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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°3, 21 janvier 2013  >  La souveraineté, le droit et le pouvoir [Imprimer]

La souveraineté, le droit et le pouvoir

«Aucun Etat n’a plus de valeur qu’un autre. Aucun pays ne doit en dominer un autre. Aucun peuple n’opprimera un autre.»

Discours du Président de la Confédération Ueli Maurer, prononcé à l’occasion de la cérémonie de présentation des vœux de Nouvel An du Corps diplomatique, le 9 janvier 2013 à Berne

Monsieur le Nonce,

doyen du corps diplomatique,

Monsieur le Conseiller fédéral,

Madame la Présidente du Conseil national,

Monsieur le Président du Conseil des Etats,

Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,

 

Mesdames, Messieurs,

J’aimerais vous remercier chaleureusement, au nom du Conseil fédéral, pour tous les bons vœux que vous avez adressés à la Suisse, à ses citoyennes et à ses citoyens. J’ai également été très touché par les souhaits de bonne année destinés au Conseil fédéral et à moi-même. A mon tour, j’ai l’honneur et le plaisir de vous apporter, à vous et aux Etats que vous représentez, les meilleurs vœux du Conseil fédéral et de la population suisse.

Le droit et le pouvoir en Suisse

Pendant les Fêtes, je suis allé au Musée des chartes fédérales à Schwyz où est conservé le Pacte fédéral de 1291. Cette charte constitue la première alliance entre des Suisses qui l’ont fait évoluer au cours des siècles pour aboutir à la Confédération suisse d’aujourd’hui.
L’histoire est passionnante: notre pays est né d’un ordre pacifique établi entre les communautés des vallées de Suisse centrale. «Mesures prises en vue de la sécurité et de la paix» est précisément l’expression utilisée dans ce vénérable document rédigé en latin. Les communautés reconnaissent qu’elles sont égales entre elles. Le pacte prévoit des règles pour sortir d’un conflit sans recourir à la violence.
Chacune des parties contractantes renonce à prendre une position dominante par rapport aux autres.
Ce fait historique est important: la loi du plus fort est abolie; le plus puissant n’imposera donc plus sa volonté. Le pacte stipule que tous les signataires sont égaux en droits. Ils traitent d’égal à égal. Et plus essentiel encore: ils remplacent le pouvoir par le droit.

Le droit et le pouvoir en Europe

Comme vous le savez tous, deux facteurs déterminent les relations internationales, à savoir le pouvoir et le droit.
En tant que représentant d’un petit Etat, ce champ de tension m’intéresse au plus haut point. Je souhaite donc l’examiner plus en détail.
Je me concentrerai sur l’Europe et son passé. La raison en est toute simple: je connais le mieux l’histoire de l’Europe et la situation politique qu’on y observe. Mais je suis certain que l’histoire des Etats situés sur d’autres continents permet de tirer des enseignements similaires.
Le passé de l’Europe est brillant et riche. Il est aussi sanglant et marqué par la souffrance. La guerre de Trente Ans est un exemple saisissant.
Cause de grande misère, elle est néanmoins synonyme de progrès sur un point. Avec les Traités de Westphalie conclus en 1648, de nouveaux principes sont apparus sur la scène politique internationale: les Etats sont désormais souverains et les relations interétatiques dorénavant régies par le droit.
Il a fallu négocier durant des années à Münster, Osnabrück et Nuremberg pour parvenir à un ordre pacifique. Le résultat ressemble aux dispositions du Pacte fédéral de 1291. L’égalité entre les Etats est reconnue et les relations internationales sont régies par le droit plutôt que par le pouvoir.
On considère donc les Traités de Westphalie comme le début de l’histoire d’un ordre pacifique européen établi entre des Etats égaux en droits. Cet ordre pacifique se développera pour déboucher sur le concept moderne d’Etat souverain et le droit des gens que nous connaissons aujourd’hui.
Les Traités de Westphalie sont à la base du système westphalien: les Etats sont souverains et égaux en droits.
Ces accords n’ont certes pas instauré une paix perpétuelle en Europe. Toutefois, notre continent a pu bénéficier ainsi d’une stabilité politique décisive qui a ouvert la voie à un progrès durable et favorisé l’essor économique.

Le droit et le pouvoir dans le monde

D’un point de vue général, ce processus s’est répété après les deux guerres mondiales et à la fin de l’ère coloniale.
En 1918, Woodrow Wilson, alors président des Etats-Unis, a encouragé le droit des peuples à l’autodétermination. Il s’est par la suite vu décerner le prix Nobel de la paix.
Après la Seconde Guerre mondiale, les principes de la souveraineté étatique et du droit ont été inscrits dans la Charte des Nations Unies.
Selon l’art. 1, ch. 2, de cette charte, les Nations Unies ont notamment pour but de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde.
Et à son art. 2, ch. 1, cette charte stipule que l’organisation est fondée sur le prin-
cipe de l’égalité souveraine de tous ses Membres.
En résumé, aucun Etat n’a plus de valeur qu’un autre. Aucun pays ne doit en dominer un autre. Aucun peuple n’opprimera un autre. Les Etats sont en effet souverains et égaux en droits. Leurs relations se fondent sur le droit et non sur le pouvoir.

Le droit et le pouvoir aujourd’hui

Je suis cependant inquiet parce que ces acquis pourraient finir aux oubliettes.
La crise de la dette et une récession mondiale accentuent les divergences d’intérêts. La tentation croît pour les grands Etats de ne plus accepter les petits comme des partenaires d’égale valeur: pourquoi un grand Etat se lancerait-il dans des négociations longues et compliquées avec un Etat plus petit alors qu’il pourrait simplement lui
dicter ses conditions? Alors qu’il serait plus facile de déclarer que son ordre juridique s’applique également au-delà des frontières.
Je constate une recrudescence de la tendance des Etats à mener une politique hégémonique. Et je m’en inquiète.
Car je suis convaincu que les pays doivent résoudre, à leur manière et comme il leur convient, les diverses difficultés se présentant à eux. Je crois à la concurrence pacifique entre les économies nationales. J’ai foi en la diversité de ce monde, en la possible coexistence pacifique d’un grand nombre d’Etats souverains qui, tels des partenaires loyaux, entretiennent des relations d’égal à égal.
Des Etats souverains dont les relations mutuelles sont régies par des conventions, voilà le moyen de parvenir à la prospérité économique et au bien-être dans le monde entier parce que chaque pays peut se structurer et se positionner au mieux en tenant de ses particularités.
Il n’y a ainsi que des gagnants. Les grands Etats peuvent même tirer avantage des plus petits. Par exemple, l’économie suisse a investi près de 900 milliards de francs à l’étranger. Les entreprises suisses ont notamment créé plus de 2,6 millions de places de travail dans le monde entier, sans compter le quart de million de frontaliers qui gagnent leur vie dans notre pays.
De longue date, la Suisse s’est également engagée pour la bonne entente entre les Etats. Son statut d’Etat neutre et indépendant prédestinait notre pays à l’exercice de telles missions. Nous formons un petit Etat n’appartenant à aucune alliance. On ne peut donc pas nous soupçonner de poursuivre une politique hégémonique.
La Suisse est l’Etat dépositaire des Conventions de Genève de 1949 ainsi que des Protocoles additionnels de 1977 et 2005. Les engagements humanitaires font bien partie de notre histoire: le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a été fondé en 1863, il y a maintenant 150 ans, à Genève. En 1864, douze Etats signaient déjà la première Convention de Genève. Depuis lors, des Suisses apportent leur aide pour soulager la souffrance dans le monde entier lors de crises ou de guerres.
Nous nous réjouissons que le statut de neutralité de la Suisse permette l’organisation d’entretiens sur notre territoire. Nous sommes fiers que la ville de Genève abrite le siège de nombreuses organisations internationales importantes. Et nous continuons à tout faire pour que nos missions de bons offices contribuent à faire régner la paix dans le monde.
Cet engagement en toute impartialité repose sur notre conviction qu’aucun Etat ne ressemble à un autre et que les différences entre les pays sont tant permises que requises.

Conclusion

Des Etats souverains et des relations interétatiques fondées sur le droit et non sur le pouvoir, tels sont les enseignements que nous pouvons tirer de l’histoire. Ces principes sont nés à la suite de grandes tragédies. Et de l’expérience faite que tous peuvent profiter de l’épanouissement de l’ensemble des Etats, grands ou petits.
Je suis persuadé que vous vous engagez avec force et conviction pour un monde pacifique et prospère. Pour un monde dans lequel peuples et Etats se rencontrent dans le respect et entretiennent des relations d’égal à égal en tant que partenaires souverains. Pour un monde qui accorde plus d’importance à la souveraineté et au droit qu’à une politique hégémonique.
Au nom du Conseil fédéral, j’adresse, à toutes les personnes présentes, les meilleurs vœux de succès dans l’accomplissement de leurs importantes tâches.    •

Source: Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports

«Car je suis convaincu que les pays doivent résoudre, à leur manière et comme il leur convient, les diverses difficultés se présentant à eux. Je crois à la concurrence pacifique entre les économies nationales. J’ai foi en la diversité de ce monde, en la possible coexistence pacifique d’un grand nombre d’Etats souverains qui, tels des partenaires loyaux, entretiennent des relations d’égal à égal.»

«Je suis persuadé que vous vous engagez avec force et conviction pour un monde pacifique et prospère. Pour un monde dans lequel peuples et Etats se
rencontrent dans le respect et entretiennent des relations d’égal à égal en tant que partenaires souverains. Pour un monde qui accorde plus d’importance à la souveraineté et au droit qu’à une politique hégémonique.»