectif de cette dernière? Les documents de la Confédération nous ren­seignent à ce sujet. Il s’agit de collaborer, de surmonter les frontières, de favoriser les projets innovants, de créer de la valeur, de renforcer les structures économiques, etc. On est frappé par le fait qu’on trouve les mêmes formulations dans les documents de l’UE. Elles sont introduites dans le débat politique avec des mé­thodes de marketing. Or ces belles paroles et ces déclarations d’intention ont-elles un fondement solide? Sont-elles l’expression d’une poli­tique qui tient ses promesses? C’est ce que nous allons examiner dans les lignes qui suivent. Nous allons comparer les conceptions de la Suisse et de l’UE en matière de politique économique. La structure de l’UE et sa politique centraliste sont remises en cause: Les belles déclarations d’intention sont loin d’avoir été mises en pratique. Aujourd’hui, des questions essentielles se posent, par exemple: Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné? Pour quelles raisons? Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse? Quelles conclusions faut-il en tirer?
Revenons à la politique régionale. Commençons par un bref rappel historique. Au cours des deux décennies de l’après-guerre, où l’essor de l’économie a été très rapide, les politiques n’ont guère pensé à la poli­tique régionale. Les choses ont changé dans les années 1970, lorsque la crise pétrolière a brusquement interrompu le boom écono­mique. Et que s’est-il passé après? On a remarqué que, pendant la période de grand essor économique, certaines régions, avant tout ur­baines, s’étaient développées da­vantage et que certaines régions rurales étaient restées à la traîne. Il paraissait évident qu’il fallait aider ces régions de manière solidaire et atténuer les disparités. Mais comment?

Différences entre les conceptions suisses et celles de l’UE

La Communuté européenne (CE) de l’époque a créé les fonds structurels financés par les contributions des Etats membres. Il était prévu, selon la méthode de l’économiste John Meynard Keynes, d’accorder des aides financières aux régions désavantagées pour développer leurs infrastructures et les activités de l’économie privée. Il s’agissait de sti­muler l’esprit d’entreprise et l’initiative privée dans ces régions. Le plus important de ces fonds, créé en 1975, était le Fonds européen de développement régional (FEDER) dont les aides profitèrent dès le début avant tout aux pays et régions du Sud.
En Suisse également, les politiques se demandèrent comment on pourrait aider les régions qui s’étaient moins développées que les autres pendant le boom économique. Ils pensaient avant tout aux régions de mon­tagne. Cependant l’aide était conçue autrement que dans l’UE. La Suisse ne voulait pas subventionner directement des entre­prises ou des projets économiques. Elle voulait, en plus de la péréquation financière de l’époque, améliorer les conditions de l’activité économique de ces régions. Les communes de montagne devaient recevoir des subsides pour leurs travaux d’infrastructures qu’elles devaient souvent réaliser dans des situations topographiques et climatiques difficiles. On comprendra que la construction et l’entretien des canalisations ou des conduites d’eau sont, sur des terrains en pente, plus difficiles et plus chères qu’en plaine. A l’époque, les politiques étaient persuadés que des infrastructures efficaces et bien entretenues dans ces régions favorisaient mieux l’économie que des paiements directs à des entreprises ou à des projets privés. Ils partaient de l’idée que les structures communales décentralisées, libérales et ancrées dans la démocratie directe, où la responsabilité individuelle est importante et dont les finances sont saines, étaient le terrain le plus favorable à l’esprit d’entreprise et à l’initiative privée.

Le Fonds d’aide aux investissements dans les régions de montagne

En 1974 on créa le Fonds d’aide aux investissements dans les régions de montagne. Il fonctionnait de la manière suivante: La Confédération et les cantons y versaient régulièrement des contributions et cet argent servait avant tout à offrir à des petites communes des Alpes et du Jura des prêts à long terme sans intérêts pour la construction de routes, de bâtiments scolaires ou polyvalents, etc. Il ne s’agissait donc pas, comme dans l’UE, d’argent accordé à fonds perdu. Le Fonds d’aide prêtait de l’argent à telle ou telle commune qui le remboursait au bout de dix, quinze ans ou plus. Cet argent était ensuite prêté à d’autres communes. Le capital subsistait et pouvait apporter une aide précieuse sans que l’on doive lever de nouveaux impôts. Jusque récemment, il disposait d’un capital de 1,5 milliard de francs.
Entre 1974 et 2005, 8000 projets ont pu être soutenus totalisant environ 3 milliards de francs. L’aide fédérale ne couvrait toujours qu’une partie des frais. Depuis, les com­munes de montagne ont pu, grâce au Fonds et à leur propre argent, réaliser des investissements à hauteur de quelque 19 milliards de francs. Aujourd’hui, les villages de montagne sont soignés et font bonne impression aux visiteurs, pas seulement aux touristes, mais également aux entreprises qui ont besoin d’infrastructures efficaces. La population des régions de montagne peut être fière de ce qu’elle a réalisé. En passant des commandes à l’industrie et à l’artisanat régional, les communes ont donné une impulsion directe à l’économie.

Nouvelle orientation de la politique régionale de l’UE dans les années 1990

Au cours des années 1990, la situation économique mondiale a changé. Ce fut le commencement de la «globalisation». De nouveaux moyens de communication comme l’Internet modifièrent la vie sociale. L’OMC allait créer un nouveau cadre politique et juridique pour le commerce mondial en pleine croissance et le libéraliser petit à petit. En 1993, les chefs de gouvernement des pays membres de l’UE se réunirent au sein du Conseil européen pour adapter leur politique à la nouvelle tendance. La politique régionale devait tenir davantage compte des aspects économiques et de la concurrence globale. Il s’agissait de créer des structures économiques capables de résister à la concurrence. En 1994 fut créé le Fonds de cohésion spécialisé dans le financement de projets d’infrastructures dans les domaines de l’environnement et des transports qui devait abolir les disparités entres régions riches et régions pauvres. En matière de politique régionale, la Commission européenne reçut pour mission d’élaborer un concept général pour le développement territorial.

Le SDEC

Le Schéma de développement de l’espace communautaire (SDEC) fut adopté lors de la Conférence informelle des ministres responsables de l’aménagement du territoire de l’Union européenne, le 10 mai 1999. Il devait servir de lignes directrices à l’intention des pays membres. On trouve dans ce programme beaucoup d’idées que des politiques suisses présentent aujourd’hui comme de grandes nouveautés.
Quelques points importants de ce document de 100 pages serviront à illustrer cette affirmation:
1.    Développement urbain. Le document constate que dans l’UE, 80% du produit national brut est réalisé dans les villes. Par conséquent, l’espace urbain, avec ses réseaux de transports et de communication devrait constituer l’essentiel du développement territorial. Les grands centres économiques mondiaux comme Paris, Londres, Munich, Milan, etc. pourraient devenir, avec leur territoire environnant, des régions métropolitaines et les villes de moindre importance pourraient former, avec leur territoire environnant, des agglomérations. Dans toute l’UE, ce système urbain polycentrique doit être doté de moyens de transports et de communication efficaces.
2.    Les régions rurales aux infrastructures moins développées pourraient être «densifiées» si les communes fusionnaient politiquement pour constituer des régions. Les territoires à faible densité de population et dont les infrastructures sont insuffisantes pourraient éventuellement être «vidés» et servir d’espaces de loisirs.
3.    Dans les développements sur l’utilisation durable des ressources naturelles, le chapitre consacré à une gestion particulière de l’eau retient l’attention.

Règlement relatif au Fonds européen de développement régional (FEDER)

En 1999, le Parlement et le Conseil européens ont adopté un Règlement relatif au Fonds européen de développement régional. Ce texte, renouvelé en 2006, qui a force de loi pour tous les pays membres de l’UE, règlemente le financement de projets et de programmes. Quels en sont les objectifs?
Il veut encourager «la collaboration transfrontalière, transnationale et interrégionale» afin de «renforcer la compétitivité et l’innovation, de créer et de sauve­garder des emplois durables et d’assurer un développement du­rable» (Art. 2). Il convient d’exploiter économiquement de nouvelles idées et de pousser à la création d’entreprises. Et à cette fin, il s’agit d’octroyer des aides financières directes, p. ex. à des PME. Il faut renforcer l’esprit d’entreprise et créer des réseaux («grappes d’entreprises») ainsi que les partenariats public-privé.
Voici deux extraits d’articles de ce Règlement:
«Au titre de l’objectif «convergence», le FEDER concentre son intervention sur le soutien au développement économique durable intégré, aux niveaux régional et local, et à l’emploi en mobilisant et en renforçant la capacité endogène au moyen de programmes opérationnels visant à moderniser et à diversifier les structures écono­miques et à créer et à sauvegarder des emplois durables.» (art. 4)
«Le FEDER peut en outre contribuer à encourager la coopération administrative et juridique, l’intégration des marchés du travail transfrontaliers, les initiatives locales pour l’emploi, l’égalité entre hommes et femmes et l’égalité des chances, la formation et l’insertion sociale, ainsi que le partage des ressources humaines et des infrastructures pour la RDT.» (art. 6)
Ces textes rédigés dans une langue élitiste montrent que les règlements de l’UE ne sont pas destinés au peuple, qu’ils sont trop compliqués pour des non-spécialistes.
Pour mettre en œuvre la politique régionale, le Règlement prévoit une «autorité de gestion», une «autorité de certification», une «autorité d’audit» ainsi qu’un «comité de suivi». Cela représente un grand nombre de fonctionnaires bien rétribués qui sont finalement à la charge des contribuables.
Le Règlement est complété par un autre règlement sur le Groupement européen de coopération territoriale (GECT). Ce texte prévoit la création, au niveau communautaire, de «groupements de coopération» destinés à «surmonter les obstacles qui entravent la coopération transfrontalière» et empêchent la réalisation de programmes et de projets centralistes. Ces groupements doivent être dotés de la personnalité juridique et pouvoir agir au nom des autorités régionales et locales. Cela signifie qu’un nouveau niveau politique est créé qui restreint le travail des autorités élues.

La Suisse dans le sillage de l’UE

Les autorités et les associations suisses ont réagi rapidement aux modifications de l’UE. En 2001, le Conseil fédéral a lancé sa poli­tique d’agglomérations au travers d’un rapport. En 2002, Avenir Suisse a organisé à Zurich une conférence sur le fédéralisme et a publié l’étude «Stadtland Schweiz» qui a été suivie, en 2005, de l’importante étude intitulée «Baustelle Föderalismus» [«Le fédéralisme en chantier»]. Avenir Suisse y critique les processus de décision décentralisés dans les 26 cantons et demi-cantons et les 2800 communes, qui constituent un obstacle au développement de l’espace économique européen.
Il a lancé d’une part l’idée de fusions de communes et de cantons et d’autre part le modèle des agglomérations et des régions métropolitaines. Au plan suisse, deux Conférences nationales sur le fédéralisme (2005 et 2008) ont été organisées dans les cantons de Fribourg et d’Argovie en collaboration avec la Confédération et la Conférence des gouvernements cantonaux. L’OCDE elle aussi a estimé en 2002 que les petites structures de la Suisse étaient un obstacle au développement économique. A cette époque, Zeit-Fragen/Horizons et débats a exprimé avec vigueur son scepticisme à l’égard de ces tentatives visant à transformer les structures fondamentales de la Suisse et a attiré l’attention sur le fait que si le pays était économiquement si prospère, il le devait à ses petites structures auxquelles la population était très attachée.
En février 2003, le Conseil fédéral a rédigé un rapport sur les défauts présumés de la politique régionale d’alors et a présenté au Parlement un projet de nouvelle Loi fédérale sur la politique régionale. Dans son message, il écrivait sans ambiguïté (p. 42): «Tant sur le plan des buts que des critères d’engagement à raison de la matière et du lieu, la NPR est conforme à l’évolution dans les pays voisins et aux orientations de la politique de cohésion et de la politique structurelle de l’Union européenne.» En conséquence, la nouvelle politique régionale ne devait plus être orientée uniquement vers les régions de montagne mais comprendre la totalité de l’«espace rural».
Mais la suggestion de vider les régions périphériques à faible potentiel écono­mique ne fut pas reprise dans la nouvelle loi.1 A l’époque, on se demandait s’il ne fallait pas «vider» de leur population des vallées peu peuplées comme le Val Calanca dans le sud des Grisons ou le Muotathal en Suisse centrale et les laisser retourner à l’état sauvage, ce que l’opinion publique refusa. La loi a également abandonné l’idée de créer des agglomérations urbaines. Aujourd’hui, la Confédération encourage cela par d’autres moyens.
Au cœur de la Nouvelle politique régionale figurait la transformation du Fonds d’aide aux investissements dans les régions de montagne en un Fonds de développement régional sur le modèle européen. Celui-ci devait recevoir une nouvelle mission et un nouvel objectif, mais le concept était controversé, comme le montrent les documents suivants.

1. Le rapport Borner

Le Département fédéral de l’économie avait demandé un rapport d’expertise au professeur Silvio Borner de l’Université de Bâle,2 mais ses conclusions n’étaient pas ce qu’espérait le Conseil fédéral. Borner recommandait de conserver au niveau régional la traditionnelle péréquation financière et de continuer à aider les villages de montagne à accomplir leurs missions en matière d’infrastructures et de développement. Il ne fallait pas créer des «bureaucraties de transfert» (à la manière de l’UE). Il songeait par là à des «gestionnaires de projet» qui versent l’argent des contribu­ables à des entreprises privées. D’autres économistes avaient critiqué le «système des fonds» (transferts d’argent) parce que les fonctionnaires qui attribuaient les aides n’endossaient aucune responsabilité. Une fois introduites, ces «bureaucraties de transfert» ne pourraient plus guère être supprimées. Pour Borner, cela entraînerait un «rent-seeking»: les entreprises privées se reposeraient sur les subventions de l’Etat et cela affaiblirait leur initiative entrepreneuriale plutôt que de la renforcer. En outre, cela créerait une distorsion de concurrence si des entreprises subventionnées par l’Etat entraient en concurrence avec des entreprises non subventionnées. L’Etat ne pouvait qu’améliorer les conditions de base. Et Borner parvenait à la conclusion que «l’Etat n’a pas à se faire entrepreneur». Ce rapport était contraire à l’orientation politique du projet de loi sur la politique régionale et l’on n’en tint pas compte dans la rédaction de la loi bien qu’à l’époque déjà les points faibles du concept de l’UE fussent déjà manifestes.

2. Le rapport Bieger

En 2004, une équipe de chercheurs de l’Université de Saint-Gall autour de Thomas Bieger, professeur à l’Institut des services publics et du tourisme, étudia les effets de l’aide aux investissements dans les régions de montagne.3 Etonnamment, ses résultats furent également positifs : En 1974, le législateur a fixé pour objectif de renforcer les petites communes de montagne et de conserver l’occupation décentralisée des régions de montagne. Ce but a été atteint. Les conditions de vie et de logement ainsi que l’attractivité économique se sont améliorées. Les taux de chômage dans les communes soutenues financièrement conformément à la loi de 1974 sur l’aide aux investissements se situent en dessous de la moyenne suisse. Le développement de l’activité économique de ces régions doit également être considéré comme positif. Cependant le dynamisme écono­mique est inférieur à celui du Plateau et des villes. Les revenus ont moins augmenté et un nombre moins important d’entreprises ont été créées. Cela dit, on a enregistré moins de faillites. Le rapport confirme, comme l’avait fait Borner, la valeur du Fonds d’aide. La constatation que l’économie des régions de montagne est moins dynamique que celle du Plateau n’est pas nouvelle. Pour diverses raisons, on ne peut pas comparer ces régions au Plateau industrialisé. Mais on sait qu’elles ont d’autres avantages.

3. Sondage de l’hebdomadaire «Horizons et débats»

Dans le contexte du débat parlementaire sur la Loi fédérale sur la politique régionale, Horizons et débats a publié un plaidoyer en faveur du maintien du Fonds d’aide et a organisé dans un grand nombre de com­munes de montagne un sondage sur l’efficacité du Fonds (cf. éditions no 33, octobre 2005 et no 35, février 2006). Les réponses réfutaient l’affirmation du Conseil fédéral selon lequel cette forme d’aide n’était plus nécessaire. En voici quelques exemples:

Saas-Grund VS

«Le Conseil communal de Saas-Grund est unanimement d’avis que le Fonds d’aide aux investissements dans les régions de mon­tagne doit absolument être maintenu. La situation financière de nombreuses communes continue d’être très précaire. Elles ont absolument besoin d’aide financière, par exemple pour entretenir leurs infrastructures. Et lors de catastrophes naturelles comme des inondations ou des éboulements, elles ne peuvent couvrir leurs frais que si on leur prête de l’argent à des conditions avantageuses.
Il est vraiment souhaitable et nécessaire que ce Fonds soit maintenu et que les régions périphériques ne soient pas de plus en plus marginalisées par la création de nouvelles lois.»

Extrait du procès-verbal de la séance du 7/11/05 du Conseil communal de Saas-Grund

Kandersteg BE

La loi du 28/7/1974 sur l’aide aux investissements dans les régions de montagne (LIM) est une institution très utile. C’est grâce à elle qu’ont pu être réalisés dans notre commune, au cours des 18 dernières années, 6 projets importants représentant un volume total d’investissement de plus de 12 millions de francs. Sans cette aide, nous n’aurions probablement pas pu en réaliser la moitié. Les régions de montagne souffrent de plus en plus de ce qu’on les prive de leurs moyens d’existence. La perte d’emplois ne peut pas être compensée par d’incessantes réorganisations et réformes structurelles lorsqu’on ne dispose pas d’infrastructures attractives. Il ne faut donc pas s’étonner que les régions de montagne se dépeuplent petit à petit et que les recettes fiscales diminuent.
Les investissements effectués, avec ou sans prêts du Fonds, ont largement contribué à améliorer la qualité de notre habitat. Nous sommes convaincus que la jeune génération restera ou reviendra dans la commune une fois sa formation effectuée. En tout cas, nous constatons ces dernières années une augmentation continue de la population résidente.»

Extrait du procès-verbal de la séance du 9/11/05 du Conseil communal de Kandersteg

Nesslau-Krummenau SG

«Le Fonds d’aide aux investissements est un instrument précieux pour la sauvegarde et la promotion des régions de montagne. Ses prêts à long terme sans intérêts ont apporté aux communes une aide utile et financièrement supportable. Grâce à l’économie réalisée grâce à l’absence d’intérêts, la commune a pu entreprendre d’autres tâches importantes.»

Extrait du procès-verbal de la séance du 15/11/05 du Conseil communal de Nesslau-Krummenau

Ergisch VS

«Les aides du Fonds ont une grande importance pour notre commune. Sans ce soutien, nous ne pourrions pas réaliser certains projets. Aussi est-il indispensable pour l’entretien des infrastructures des communes de montagne.»

Résolution du 5/12/05 du Conseil communal d’Ergisch

Habkern BE

«Grâce au Fonds d’aide nous avons pu, depuis 1974, réaliser d’importants projets dans notre village de montagne. Sans ce Fonds, les infrastructures des communes de mon­tagne ne seraient de loin pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Il est donc étonnant que sa destination doive être modifiée. Nous sommes persuadés que les communes de montagne continueront d’avoir besoin de moyens financiers importants pour leurs infrastructures de base. Sans aide, les communes de montagne – parfois des vallées entières – ne pourraient pas réaliser ces investissements importants. […] Le Fonds d’aide doit absolument être conservé dans sa forme actuelle.»

Résolution du 8/11/05 du Conseil communal de Habkern

Parmi les cantons, c’est celui d’Uri qui a pris la position la plus nette: Quand les infrastructures de base sont insuffisantes, on ferme la porte aux initiatives entrepreneuriales. Le besoin d’aide financière persiste en raison de conditions environnementales diffi­ciles. Comme elles ne vont pas changer, il faut absolument conserver le système actuel.

Loi fédérale sur la politique régionale

Contrairement aux prises de position sans ambiguïté des communes de montagne concernées et contre toute raison, une majorité du Parlement a adopté la Loi fédérale sur la politique régionale et par là même le concept européen. La loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2008. Le Fonds d’aide aux investissements dans les régions de montagne a été modifié de la manière suivante:
1.    Nom: Il a reçu une nouvelle appellation: Fonds pour le développement régional. Le nom et le concept correspondent au Fonds pour le développement régional de l’UE.
2.    Capital: A l’époque, le Fonds d’aide aux investissements disposait de 1,5 milliard de francs. La plus grande part de cet argent était prêtée à long terme, c’est-à-dire entre 15 et 20 ans, et elle est remboursée par les communes de montagne de manière responsable. L’argent remboursé vient grossir aujourd’hui le Fonds pour le développement régional.
3.    Ce nouveau fonds doit verser chaque année 70 millions de francs d’aides. Cet argent est essentiellement destiné à des «initiatives, projets et programmes à caractère novateur» dans les régions de montagne et dans d’autres zones rurales. Il s’agit d’«encourager l’esprit d’entreprise et l’activité entrepreneuriale» et d’«améliorer des systèmes de valeur ajoutée». Les projets peuvent, voire doivent dépasser les frontières, également les frontières nationales. Il s’agit donc de créer des régions de différentes natures. Comme dans l’UE, les aides sont en grande partie accordées à fonds perdu. Certes les prêts remboursables pour des investissements dans des communes sont encore possibles, mais seulement s’ils sont liés à un «projet ou programme novateur».
4.    Comment ces aides sont-elles financées? Au début, la Confédération a versé chaque année 30 millions de francs provenant des contribuables. Elle s’attendait à ce que les cantons fournissent une somme égale. A cela s’ajoutent les remboursements des prêts accordés aux communes de mon­tagne au titre du Fonds d’aide aux investissements. Comme ces sommes diminuent d’année en année, il faudra à l’avenir augmenter les sommes provenant des impôts. Le Fonds pour le développement régional, comme son homonyme de l’UE, devra chaque année être alimenté avec l’argent des impôts. Pour la période 2008–2015, la Confédération prévoit un volume d’aides atteignant 1,2 milliard de francs dont la moitié environ sont à fonds perdu. Il est expressément précisé que ces aides ne doivent pas servir à cofinancer les infrastructures de base des communes, comme les conduites d’eau, les canalisations, les bâtiments scolaires, les bâtiments polyvalents, etc.

Affaiblissement des communes de montagne

Comment se présentent ces projets et programmes «novateurs»? Actuellement, on essaie de créer, dans de nombreuses régions de Suisse, des «parcs naturels». Il existe un total de 30 projets qui, eux aussi, suivent le modèle de l’UE. Horizons et débats en a parlé en détail dans son numéro spécial (no 45) du 22 novembre 2010. Le dernier projet, présenté ces jours-ci, est une Maison des médias consacrée aux Alpes (Bündner Tagblatt du 15/11/10). Un groupe de travail est chargé de la gestion du projet. Qu’apporte vraiment la Nouvelle politique régionale? Elle affaiblit les communes de montagne en les privant de l’aide aux investissements et en consacrant l’argent à des programmes discutables. Pouvons-nous nous permettre cela en pleine crise?

35 ans de politique régionale – Comparaison entre la Suisse et l’UE

Avec le Fonds d’aide aux investissements dans les régions de montagne, on n’avait fait dès le début que de bonnes expériences. Les résultats du sondage étaient tous positifs. Ils réfutaient l’affirmation du conseiller fédéral Deiss selon laquelle le Fonds n’était plus nécessaire parce que maintenant, toutes les routes et tous les bâtiments scolaires étaient construits. Le 9/8/04, la Neue Zürcher Zeitung publiait un article intitulé «Les communes de montagne sont financièrement saines». Selon l’auteur, les prêts du Fonds étaient remboursés consciencieusement et le taux de défaillance des com­munes était faible. La plupart des communes de mon­tagne maîtrisaient leurs finances. On a constaté que les politiques des petites communes géraient l’argent des contribuables de manière plus économe et faisaient moins de dettes que ceux des villes. Dans les années de crise 2008–2009 également, on n’a pas signalé de situations catastrophiques dans les com­munes de montagne, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays. Elles ne sont toujours pas touchées par la crise.

Evolution fâcheuse de l’UE

L’UE a expérimenté sa politique régionale pendant de longues années si bien que l’on peut en dresser le bilan. Elle a réalisé d’innombrables programmes et projets censés renforcer l’initiative entrepreneuriale, mettre en œuvre des idées nouvelles, pratiquer la collaboration transfrontalière et créer des structures économiques saines. On a dépensé des sommes considérables. Durant la seule période 2000–2006 (avant l’élargissement à l’Est), l’aide s’est élevée à 213 milliards d’euros, ce qui représente un tiers du budget communautaire. Depuis 1975, des montants énormes ont servi à financer les projets. Une grande partie de cet argent a bénéficié aux pays du Sud et à l’Irlande. Cette politique a-t-elle atteint ses objectifs? Les structures économiques de ces pays sont-elles renforcées au point de pouvoir résister à une crise?

Echec au «test de l’élan»

En Scandinavie, des journalistes ont effectué le test dit «de l’élan» sur des voitures nouvellement mises sur le marché. Il s’agissait de voir si la voiture restait stable quand son conducteur devait éviter un obstacle, par exemple la présence inopinée d’un élan sur la route. Or la politique régionale et structurelle de l’UE n’a pas réussi le «test de l’élan». Dans de nombreux pays, beaucoup d’indices montrent que les aides de l’UE ajoutées aux crédits accordés par les banques à la légère à des taux maintenus artificiellement bas par les banques centrales ont provoqué un boom éphémère. Les conséquences sont catastrophiques et feront reculer économiquement ces pays.

Nouvelles mesures en direction d’une union politique

Aujourd’hui, l’UE fait face à une crise profonde qui pose des questions structurelles. Sont remises en question non seulement la politique d’endettement de la plupart des Etats membres et la problématique union monétaire mais également la conception de la coûteuse politique structurelle et régionale pratiquée pendant de longues années. Bruxelles n’a de loin pas réalisé ses objectifs qu’elle introduit dans le débat politique à l’aide de méthodes de marketing. Que va-t-il se passer maintenant? Dernièrement, un nouveau fonds structurel a été créé, le Fonds européen de stabilisation financière (FESF), qui réalise de nouveaux transferts d’argent. Ce «fonds de sauvetage» doit être transformé, après 2013, en un Mécanisme européen de stabilisation (MES) qui sera permanent. Le Traité de Lisbonne, constitution de l’UE, sera modifié en conséquence. D’autres mesures sont en discussion: Bru­xelles va mieux surveiller les Etats membres. Les politiques écono­miques vont être pilotées depuis Bruxelles, des impôts communau­taires seront levés et peut-être va-t-on contracter des dettes communautaires (euro bonds = obligations en euros) dont tous les Etats de l’UE seront respon­sables. On créera ainsi une «union économique et budgétaire». On s’approche de l’objectif d’«Etats-Unis d’Europe» avancé en bien des endroits il y a cinquante ans. Ne sont-ce pas là des re­cettes centralistes bien connues qui ont échoué? Ne s’agit-il pas d’une médication qui a eu des conséquences catastrophiques?

Trahison à l’égard de l’Europe

Je voudrais conclure ces réflexions avec une citation de l’économiste libéral allemand Wilhelm Röpke qui, en 1958 (une année avant la fondation de la CEE) lançait le sage avertissement suivant: «La décentralisation est […] un élément essentiel de l’esprit européen. En conséquence, si nous essayons d’organiser l’Europe de manière centraliste, de la sou­mettre à une économie planifiée bureaucratique et en même temps de constituer un bloc plus ou moins fermé, c’est tout simplement trahir l’Europe et le patrimoine européen. Cette trahison serait d’autant plus perfide qu’on la commettrait au nom de l’Europe, en utilisant son nom de manière indigne.»4

Collaboration libérale entre structures décentralisées

Que signifie cette évolution pour la Suisse? Il ne s’agit pas uniquement de la Nouvelle politique régionale. Elle n’est qu’un exemple. Le Conseil fédéral et le Parlement ont, surtout dans les années précédant le changement de millénaire, réalisé de manière autonome des projets et programmes de Bruxelles sans en informer la population et sans lui demander son avis. La Suisse a trop longtemps navigué dans le sillage de l’UE. Je pense qu’il convient aujourd’hui de repenser un certain nombre de choses. Notre pays a l’avantage de prendre plus ses distances par rapport aux recettes dépassées que les commissaires européens et les responsables de Bruxelles qui ont créé cette politique et doivent en répondre.
La Nouvelle politique régionale de la Suisse a été décidée dans la période euphorique précédant la crise. Alors, tout semblait possible. Des programmes et des projets coûteux vantés en termes attractifs étaient censés réaliser des miracles, mais entre-temps, il s’était avéré dans l’UE que cette politique n’avait pas atteint ses objectifs. On a de bonnes raisons de penser qu’elle a eu des effets contraires à ceux qu’elle recherchait, c’est-à-dire que l’habitude de recevoir de l’argent a affaibli plutôt que renforcé l’esprit d’entreprise (ce contre quoi Silvio Borner mettait en garde dans son rapport). En outre, la politique de l’UE n’a pas entraîné une gestion financière économe caractéristique des entreprises saines. Au contraire, elle a éveillé de nouvelles convoitises et, ajoutée à l’octroi à la légère de crédits par les banques, elle a incité à vivre au-dessus de ses moyens.
Est-il raisonnable que la Suisse continue dans cette voie comme si de rien n’était? Aujourd’hui, la NPR affaiblit les com­munes de montagne parce qu’elle retire peu à peu les aides aux investissements qui étaient effi­caces et finance des projets discutables et controversés tels les «parcs naturels».

Relançons l’idée du «Fonds d’aide aux investissements dans les régions de montagne»

Ce Fonds a réussi brillamment le «test de l’élan» et pourrait être ressuscité et développé, éventuellement à l’étranger. En Allemagne et dans beaucoup d’autres pays, il apparaît que de nombreuses communes en crise ont des difficultés à assurer les services publics par manque d’argent. On ferme des piscines, on renonce à rénover des bâtiments scolaires, etc. C’est ici que s’avère utile la méthode du Fonds avec ses prêts à long terme sans intérêts. La Suisse n’a pas besoin de fusions de communes ou même de cantons imposées ni de création de régions destinées à faciliter la mise en œuvre des règlements et des programmes de l’UE. Ce qui convient le mieux à la Suisse, c’est la coopération libérale entre structures décentralisées.     •

1     Groupe de travail «Nouvelle politique régionale», Rapport à l’attention du DFE en vue d’optimiser le projet de nouvelle loi fédérale sur la politique régionale, Seco, 2005
2    Borner S., Wachstumsorientierte Wirtschaftspolitik durch regionale Clusterbildung? Inputpapier für die Expertenkommission: Überprüfung und Neukonzeption der Regionalpolitik, WWZ Universität Basel 2002
3     Université de St-Gall et C.E.A.T., Evaluation de l’aide aux investissements dans les régions de montagne (LIM), St-Gall/Lausanne, 15/10/04
4     Röpke, Wilhelm, Jenseits von Angebot und Nachfrage, Erlenbach-Zürich und Stuttgart, 1958, p. 330