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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 2/3, 3 février 2014  >  Ce dont les enfants ont besoin à l’école [Imprimer]

Ce dont les enfants ont besoin à l’école

par Alfred Burger, directeur d’école

Ces derniers temps, de plus en plus souvent on a inscrit dans notre établissement des enfants présentant de grandes lacunes malgré une intelligence normale. Ce sont les compétences de base en lecture, écriture et calcul qui leur manquent. Souvent, ils essaient d’éviter le travail demandé parce que l’intérêt leur manque. Parmi eux certains ont subi différentes thérapies, telles la logopédie, l’ergothérapie, la psychomotricité, sans avoir fait des progrès significatifs. Aujourd’hui, il est de coutume, de diagnostiquer de tels enfants après avoir effectué de multiples examens. Dans certains cas, de tels diagnostics sont effectués suite à des moyens financiers élevés attribués aux écoles recevant ces enfants. Une autre raison est due à la psychologie et la pédagogie actuelle, basées sur de nouveaux systèmes américains de classification.1 Les comportements enfantins, différents de la norme donnée, sont nommés et numérotés et traités comme troubles organiques du cerveau par des médicaments ayant des effets profonds sur le cerveau en développement. Avant les années 80 du siècle dernier, on donnait que trés rarement, dans des cas exceptionnels, des médicaments psychotropes aux enfants. La tradition européenne de la psychologie et pédagogie est basée sur la conception personnaliste de l’homme et voit les troubles du développement de la personnalité de l’enfant comme conséquences de problèmes humains. Par l’amélioration des processus psychiques dus aux moyens pédagogiques et psychologiques, on arrive à guérir ces troubles de façon durable. La conception utilitariste et économique de l’homme venant de l’espace anglo-américain depuis les années 1980 qui a écarté la tradition européenne en traitant les enfants par des interventions médicamenteuses pour les faire «fonctionner» est tout à fait contraire à la conception personnaliste. Ils s’ensuivent de graves conséquences pour l’avenir de nos enfants et pour le travail dans les écoles. Dans le numéro 31/32 du 28 octobre 2013 d’Horizons et débats, j’ai montré, à l’aide de l’exemple d’Alexandre, notre travail pédagogique basé sur la conception de l’homme en tant que personne: On voir l’enfant comme personnalité unique dans son milieu et on comprend ses «troubles» comme faisant partie du développement de sa personnalité. C’est dans ce contexte que sont donnés les points de départ pour un travail pédagogique fructueux.2 Dans l’article ci-dessous, je vais continuer ce fil de réflexions.
La pédagogie européenne est la suite d’une longue tradition et ancrée dans la conception de l’être humain en tant que personne. Alfred Adler, le médecin et psychologue viennois, fondateur de la psychologie individuelle (cf. encadré) nous y a fourni des inspirations essentielles. A l’encontre d’autres écoles de la psychologie des profondeurs, Alfred Adler relie la psychologie avec la pédagogie.3 D’après lui, l’école doit parfaire l’action éducative de la famille et la corriger, là où elle s’avère défaillante à cause du fait de la complexité du devoir éducatif. A l’époque, les enfants souffraient souvent d’une éducation sévère ou négligée, étaient souvent angoissés et méfiants. A notre époque, cela n’arrive que rarement. Aujourd’hui, les erreurs commises dans la famille ne sont pourtant pas moins graves. A cause de théories erronées, beaucoup d’enfants souffrent des conséquences plus ou moins exprimées d’une éducation du laisser-faire, d’être gâtés ou de l’inconséquence. Beaucoup de parents sont inquiets et n’osent plus éduquer leurs enfants. Le fait de mentionner le terme «éducation» soumet les parents et les enseignants au risque d’être perçus comme étant «autoritaires». Les enfants en subissent les conséquences: dans leur développement psychique et social, ils ne sont pas préparés aux devoirs de la vie, n’ont pas assez de patience dans l’apprentissage et ne supportent pas l’échec. La forte augmentation du nombre d’enfants en difficultés est la conséquence du fait que nous autres adultes voulons toujours leur faciliter la vie, et leur éviter les difficultés. Si l’on veut éliminer tous les obstacles, on ne les prépare pas aux déceptions ou aux échecs de la vie dont ils risquent également de faire l’expérience. En général, c’est à l’école que l’on voit si un enfant est suffisamment préparé à la vie. Il doit faire face aux obligations de l’apprentissage, ce qu’un enfant naturellement curieux et volontaire doit savoir faire normalement. Pour y arriver, l’enseignant doit établir une relation avec les enfants et les guider. Pourtant, depuis quelque temps, on peut observer un changement de paradigme, de l’enseignement guidé à l’apprentissage autonome (cf. encadré p. 8). Les enfants doivent trouver leur propre chemin pour acquérir les connaissances. Pendant que quelques enfants, ceux qui sont bien soutenus à la maison s’y retrouvent, il y en a beaucoup qui résignent, qui travaillent au-dessous du niveau réél de leurs capacités, se perdent dans un activisme vain, se bloquent ou sont complètement découragés. C’est souvent là que commence le rouage des diagnostics. Au lieu de combler les lacunes par des moyens pédagogiques, on fait des diagnostics et établi un appareil thérapeutique qui, à lui seul, rend ces enfants «perdants» ou les force à suivre un enseignement spécialisé. Cette procédure, assez commune aujourd’hui, est l’expression de la conception utilitariste de l’homme qui ne veut plus aider l’enfant à acquérir une bonne formation générale mais qui ne veut que le rendre fonctionnel. C’est tout à fait le contraire de notre conception de l’homme en tant que personne propre à la tradition culturelle de l’Europe.

De l’aide appropriée au lieu d’une capitulation de la pédagogie

Alfred Adler et beaucoup de pédagogues européens ont vu le rôle important de l’enseignant dans sa fonction d’éducateur et de médiateur de connaissances. Cela aussi est contraire à la conception anglo-américaine de l’enseignant comme facilitateur ou coach distribuant des tâches aux enfants qu’ils doivent accomplir de façon autonome dans un enseignement individualisé. La formation dans les hautes écoles pédagogiques est organisée de cette façon et les jeunes étudiants sont formés ainsi, et de ce fait ne savent plus guider ou éduquer les enfants. Selon la théorie régnante, chaque enfant doit trouver son chemin tout seul. Qui n’arrive pas à atteindre les objectifs est libéré de tout objectif. C’est la capitulation de la pédagogie! Pourtant aujourd’hui il est important que les enseignantes et les enseignants guident, encouragent, exigent et structurent la matière à enseigner.
Dans ce contexte, je pense à une fille que les parents m’ont amenée déjà au cours de sa deuxième année scolaire. Pendant longtemps, l’institutrice n’avait pas informé les parents des performances de leur fille, jusqu’au jour où elle les a convoqués pour leur expliquer que leur fille avait besoin d’examens médicaux et qu’il fallait consulter le pédagogue scolaire spécialisé. Maja n’arrivait pas à lire des phrases serpent (c’est à dire des mots attachés) ne se concentrait pas et n’était pas à la hauteur en allemand. Elle écrivait seulement quand on l’exigeait d’elle. Les parents s’étonnèrent, connaissant pourtant leur fille attentive et éloquente. Bien qu’elle aimait aller à l’école elle avait pris l’habitude de ne rien raconter à la maison. D’autres membres de la famille la décrivaient de plus en plus apathique. C’est pourquoi les parents sortirent leur fille de l’école et l’amenèrent chez nous. Il s’avéra assez vite qu’elle s’était sentie perdue dans un enseignement individualisé et autonome dans lequel l’enseignante n’entre jamais directement en contact avec les éleves. En conséquence, elle n’avait pas travaillé et beaucoup rêvé. Ce que l’institutrice n’avait pas remarqué ni commenté. On se rendit compte que l’enseignante n’avait plus corrigé les copies et qu’elle avait accepté les erreurs. Quand les parents faisaient des remarques, la fille leur répondait que l’institutrice avait accepté son travail et qu’elle n’allait pas le corriger. Contrairement à tout cela, nous l’instruisions et lui disions qu’elle devait travailler plus si elle voulait combler ses lacunes. Elle commença à se donner de la peine et bientôt, travailla soigneusement. Elle commença à raconter aux parents ce qu’elle avait appris à l’école. Ceux-ci n’ont presque plus reconnu leur fille tellement elle avait changé. C’est l’instruction directe et l’exigence de l’enseignante qui lui avait manqué. Elle avait commencé à s’habituer à un niveau inférieur à ses capacités intellectuelles. Par l’examen médical et l’appel au pédagogue spécialisé on aurait entamé un chemin tout à fait inapproprié, ce qui aurait signifié une sérieuse offense pour cet enfant.

Des diagnostics lourds en conséquence nuisent à l’enfant

Les examens médicaux signifient, dans la plupart des cas, une rupture dans le cursus scolaire d’un enfant. Dès lors, il va être dominé par des pédagogues spécialisés, la suppression des objectifs, l’enseignement conforme à la dyslexie ou la dyscalculie etc. Les diagnostics résultant suite à de tels examens sont les TDAH, les troubles de la motricité fine, les difficultés de concentration, les problèmes de perception, les faiblesses de mémorisation, les troubles autistes etc. Il y a des questionnaires pour enseignants et parents où on établit les bases pour les diagnostics en cochant «la case correspondante»; par exemple si un enfant souffre d’un certain symptôme spécifique comme le TDAH par exemple. En travaillant sur de tels questionnaires, on doit constater que les critères sous-jacents comprennent des attitudes propres à beaucoup d’enfants qui peuvent accompagner assez longtemps le développement d’un enfant. En déduire un trouble psychiatrique est grave. Ce n’est pas rare que ces examens entrainent toute une série d’autres examens se terminant par des diagnostics lourds en conséquence. Ce serait pourtant la tâche de l’enseignant d’aider l’enfant par des moyens pédagogiques et lui permettre de rattraper le niveau de la classe.

Des observations soigneuses sont importantes

On imagine facilement qu’un enseignant, un tel questionnaire en tête, trouve assez vite une cible et interprète toutes ses observations futures comme étant des preuves d’un trouble. On ne peut pas faire de reproche à tous ceux qui ont été formés de cette manière. Mais il faut quand même constater une certaine cécité ou déformation professionnelle. Ainsi personne n’a remarqué que les difficultés de Maja ne surgissaient que dans certains moments. Elles se faisaient voir en cours, mais pas quand elle jouait au Légo. Cela est donc vu comme «trouble partiel». En réalité, ces troubles ne décrivent que des symptômes surgissant momentanément dans des situations spécifiques et ne présentent pas de déficits innés. L’être humain est une entité et ses activités cérébrales sont les mêmes soit qu’il joue au Légo ou soit qu’il fasse du calcul. La recherche en neurologie prétend pouvoir prouver ces différences.
Mais en réalité il s’agit de spéculations et d’hypothèses non prouvées contredites déjà par de nouveaux résultats de la recherche en neurologie.4 L’absurdité de ces spéculations et de ces hypothèses non prouvées se fait voir par l’augmentation énorme de ces symptômes comme si, ces derniers temps, il y avait un changement dans l’équipement génétique de ces enfants. Ce qui est intéressant, c’est que dans certains pays européens, on ne trouve que très rarement ces diagnostics qui, pourtant, se répandent de façon épidémique dans d’autres – en Suisse par exemple.
Sur l’arrière-fond de la conception personnaliste de l’homme, ces diagnostics décrits ci-dessus présentent une vue réductrice car les difficultés dans l’apprentissage s’avèrent, en regardant de près, le plus souvent comme des troubles dans les relations affectives.

Mythologie du cerveau ou pédagogie?

Aujourd’hui, il y a une foule d’«experts» spécialisés pour découvrir et classer les enfants montrant des troubles à l’aide de manuels psychiatriques comme le CIM ou le DSM. Leur point de départ est l’idée que toute difficulté de l’enfant est causée par le cerveau. Comme le prouve Felix Hasler dans son livre «Neuromythologie», tous cela relève de la spéculation non prouvée, à travers laquelle l’industrie pharmaceutique et tout l’appareil scolaire s’imposent au détriment de nombreux enfants. C’est l’idée simpliste de l’homme comme une sorte de machine constituée d’un système de circuits de régulation. L’âme humaine et les processus émotionnels sont en réalité très compliqués. Pour les comprendre, il faut beaucoup de connaissances et une intuition bien entraînée. Dans ce domaine, la tradition de la pédagogie et de la psychologie personnalistes a montré de grands succès. Elle fut cependant complètement écartée et oubliée. Il serait important de s’en souvenir et d’y revenir.

Il ne peut en être ainsi: se sentir seul lors de l’apprentissage autonome

Nous l’avons vu avec Pedro, un autre garçon, arrivé chez nous au cours de sa deuxième année scolaire. Selon les dires des parents, il n’avait pas pu s’intégrer dans son école, y allait avec de moins en moins de plaisir et était devenu de plus en plus déprimé. L’analyse attentive de sa vie et de son milieu familial éclairait sa biographie d’apprentissage et nous à fourni la clé pour travailler avec lui. En première classe, Pedro était de plus en plus sous pression, lui, qui avait une sœur cadette à la maison. Cette sœur l’avait déjà doublé et il voyait partout des enfants s’en sortant mieux que lui. Il perdit vite courage et le plaisir d’aller à l’école. Seul, devant ses tâches contenues dans le plan hebdomadaire, il se sentait sans lien avec l’institutrice et ses camarades de classe et ne réussissait rien. S’y ajoutait l’organisation complètement chaotique de la matière – aujourd’hui demandée par les réformateurs et déjà réalisée dans beaucoup de manuels. On demande de résoudre des tâches que beaucoup d’enfants ne savent pas encore faire (on veut voir comment ils se débrouillent), on introduit plusieurs lettres de l’alphabet à la fois, on ne leur apprend pas à transgresser l’espace numérique de dix. Pour calculer au-delà de la dizaine, les enfants doivent se contenter de paquets de cinq, y ajouter un et puis en faire l’addition ou bien trouver leurs propres chemins pour arriver au résultat. Pour l’apprentissage de l’écriture, c’est la même chose, tout un chacun doit trouver son chemin pour écrire les lettres. Selon les réformateurs, écrire dans une case ou sur des lignes représente une contrainte, c’est pourquoi on laisse écrire les enfants comme bon leur semble. On n’a pas de mal à imaginer ce que ça donne. Il n’y en a seulement quelques-uns à survivre sans subir de dommages, beaucoup sont laissés pour compte – comme Pedro.

Reconnaître les problèmes en profondeur

Lors du travail avec Pedro, il s’avéra assez rapidement qu’il était intelligent mais qu’il se mettait lui-même sous pression afin de ne pas faire de fautes et de terminer tout le plus vite possible. Son écriture était illisible, il ne connaissait pas exactement les lettres, les lignes ne lui disaient rien. Après l’explication de l’enseignante, à quoi bon les lignes, il commença bientôt à écrire plus lisiblement et mieux, espérant même que son écriture soit belle. Il avait aussi des problèmes pour la lecture. D’abord, parce qu’on ne lui avait pas appris correctement les sons et puis parce qu’il ne prenait pas le temps de lire une lettre après l’autre et de les relier ensuite. Dès qu’il commençait à déchiffrer la première, ses yeux sautaient déjà à la dernière lettre du mot en devinant ce qu’il y avait entre les deux.
Faire toujours vite, est une attitude qui peut se développer en rapport avec les parents et les frères et sœurs. Un enseignant bien formé en pédagogie arrive facilement à la corriger. Nous avons montré à Pedro, comment apprendre pas à pas, à faire un devoir après l’autre au lieu de remplir la fiche de travail en un trait. Nous l’avons encouragé et nous l’avons instruit et nous l’avons persuadé que lui aussi était capable de répondre aux exigences. Soigneusement instruit par l’enseignante, Pedro commença à oublier son découragement et ses erreurs dans l’apprentissage. Dans ce processus, le modèle de l’enseignant ou de l’enseignante joue un rôle important. L’enfant le prend comme support pour grimper et devient de plus en plus indépendant et sûr de lui-même. Les parents ont observé une nette amélioration de l’humeur de leur fils. Le matin, il aime se lever et attend l’école avec plaisir. Aux parents, il montre ce qu’il a fait à l’école et en est fier. Avec lui, l’enseignante et les camarades de classe sont contents de ses progrès.
Combien nous paraît stérile cet enseignant comme «facilitateur» qui s’occupe surtout de ses plans hebdomadaires et signe les «compétences» remplies ou pas remplies. Cela n’a plus rien à voir avec le beau métier de professeur. Malheureusement, aux étudiants d’aujourd’hui, dans les hautes écoles pédagogiques, on n’apprend plus les rapports les plus simples en pédagogie et didactique. «L’académisation» de la profession enseignante avance continuellement ce qui nous mènera à une génération d’enseignantes et d’enseignants qui n’est plus préparée à la situation réelle de l’école avec les enfants.

Reconnaître le découragement et y apporter remède

Samuel ne faisait pas de progrès bien qu’il était accompagné depuis la première classe pendant deux heures de cours, par un pédagogue spécialisé. C’était un garçon joyeux aimant aller à l’école et ayant de bons rapports avec ses camarades de classe. Son histoire nous a aussi fait voir d’où pouvaient venir ses difficultés. Son frère aîné voulait aller au lycée, les parents avaient fait des études, mais Samuel était le raté qui, en troisième classe, en maths et en langue, était resté au niveau du début de la deuxième classe. Les parents étaient persuadés, et cela surtout après les examens de différents psychologues, que leur fils souffrait d’un déficit génétique. Ils avaient de moins en moins confiance en lui. Lui, élève de la quatrième classe, tous les jours, était amené à l’école, par sa maman, bien qu’habitant qu’à 500 mètres. A la maison, pour la moindre réussite, il recevait de grandes louanges. Dans notre établissement, il intégra une classe peu nombreuse. Ses performances s’amélioraient continuellement. Nous avons réalisé son intelligence qui n’avait pas pu se montrer parce que personne n’avait rien exigé de lui. Il avait peu de confiance en lui et s’assurait toujours auprès des enseignants pour savoir si son résultat était bon.
Tout enfant a des côtés positifs. Un pédagogue expérimenté s’en rend compte et aide l’enfant à réussir. Avec le temps, il ose attaquer des domaines qu’il avait écartés jusqu’alors. Nous avions réussi à ce que Samuel fasse des progrès. Alors nous avons commencé à travailler avec lui des situations où il pouvait réussir en réfléchissant lui-même. En cours de travaux manuels, il devait fabriquer des rouleaux à papier et les envelopper d’un élastique. Pour gagner du temps, l’enseignante lui proposa de garder les élastiques au poignet. Dès qu’il avait fabriqué le premier rouleau, il courait vers l’enseignante pour lui demander où se trouvaient les élastiques. Elle lui répondit seulement qu’il savait bien. Il mit donc son cerveau en action et se rappela des élastiques qu’il avait à son poignet. De tels petits événements sont importants pour développer la confiance dans la propre faculté de réflexion. Nous arrivions aussi à persuader les parents d’exiger davantage de lui. Ainsi, au cours d’une année, il gagnait en courage et en confiance en lui-même. Aujourd’hui, en se comparant avec d’autres, il ne pense plus instantanément qu’il fait moins bien qu’eux. Il entre en concurrence et tient bon. D’autres enfants, éprouvant ces sentiments de découragement, deviennent des objecteurs, difficilement à gagner pour l’apprentissage. Ils évitent les exigences et posent beaucoup de problèmes aux enseignantes et enseignants. Cela demande une toute autre démarche.

 Prendre soin du métier du professeur

Une enseignante ou un enseignant se retrouve en face d’enfants très différents qui, pour des raisons diverses apprennent bien ou mal. Aider à réussir le plus d’enfants possible rend ce métier si beau. Que y a-t-il de plus satisfaisant que de comprendre la personnalité individuelle des enfants et de les guider et amener à la réussite dans une relation solide entre enseignant et enfant. Pour moi, selon ma conception de cette profession, elle est la plus belle de toutes les professions possibles. Prenons soin de cette profession qu’elle ne soit pas réduite à un métier administratif où on introduit des compétences préalablement conçues comme dans un système de régulation où on obtient des résultats à l’aide de questionnaires préfabriqués. Un robot ou un ordinateur serait capables de faire cela en classe.
Il est temps de se défendre
Pour nos générations futures, pour notre démocratie directe et pour le maintien d’une économie viable, un tel développement serait d’une grande fatalité. Souvenons-nous: il y a vingt ans, le ministre anglais de l’éducation dut constater qu’une partie considérable de la jeunesse anglaise était «unemployable», après avoir terminé l’école. Aujourd’hui, nous sommes en train, surtout avec le Plan d’études 21, d’assumer sans avoir regardé de près, des contenus essentiels du système scolaire anglo-saxon. Les parents, ne devraient-ils pas commencer à se défendre tant qu’on en a encore le temps?     •

1    cf. Horizons et débats no 35/36 du 26/11/13
2    cf. Horizons et débats no 31/32 du 28/10/13
3    Adler et ses disciples développèrent à Vienne des écoles expérimentales et un réseau de service de consultation pédagogique. Cf. Handelbauer. Die Entstehungsgeschichte der Individualpsychologie Alfred Adlers. Wien/Salzburg 1984, p. 167–192
4    cf. Hasler, F. Neuromythologie, Bielefeld 2013, p. 81–176

La psychologie individuelle

ab. Alfred Adler en est le fondateur. La personnalité de l’être humain est un tout, elle est indivisible. Adler considère la psyché comme un organe, un instrument de survie, qui se développe dès les toutes premières années – grâce aux interactions relationnelles compliquées entre l’enfant et les personnes de son entourage – en tant que caractère, en réponse à la situation individuelle de chaque être humain. Durant plus ou moins toute sa vie, l’être humain garde son caractère telle une unité poursuivant un but précis. Alfred Adler considère le développement du «sentiment social» comme étant une nécessité primordiale pour l’accomplissement des devoirs de la vie que sont l’amour, la communauté et le travail. Adler et ses élèves considéraient l’école comme étant un lieu idéal pour développer le sentiment social chez l’enfant.

CIM, CIF-EA, DSM

ab. Il s’agit de systèmes de classification des maladies psychiques. CIM et CIF-EA nous parviennent de l’OMS, DSM des Etats-Unis. L’introduction du CIM-10 correspond à un changement de paradigme: on s’éloigne de la conception personnaliste de l’être humain, qui voit l’origine des troubles dans le domaine des relations humaines, pour se tourner vers l’interprétation mécanistique américaine, qui voit l’origine des troubles dans le domaine des dysfonctions cérébrales. Avec le CIF-EA, on a créé un catalogue des troubles chez l’enfant et l’adolescent. Ces catalogues comprennent une série de symptômes qui mènent, en raison de leur fréquence, à un diagnostic. (cf. Horizons et débats no 35/36 du 25/11/13, supplément p. II)

Enseignement autonome – apprentissage individualisé

ab. Ces deux termes émanent de la théorie du constructivisme qui part de l’idée que chaque être humain construit sa propre image de la réalité. C’est pourquoi chaque personne doit acquérir ses connaissances selon sa propre méthode individuelle. La conséquence de cette théorie est l’enseignement individualisé, où chaque enfant décide lui-même ce qu’il veut, quand il veut, s’il veut et comment il veut apprendre. L’enseignant n’a plus que la fonction d’accompagnateur qui met à disposition le matériel d’apprentissage. Dans le cadre de cet enseignement autonome, c’est dès le début l’élève qui décide comment il veut apprendre. Il va de soi que suite à un tel «enseignement» la plupart des enfants se sentent rapidement isolés, sont découragés et ne peuvent développer le sentiment de leur propre valeur. On les prépare ainsi à fonctionner comme des pantins dans un système économique. Ne parlons donc pas d’individualité mais plutôt de mise au pas. En fait, la théorie du constructivisme est un des fondements de la théorie de la mondialisation de Milton Friedman. Dans son système, l’Etat n’exerce plus aucun contrôle sur l’économie – c’est le libre marché qui règle tout – et il ne garantit plus que quelques besoins fondamentaux de l’être humain. A part cela, chacun est libre de faire de sa vie ce qu’il veut. De même à l’école, dès la première année scolaire tout élève peut décider lui-même des buts qu’il veut atteindre. L’école ne fait que mettre à sa disposition le matériel d’apprentissage.