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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°5, 8 fevrier 2010  >  Agitation guerrière et politique secrète [Imprimer]

Agitation guerrière et politique secrète

Qu’ont convenu à Berlin les gouvernements allemand et israélien?

par Karl Müller

Dans son livre «Es war einmal in Palästina. Juden und Araber vor der Staatsgründung Israels» (paru en langue allemande en 2005, ISBN 3-88680-805-X, cf. pages 43 sqq), l’historien israélien Tom Segev a démontré que le gouvernement britannique avait, pendant la Première Guerre mondiale, cédé au mouvement sioniste, notamment à l’une de ses personnalités importantes, Chaim Weizmann, par la suite devenu le premier président de l’Etat d’Israël, sur toutes les questions touchant la Palestine. Cela ne se passa pas par conviction, mais dans l’idée que les Juifs pourrait utiliser leur «influence largement étendue dans le monde» pour «influer sur l’issue de la guerre mondiale». Pour les Britanniques il s’agissait, selon Tom Segev, de gagner le mouvement sioniste à leurs fins. Les droits de la population arabe, largement majoritaire en Palestine, n’avaient aucun poids.
Les professeurs américains en sciences politiques, John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, ont démontré dans leur livre intitulé «Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine» (paru en français en 2007, ISBN 978-2-7071-5701-0) que, depuis plusieurs décennies, la pièce maîtresse de la politique moyen-orientale des Etats-Unis a été le soutien inconditionnel à Israël et que celui-ci ne peut s’expliquer par des intérêts stratégiques communs ou des impératifs moraux, mais bien par la puissance politique des groupes de pression pro-israéliens aux Etats-Unis mêmes.

D’où vient ce soutien inconditionnel à Israël?

Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, on prétend que le soutien inconditionnel à la politique israélienne viendrait, sans qu’on puisse le remettre en doute, de la responsabilité du pays pour les six millions de morts juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et le pouvoir national-socialiste en Allemagne.
Cet argument n’est toutefois pas solide, étant remis en cause chez une partie des Juifs eux-mêmes. Il suffit de rappeler des livres tels que celui de Norman G. Finkelstein «L’industrie de l’Holocauste: réflexions sur l’exploitation de la souffrance des juifs» paru en français en 2001), ou d’Avraham Burg, «Vaincre Hitler: pour un judaïsme plus humaniste et universaliste» (paru en français chez Fayard, 2008).
Lors de la commémoration du 27 janvier, lorsque le président d’Israël, Shimon Peres tint un discours au Bundestag, il y eut une autre commémoration juive avec l’appel suivant: «Des Juifs religieux – survivants et victimes de l’holocauste – présentent, pour la première fois depuis la fondation de la République fédérale allemande, leur point de vue de l’histoire. Ils insistent sur le fait que la direction de l’Etat sioniste n’a pas le droit d’utiliser les victimes juives de la Seconde Guerre mondiale pour opprimer le peuple palestinien – cela d’autant moins que ce peuple n’est en rien responsable des crimes du régime hitlérien.» On se demande alors pourquoi la politique allemande soutient inconditionnellement la politique d’Israël.

Est-ce un soutien pour la violation du droit international et des droits humains?

Cette question est d’autant plus importante qu’il apparaît clairement – ce dont la politique allemande est parfaitement consciente – que ce soutien est en faveur d’une politique qui viole depuis des décennies le droit international, le droit humanitaire et les droits humains, tous ces droits inscrits dans la Constitution allemande. Ce soutien va à une politique responsable, au cours des années passées, directement ou indirectement, de conséquences désastreuses: en 2003 la guerre contre l’Irak (cf. Stephen J. Sniegoski: «The Transparent Cabal. The Neoconservative Agenda, War in the Middle East, and the National Interest of Israel», 2008, ISBN 978-1-932528-17-6), en 2006 la guerre contre le Liban, ainsi que la guerre en permanence contre le peuple palestinien. Et maintenant, la politique israélienne pousse de toutes ses forces vers une guerre contre l’Iran.

Le rôle d’Angela Merkel

Ce nonobstant, les gouvernements allemands se sont toujours plus liés à la politique israélienne, le plus ouvertement depuis qu’Angela Merkel est chancelière – ce qui n’a pas manqué d’être remarqué sur le plan international (cf. Judy Dempsey: «Embracing Israel Costs Merkel Clout»; in: «The International Herald Tribune» du 20 janvier) et perçu comme un obstacle aux efforts constructifs de l’Union européenne en faveur du Moyen-Orient.
En 2005 déjà, Angela Merkel avait tenté de placer l’alliance avec Israël sous la raison d’Etat. Depuis, elle n’a cessé de développer cette tendance et d’en faire une volonté gouvernementale: dans l’accord de coalition du nouveau gouvernement on trouve non seulement que «le gouvernement allemand se sent particulièrement responsable envers Israël», mais encore envers «Israël en tant qu’Etat juif» (page 113 de l’accord de coalition) – alors même qu’actuellement encore 20% de la population de ce pays sont des Arabes et environ 5% ne sont ni juifs ni arabes. Toutefois, le ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Liebermann, de même que le gouvernement israélien n’utilisent plus que l’appellation «Etat juif».

Merkel parle de sanctions, sans s’occuper d’un mandat du Conseil de sécurité …

En janvier, les échanges des gouvernements germano-israéliens, et quelques jours plus tard une visite du président de l’Etat d’Israël en Allemagne, ont attiré l’attention sur les relations entre les deux pays.
Le but de ces deux rencontres apparut clairement lors de la conférence de presse d’Angela Merkel et de Benjamin Netanjahu le 18 janvier. Merkel ne se contenta pas d’évoquer de façon générale l’objectif de «renforcer la coopération dans la politique étrangère et de sécurité», mais aborda le problème de l’Iran: «Nous, Allemands, avons déclaré clairement que si l’Iran ne change pas d’attitude, nous participerons à des sanctions étendues. Nous souhaitons bien entendu, qu’elles puissent être appliquées dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations Unies. On va préparer le terrain dans les semaines à venir.» Puis la chancelière ajouta: «Si cela n’était pas possible, alors l’Allemagne s’allierait à d’autres pays poursuivant le même objectif pour appliquer de telles sanctions.»

… et l’agitation guerrière en Israël

Le Premier ministre israélien a pu, sans être contredit, s’adonner à une agitation guerrière pendant la conférence de presse, en utilisant un argument historique douteux: «Le deuxième point concerne l’Iran. Ce pays a montré son vrai visage au cours de l’année dernière. C’est un régime qui tyrannise sa propre population. Or on sait de l’histoire récente qu’un régime qui tyrannise sa propre population s’apprête à étendre sa tyrannie au monde entier. […] Je pense qu’au cours de la première moitié de ce XXIe siècle nous devrons, en tant que communauté internationale, montrer que nous sommes décidés à agir.»
Le président de l’Etat d’Israël se lança dans le même genre de discours, lors de son apparition devant le Bundestag, sous le titre «Plus jamais!», en s’écriant: «On ne devra plus jamais ignorer des dictateurs sanguinaires qui se cachent derrière des masques démagogiques et tiennent des discours criminels. Mes amis, représentants du peuple allemand, les menaces de détruire notre peuple et notre Etat [ce qui ne fut le cas d’aucun gouvernement iranien – Note de l’auteur] sont proférées à l’ombre d’armes de destruction massive [dont l’existence est prétendue sans aucune preuve – Note de l’auteur] qui se trouvent aux mains d’êtres irrationnels, irresponsables et qui ne disent pas la vérité».

Y a-t-il des accords secrets entre l’Allemagne et Israël?

La question se pose de savoir ce que les deux gouvernements – l’allemand et l’israélien – ont décidé lors de leurs négociations, en ce qui concerne cette question.
S’agissait-il uniquement «d’une extension des relations culturelles», «de projets communs pour l’adduction d’eau dans les pays en voie de développement» et l’extension «de la coopération entre les classes moyennes allemandes et israéliennes»? C’est ce qu’on trouve dans la déclaration à la presse du gouvernement allemand le 18 janvier.
Ou bien a-t-on conclu des accords secrets à propos de l’Iran dans le dos des populations? On doit se poser cette question; car il est tout à fait inhabituel que deux gouvernements se rencontrent au grand complet. Une telle rencontre des gouvernements allemand et israélien s’est déroulée pour la première fois sur sol allemand – après la visite du gouvernement allemand en Israël il y a deux ans.
Est-il nécessaire que deux gouvernements, au grand complet, se rencontrent pour discuter de relations culturelles, d’adduction d’eau et de coopération entre les classes moyennes?
Deux articles de journaux, parus quelques jours plus tard, confirment la nécessité de se poser des questions. Le 25 janvier, le quotidien allemand «junge Welt» citait une nouvelle étude de la Heritage Foundation américaine. Ce texte de 10 pages fut publié le 15 janvier et son original se trouve sous www.heritage.org/Research/MiddleEast/bg2361.cfm. On y lit que le gouvernement américain doit reconnaître à Israël le «droit» de se lancer contre l’Iran dans un geste de «légitime défense». Les Etats-Unis devraient s’attendre à une riposte violente de l’Iran et se préparer à intervenir dans cette guerre, voire à y participer d’entrée. Car: «en supposant que les Etats-Unis seraient attaqués par l’Iran en cas d’agression de la part d’Israël, il serait logique de s’allier à Israël déjà au début d’une guerre préventive.»
Le correspondant de Washington du journal «Die Welt» fit acte d’agitation guerrière le 25 janvier: les prises de position actuelles du gouvernement allemand en ce qui concerne l’Afghanistan et l’Iran sont «l’expression d’une préparation psychologique pour un conflit probablement majeur dans le Golfe persique, dont l’Allemagne ne peut pas se tenir à l’écart du fait de son histoire». L’article se répand dans un scénario de guerre et conclut: «Angela Merkel prépare l’Alle­magne à une défense commune avec Israël.»

La diplomatie secrète avant la Première Guerre mondiale a conduit à la guerre

Il y a plus de 90 ans, alors que dans les décennies avant la Première Guerre mondiale les populations dans la plupart des pays européens étaient traitées comme des serfs, dominés par une clique, il était d’usage courant de préparer les guerres par une diplomatie secrète, en cercle fermé. Ce fut le cas du gouvernement allemand de cette époque: Lors de la «crise de juillet» en été 1914 des accords secrets entre le gouvernement allemand et celui de la monarchie des Habsbourg empêchèrent d’éviter la guerre. Les deux gouvernements estimaient avoir agi de façon intelligente.
Mais le résultat fut une guerre mondiale avec des millions de victimes, une guerre mondiale qui transforma l’Europe et le monde de façon radicale et irréversible.
Le premier point du «programme en 14 points» du président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, pour un monde après la guerre, avait la teneur suivante: «Des traités de paix clairs, conclus publiquement. Il ne devra plus y avoir d’accords internationaux secrets, mais bien au contraire la diplomatie devra toujours être menée ouvertement et honnêtement au vu et au su de tout le monde.»
Aujourd’hui, l’ONU enregistre tous les accords internationaux. Ceux qui ne sont pas enregistrés ne sont pas reconnus ni par elle ni par la Cour internationale de justice.
Malgré cela, la diplomatie secrète ne fut pas éliminée au cours de ces derniers 90 ans. Et ce ne fut pas pour le bien de l’humanité.
Alors que le gouvernement israélien interdit au ministre du Développement de Belgique, un partenaire de l’Allemagne dans l’UE, l’entrée dans la bande de Gaza encerclée et que ce dernier proteste vivement, et avec raison, contre ce procédé, le gouvernement allemand complote avec le gouvernement israélien soi-disant pour des «projets d’avenir». Pendant combien de temps le monde, l’Europe, les Allemands accepteront-ils ces comportements?

Ce qu’on exige d’Angela Merkel

La politique moyen-orientale d’Angela Mer­kel porte la responsabilité de l’absence de paix dans cette région et des nombreuses victimes qui en découlent. Elle a contribué à empêcher que la guerre contre le Liban ne fût rapidement terminée. C’est ainsi qu’il y eut toujours plus de victimes dans une guerre qui s’éternisait. Elle a apporté son soutien aux crimes de guerre lors de l’attaque de la bande de Gaza fin 2008/début 2009.
Combien faudra-t-il de victimes en Palestine, du fait de la politique allemande envers cette région, avant qu’on devienne raisonnable? Qui se déclarera responsable au cas où des armements allemands, par exemple des sous-marins allemands, sèmeront le malheur dans une nouvelle guerre au Proche-Orient?
Il est grand temps d’exiger que tous les accords avec Israël soient publics. La politique allemande doit, elle aussi, respecter le droit international, le droit humanitaire et les droits humains. Il faut cesser de livrer des armes à Israël! L’Allemagne ne doit pas participer à une nouvelle guerre!     •

On peut tirer des leçons de l’histoire

«Ce qui avait commencé comme un calcul raisonnable s’est terminé dans le bain de sang de la guerre de masse industrielle, absurde en soi et niant radicalement tout le sens des cultures anciennes et futures.
Les gouvernements, chacun pour soi, n’avaient-ils pas agi de manière sensée et selon la raison d’Etat, pesé les options, calculé les risques, préférant le moindre mal, les petits risques aux grands risques? Et pourtant, ce fut en fin de compte une catastrophe.»

Michael Stürmer, historien, à propos de la folie des «plans de guerre» avant la Première Guerre
mondiale, in: «Das ruhelose Reich. Deutschland 1866–1918», 1994,
p. 372, ISBN 3-88680-500-X