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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°14, 15 avril 2013  >  Puissance maritime russe dans la Méditerranée orientale? [Imprimer]

Puissance maritime russe dans la Méditerranée orientale?

par Albert A. Stahel, Institut für Strategische Studien, Wädenswil

Le premier tsar qui a visé le statut de puissance maritime pour la Russie a été Pierre le Grand (1672–1725). Après avoir écrasé la révolte des troupes des streltsy moscovites (1682–1684) et après s’être imposé comme souverain absolu à Moscou, il s’est dirigé vers la conquête de la mer d’Azov et l’a arrachée aux Ottomans. Lors de cette expédition militaire, qui a duré de l’été 1695 jusqu’au juillet 1696, il a été soutenu par son ami et amiral russe, le Genevois F. J. Lefort (1656–1699). Le couronnement de ses efforts pour imposer la Russie en tant que puissance maritime sur la mer Baltique, a été la victoire sur la Suède lors de la bataille de Hanko (7 juillet 1714). Pierre a exigé alors des Suédois, dans le Traité de Nystad (30 août 1721), l’abandon des pays Baltes et de la Carélie du Sud. La Russie est ainsi devenue puissance maritime dans la mer Baltique. Le 2 novembre 1721, Pierre s’est proclamé empereur.
Tous les tsars suivants ont aspiré, pour la Russie, à un élargissement du statut de puissance maritime. En tant que puissance maritime, la Russie devait avancer vers les mers chaudes et évincer d’autres puissances maritimes de ces mers. Déjà en 1809, la Russie avait atteint, sous le tsar Alexandre 1er, cet objectif par rapport à la mer Baltique par une victoire définitive sur les Suédois et l’annexion de la Finlande. Les Russes ont rencontrées des difficultés plus importantes lors de l’incursion dans la Méditerranée orientale. Cela nécessitait de vaincre l’Empire ottoman, qui dominait le Bosphore et le détroit des Dardanelles. En plus de leur puissance militaire, les tsars ont invoqué leur rôle de protecteur de l’orthodoxie. Le tsar Ivan IV (le Terrible 1533–1584) avait lors de son intronisation (1547) désigné Moscou comme troisième Rome et s’est déclaré successeur des empereurs byzantins. Pour les tsars, protecteurs de l’orthodoxie, il était évident de reconquérir Byzance, la seconde Rome, que les Ottomans avaient occupé en 1453. Au XIXe siècle, la Russie s’est proclamée force de libération des sujets chrétiens par rapport aux sultans païens en Europe du Sud-Est et a instrumentalisé les chrétiens orthodoxes pour des objectifs russes en les montant contre le sultan.
Après que la Russie ait attaqué l’Empire ottoman lors de la guerre de Crimée de 1854 à 1856 et subi une défaite contre l’alliance des Britanniques, Français et Ottomans, il semblait que Moscou avait définitivement renoncé à cette aspiration au pouvoir. La Révolution d’octobre de 1917, a même éliminé le régime tsariste.
Ce n’est qu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale que le souverain russe Staline a revendiqué à nouveau un pouvoir sur la Méditerranée orientale. Pour cela, il a soutenu à partir de 1945, la rébellion des communistes contre le gouvernement grec à Athènes. Avec la déclaration de la doctrine Truman du 12 mars 1947, le Royaume-Uni, comme grande puissance importante dans la Méditerranée orientale, dont l’économie se trouvait au bord de l’effondrement en raison de la Seconde Guerre mondiale, a été remplacé par les Etats-Unis. Grâce à la rupture du souverain yougoslave Tito avec Staline, la révolte communiste en Grèce s’est effondrée en 1949. Les revendications territoriales de Staline sur la Turquie ont également été repoussées par les Etats-Unis. La mort de Staline le 5 mars 1953 a provisoirement mis fin aux prétentions de l’URSS sur la Méditerranée orientale.
Lors de l’avènement au pouvoir de Nikita Khrouchtchev, Secrétaire général de l’URSS, Moscou noua des liens étroits avec des despotes arabes de la Méditerranée orientale. En mai 1964, Khrouchtchev a attribué au souverain Nasser, au cours de son voyage en Egypte, l’ordre de Lénine et le titre de «Héros de l’Union soviétique». Peu à peu, l’URSS a obtenu l’accès aux ports méditerranéens égyptiens de Saloum et d’Alexandrie et de celui de Lattaquié en Syrie. Préalablement aux guerres de 1967 et 1973, Moscou a fourni d’immenses livraisons d’armes aux deux pays arabes. Grâce aux ports, un escadron de guerre soviétique a toujours pu être stationné dans la Méditerranée orientale. Mais avec le détournement de l’Egypte de Moscou en 1972, sous le souverain égyptien Sadat, la position de l’URSS dans la Méditerranée orientale semblait affaiblie. Moscou a essuyé un autre revers avec l’effondrement de l’URSS en 1991 et la dissolution de sa flotte sur la mer Noire évitée de justesse. La flotte a non seulement été partagée entre la Fédération de la Russie et l’Ukraine, mais elle n’a plus reçu de nouveaux navires de guerre à cause de la dégradation de l’industrie de l’armement soviétique. La présence de la Russie en Méditerranée orientale semblait terminée.
Après son arrivée au pouvoir en 1999, le nouveau dirigeant russes Vladimir Poutine, a introduit un nouveau tournant. Certes, la flotte sur la mer Noire n’a pas reçu jusqu’à ce jour de nouveaux navires de guerre, mais elle est mieux entretenue et la présence russe sur la Méditerranée orientale a été renforcée. Lors de la guerre contre la Géorgie en 2008, la Flotte de la mer Noire a prouvé sa disponibilité en dissuadant la flotte méditerranéenne américaine de soutenir la Géorgie.
Grâce aux difficultés de l’UE de préserver Chypre de la faillite, Moscou reçoit maintenant une nouvelle occasion de consolider sa position stratégique dans la Méditerranée orientale. Pour cela, Poutine fait recours aux moyens des tsars. D’une part, Moscou revendique le droit de protection de l’orthodoxie, d’autre part, la Russie influence la Chypre grecque orthodoxe indirectement par le biais de l’Eglise orthodoxe chypriote. Le but de cette manœuvre est évident. Moscou vise à rétablir la position sur la Méditerranée orientale qu’il avait avant l’effondrement de l’URSS. C’est essentiellement au détriment de l’UE. Mais, le but à long terme devrait être la réalisation de l’ancien plan des tsars. Avec l’aide des nations frères orthodoxes des Balkans et des Iraniens qui sont alliés avec la Russie, la Turquie pourrait être mise à genoux politiquement, ce qui ferait sauter le verrou contre la percée russe en Méditerranée orientale. Israël, où vit une grande communauté de juifs russes, pourrait également soutenir la stratégie russe. Après l’humiliation de la Turquie s’ensuivrait la possibilité de maintenir le régime syrien d’Assad, grâce à la cessation forcée de l’aide turque aux rebelles syriens. Si cette stratégie russe devait être couronnée de succès, les Etats-Unis perdraient leur puissance maritime sur la Méditerranée orientale. La perte de cette position de force serait équivalente à la perte de son hégémonie géopolitique en Europe. Dans une telle situation, la Russie pourrait non seulement dominer la Méditerranée orientale en tant que puissance maritime, mais également imposer les revendications russes aux Européens.    •

Source: www.strategische-studien.com  du 25/3/13

(Traduction Horizons et débats)