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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°35/36, 25 novembre 2013  >  La force de l’empathie anticipée [Imprimer]

La force de l’empathie anticipée

Effets des attentes positives et négatives sur le développement des enfants

par Corinna Schmied, psychologue et pédagogue curative, et Renate Hänsel, professeure gymnasiale et pédagogue diplômée

Les enseignants, les parents ou d’autres personnes de l’entourage d’un enfant s’approchent souvent de lui avec des hypothèses, des théories ou des convictions. Chaque attente vis-à-vis de l’enfant, qu’elle soit consciente ou inconsciente, a des conséquences pour son développement futur, qui peuvent jouer un rôle positif ou négatif. Cela représente une grande responsabilité, mais aussi une grande chance.

L’«espace dans lequel les jeunes gens peuvent s’épanouir»

Tout un chacun qui a à faire avec des enfants et adolescents sait, par sa propre expérience et par la rencontre avec d’autres, que l’approche des pédagogues vers les enfants est souvent empreinte de certaines anticipations subjectives. On se fait trop rapidement une image de la personnalité et des capacités de l’enfant, de ses faiblesses et de ses forces en raison de différentes impressions, observations et rencontres. Souvent, ce processus se déroule inconsciemment. Joachim Bauer, psychothérapeute et professeur universitaire en médecine, reprend dans son livre «Lob der Schule»1 [Eloge de l’école] ce problème et y démontre la grande responsabilité qui repose dans les mains des pédagogues dans chaque rencontre avec un jeune: «Avec ses visions et représentations sur le potentiel de son développement, l’enseignant ouvre au jeune l’espace, dans lequel il peut s’épanouir.» (p. 85)
«A la façon, dont les parents et les enseignants perçoivent les enfants et adolescents, ceux-ci reconnaissent non seulement qui ils sont mais aussi et avant tout qui ils pourraient être, c’est-à-dire en quoi reposent leur potentiel et leurs possibilités d’épanouissement.» (p. 26 sq.) «C’est pourquoi, les enfants et adolescents cherchent dans l’image que les parents et les enseignants se font d’eux, une information sur ce qu’ils (pourraient) devenir, ce qu’ils peuvent se permettre, en quoi reposent leur potentiel et leurs possibilités de développement. Ce processus de recherche se déroule de manière inconsciente chez l’enfant et l’adolescent et pourtant c’est un des déroulements les plus importants quand il s’agit d’éducation et de formation. Selon la manière dont nous donnons une information au jeune sur lui-même à travers notre discours et notre comportement, nous le dirigeons dans un ‹couloir› qui s’ouvre sur l’avenir et qui permet – jusqu’à un certain point – que la force d’une prophétie auto-réalisatrice puisse s’épanouir.» (p. 132)
Bauer parle ici d’un phénomène que la psychologie sociale connaît depuis des décennies.

«Pygmalion dans la salle de classe» – petite digression sur l’histoire de la psychologie

La recherche en psychologie s’occupait déjà il y a 50 ans du problème des attentes et de leurs effets. Robert Rosenthal avait à l’époque reconnu et systématiquement examiné l’effet Rosenthal et Jacobson appelé plus tard l’effet pygmalion. Rosenthal avait découvert que les responsables d’une expérience scientifique transmettaient inconsciemment aux personnes testées, à travers des signaux verbaux et non-verbaux, leurs propres hypothèses sur le déroulement de l’expérience, c’est-à-dire qu’ils expriment des attentes percevables pour les personnes testées. Ces attentes conduisent à la «Self-fulfilling Prophecy», à la prophétie auto-réalisatrice: les personnes testées se comportent effectivement comme prévu – donc une hypothèse, un préjugé, une prédiction, un bruit ou une attente peut devenir la source même de la réalisation.
L’expérience classique de Robert Rosenthal (1965),2 qui est devenue célèbre sous le nom «Pygmalion à l’école» a ouvert de nouvelles perspectives. Rosenthal et Leonore Jacobson avaient pratiqué à cette époque une expérience scolaire dans deux écoles primaires américaines pour étudier les effets des attentes des enseignants sur les élèves. Avec leur expérience, ils ont pu montrer, que les hypothèses des enseignants influencent de manière significative les performances des élèves: 45% des élèves (sélectionnés de manière aléatoire, c’est-à-dire selon le principe du hasard), dont on avait pronostiqué un développement intellectuel positif – face aux enseignants – se sont véritablement épanouis au cours de l’année et ont amélioré leur quotient intellectuel et leurs notes scolaires, quelques-uns même de façon conséquente. Une attente positive de la part de l’enseignant face à l’enfant provoque donc dans certaines conditions (celles-ci ont été plus exactement définies dans de nombreuses études ultérieures) que l’attente se confirme dans le sens d’une prophétie auto-réalisatrice.
Il est problématique pour le développement des enfants, quand on aborde un enfant avec des attentes négatives, car aussi dans ce cas contraire, les attentes montrent leurs effets.

Des attentes négatives et des diagnostics problématiques à l’école

Les enseignants font souvent l’expérience que les parents, la plupart du temps inconsciemment, transmettent les impressions de leur propre histoire sur leur enfants. Les enseignants entendent souvent dans leur quotidien des expressions émises par des mères telles que: «J’étais moi-même dyslexique, je sais, de quoi je parle». Cette mère part du principe que sa fille est prétendument dyslexique, car elle avait aussi été confronté à ce diagnostic en tant qu’enfant. Elle accable son enfant avec sa propre incertitude de savoir si l’orthographe est vraiment assimilable. Déjà avant que sa fille commence l’école, elle s’attendait à ce que celle-ci ait plus tard des difficultés en orthographe. Sa fille a senti dès le début cette incertitude – le manque de confiance de la mère – et ses conséquences négatives ont conduit à ce que déjà en première classe elle ait très peut d’assurance en écriture et la peur de l’échec a accompagné tout son apprentissage.
Aujourd’hui, elle dit: «Je suis dyslexique», ce qui correspond à: «Je n’y peux rien, j’ai un problème avec l’orthographe, parce que je suis d’une certaine façon malade ou bien dans ma tête tout ne fonctionne pas bien. Je ne suis pas capable d’apprendre cela, c’est ainsi, je suis comme ça.»
Si les parents doutent des capacités scolaires de leur enfant, ils transmettent ainsi le doute à leur enfant qui le portera lourdement dans son sac à dos: incertitudes, découragement, manque de confiance dans sa propre capacités et en lui-même vont l’accompagner. A l’inverse, les parents peuvent également «donner des ailes» à leur enfant, s’ils croient en son potentiel de développement et s’ils laissent ressentir la joie qu’ils éprouvent pour leur enfant et pour les progrès qu’il fait dans son apprentissage.
Mais les enseignants aussi se font parfois une image trop rapide de leur élève ou ils le remettent à un autre enseignant avec une étiquette en disant: «Elle atteint ses limites», «il n’a pas davantage de potentiel», «chez elle, il n’y a rien à faire, elle ne sort pas de ses mauvaises notes», «elle ne sait tout simplement pas calculer», «son frère était aussi comme ça», «il est vraiment faible», «là, il faut la décharger, elle n’atteindra jamais cet objectif éducatif», etc. Avec quelle rapidité on fixe à travers de telles expressions un préjugé, une attente qui enlève à un enfant la chance de se développer, parce qu’on a trop peu exigé de lui et trop peu eu confiance en lui en raison d’une hypothèse erronée, parce qu’on n’a pas posé son attention soigneusement sur les petits pas et peut-être ne les a-t-on même pas remarqués, parce qu’on ne croyait pas à son développement. Très rapidement, un tel enfant est poussé vers la prise en charge par la pédagogie spécialisée.
Le problème des attentes erronées est beaucoup plus sérieux aujourd’hui, suite à la manière irréfléchie et inflationniste, de laquelle on utilise les diagnostics psychiatriques, biologistes tel le TDAH (Trouble déficitaire de l’attention et hyperactivité), l’autisme, le syndrome d’ Asperger, les faiblesses dans l’apprentissage, la question des surdoués, la dyscalculie, la dyslexie, le mutisme, les handicaps mentaux légers etc. TDAH est un diagnostic qui est souvent attribué aux enfants inattentifs, distraits, étourdis et en partie aussi hyperactifs et impulsifs, ce qui peut avoir des conséquences dévastatrices sur son développement «J’ai le TDAH, savez-vous …», c’est ce que répondent aujourd’hui les enfants quand on exige d’eux plus d’ordre dans leurs affaires scolaires ou quand on leur demande où sont leurs devoirs, «… je ne peux pas autrement». La «Neue Zürcher Zeitung» du 19/8/10 a publié une petite information sur le problème des théories erronées sur la base desquelles les pédagogues, les psychologues et les médecins classent leurs informations: il était intitulé «Un grand nombre de diagnostics TDAH sont faux.» Le lecteur apprend que, selon une étude, il y a aux Etats-Unis environ un million d’enfants qui vivent avec un faux diagnostic TDAH (avec toutes les conséquences néfastes pour l’enfant), la plupart du temps à la demande des éducateurs ou enseignants. On a constaté qu’on a attribué aux enfants de la maternelle qui étaient les plus jeunes de leur classe d’âge, dans 60% des cas le diagnostic TDAH – chez les jeunes élèves même deux fois plus souvent – que chez les enfants plus âgés de leur classe d’âge. Cela signifie qu’il s’agit dans les troubles constatés par les éducateurs tout simplement de l’immaturité émotionnelle des jeunes enfants, correspondante à leur âge et à leur état de développement – non pas d’un symptôme du TDAH, comme il a été interprété en raison d’hypothèses erronées! Chaque jardinière d’enfant chez nous sait que la différence d’âge de quelques mois est très importante quand on observe le développement des enfants à l’école maternelle.
Dans nos écoles aussi, nous trouvons des processus semblables. De nombreux enseignants décident de nos jours avec une certitude surprenante, quand des élèves ont un comportement problématique, que c’est «un TDAH». Si l’on confronte l’enfant quotidiennement avec une hypothèse injustifiée, on risque réellement d’avoir avec le temps un élève à comportement problématique.

«Un manque de courage signifie un développement retardé»

 Alfred Adler, fondateur de la psychologie individuelle, qui a enseigné dans le premier tiers du siècle dernier et dont les principes pédagogiques, même s’ils sont tombés dans l’oubli aujourd’hui, ont gardé toute leur valeur, était empreint d’une confiance inébranlable en la capacité de développement de tout enfant. Il conseillait aux éducateurs, comme meilleur soutien pour l’épanouissement de l’enfant, d’avoir «confiance en sa propre force». «[…] la confiance en soi de l’enfant, son courage personnel sont sa plus grande chance. Les enfants courageux considéreront leur destin non pas comme quelque chose venant de l’extérieur mais comme quelque chose venant de leur propre force.» (p. 72)3
Le journal «Chicago Tribune» résuma sous le titre «Donner du courage crée le succès», un des exposés tenus par Adler de la manière suivante: «Les enfants ont besoin d’optimisme. Offrez à l’enfant donc l’idée qu’il est bon et capable de plus, et dans neuf cas sur dix, cela se réalisera réellement. Dites-lui qu’il fait tout mal, que les autres enfants lui sont supérieurs, que ses petites fautes sont des échecs énormes et ainsi, vous sèmerez ce qu’il deviendra – un raté. […] Uniquement le courage permet de développer toutes les capacités et talents potentiels de l’enfant. Le manque de courage empêche le développement de la personne.» (p. 224)
Les enseignants peuvent aider les parents, à se rendre compte de ce rapport et peuvent, entre collègues, attirer mutuellement l’attention sur les hypothèses et attentes problématiques face à leurs élèves. Eux-mêmes peuvent s’observer de manière éveillée et sincère lors de leur travail quotidien avec les enfants et adolescents et veiller à traiter leurs interprétations soigneusement, avec réflexion et prudence. Ainsi, ils peuvent parfois éliminer pour leurs élèves les plus gros obstacles.

Etre conscient de la capacité de développement de chaque enfant et être ouvert à tout changement

Quand on commence à apprendre avec un enfant et qu’on est convaincu qu’il peut apprendre, l’enfant sent la confiance de l’enseignant et commence déjà à être plus courageux dans son apprentissage. L’un a besoin davantage de soutien, l’autre moins, l’un se développe vite, l’autre plus lentement. Ce qui est important, c’est de toujours avoir une porte ouverte et un objectif clair, pour mener l’enfant là où on veut le conduire. Derrière chaque porte, il y a une nouvelle porte ouverte qui exige d’autres pas d’apprentissage pour la traverser. Il ne faut jamais laisser se fermer une porte et perdre l’objectif de vue, car après chaque étape d’apprentissage, il y a la prochaine qui attend. Ces phases d’apprentissage peuvent être petites ou plus grandes, dépendant de ce qu’on peut exiger de l’enfant. Il faut être très vigilant pour reconnaître chacune des étapes qu’accomplit l’enfant, ne pas le laisser tomber à plat, car quand son enseignant reconnaît ses divers progrès, l’enfant trouve le courage et l’énergie pour se dépasser un peu lui-même.
L’optimisme, la patience, la persévérance, la confiance de l’enseignant et sa joie envers l’enfant et ses progrès sont toujours payants. Ainsi, on peut faire des expériences étonnantes, surprenantes, réjouissantes et touchantes: des élèves qui étaient considérés comme faibles, peu sûrs, nerveux, qui ont obtenu des diagnostics problématiques et, à qui l’avenir n’est pas prometteur, commencent petit à petit à participer davantage en classe, à poser des questions, osent soudainement résoudre un calcul devant la classe, s’exposer malgré le risque de faire des fautes, nouent des liens avec ceux de son âge et commencent à se mouvoir plus naturellement, plus sûrement parmi les collègues, y trouvent aussi leur place, commencent à s’intéresser à l’apprentissage, à des sujets qui touchent notre monde, à rechercher, à travailler par intérêt sur une chose et avec le but de pouvoir réintégrer une classe ordinaire, aller ensuite à l’école secondaire, voire même au gymnase ou trouver une bonne place d’apprentissage et obtenir une formation professionnelle dans un métier qui les satisfera toute leur vie.
Un enseignant peut poser des jalons sur le chemin de la vie d’un enfant qui passe entre ses mains. Il peut conduire les enfants, s’il cherche, devine, reconnaît et laisse apparaître leur potentiel inhérent pour le mener sur le droit chemin, à l’écart des détours et des contours qui coûtent à l’enfant énormément de force, de déceptions, d’énergie, parfois la perte de plusieurs années de vie et de joie de vie tout en les conduisant, trop souvent, dans une impasse. Une élève d’une quatrième classe, qui pensait toujours qu’elle ne savait pas compter raconte que «Monsieur M. m’a appris à compter; depuis que je suis chez lui, je sais compter». Ou bien un ancien élève d’une classe spécialisée, qui est aujourd’hui à l’école secondaire, raconte quelques années plus tard: «Monsieur T. m’a fait grandir, il a fait de moi un homme.» Une mère rapporte quelques années plus tard: «Heureusement que vous avez dès le début beaucoup exigé de lui et cru en lui, sinon il ne serait pas à l’école secondaire aujourd’hui». Une élève de troisième classe, autrefois timide et solitaire, qui était toujours considérée comme individualiste, déclare: «Je n’aurais jamais cru qu’un jour j’aurais tant d’amis. J’espère que nous ne nous séparerons plus jamais.» Un autre élève déclare à propos de son enseignant: «Il m’a aidé à trouver mon chemin.» Une mère déclare à propos de son enfant qui a eu de grandes difficultés lors de sa scolarisation: «Il est maintenant passer à l’école secondaire, il sait lui-même qu’il est important d’apprendre et qu’il le fait pour lui.»
Chaque enfant a le droit à son propre développement et au plein épanouissement de son potentiel interne. Nous ne devons pas l’importuner ou étouffer ses capacités avec nos propres doutes et hypothèses et attentes erronées!

L’enseignant, une «seconde chance»

De la manière décrite ci-dessus, les enseignants donnent aux élèves la chance de faire leur chemin sans la charge du doute et du manque de confiance de la part de leurs éducateurs et modèles et ils leur donnent la marge de manœuvre nécessaire à leur développement: «A travers la relation avec l’enseignant ou l’enseignante, les enfants et adolescents apprennent à voir le monde et la vie et à faire face aux défis. Dans cette mesure, les personnalités enseignantes peuvent être une ‹seconde chance› pour eux. Les enseignants et enseignantes doivent être conscient de la responsabilité qu’ils ont face à leurs élèves.» (Joachim Bauer: «Lob der Schule», p. 137).    •

1    Joachim Bauer. Lob der Schule. Perspektiven für Schüler, Lehrer und Eltern, 2007
2    cf. Frey, Dieter und Greif, Siegfried. (édit.). -Sozialpsychologie. Ein Handbuch in Schlüsselbegriffen, 1983. Et: http://de.wikipedia.org/wiki/-Rosenthal-Effekt
3    Edward Hoffman. Alfred Adler. Ein Leben für die Individualpsychologie, 1997.