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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°6, 14 février 2011  >  Un clou chasse l’autre [Imprimer]

Un clou chasse l’autre

L’usine de clous de Winterthur, témoin de la culture industrielle suisse

par Eliane Gautschi

Dans notre vie quotidienne, les clous sont de petits auxiliaires utiles. Mais presque personne ne se demande comment on les fa­brique. Comme beaucoup d’anciens artisanats, le métier de cloutier a plus ou moins disparu et l’on connaît assez mal la fabrication industrielle des «pointes de mouleurs». Une visite de l’usine de clous de Winterthur permet de faire connaissance avec cette tradition artisanale et industrielle. C’est l’occasion pour les personnes intéressées d’apprendre beaucoup de choses sur l’histoire industrielle de la Suisse. L’histoire industrielle de la petite ville de Winterthur témoigne de la manière minutieuse et efficace avec laquelle les générations passées ont utilisé les ressources du pays. Ainsi la Suisse a pu rester souveraine politiquement et économiquement.

Une culture industrielle suisse historique et moderne à la fois

Vis-à-vis de la gare de Grüze, à Winterthur, se dressent les bâtiments – qui ne paient pas de mine – de la seule usine de clous qui existe encore en Suisse. Elle est la propriété de l’entrepreneur H. Gratwohl. En 1970, il existait encore sept usines de clous mais elles ont fermé peu à peu. La production a été délocalisée dans des pays qui produisent à bon marché. Témoin de la culture industrielle suisse, la Nagelfabrik Winterthur, appelée familièrement Nagli, fabrique depuis 1895, avec des tiges de fer, des «pointes de mouleurs de qualité suisse». Une large gamme de 200 produits garantit aujourd’hui la survie de l’entreprise. La première usine de 1895 est presque restée telle quelle jusqu’en 2000. Alors elle aurait dû faire place à des équipements plus modernes. Entre 2000 et 2004, les machines historiques ont été restaurées sous la direction d’Hans-Peter Bärtschi. On a repris des vieilles machines des usines fermées. A l’initiative de la société Arias-Industriekultur, elles ont été inscrites au patrimoine jusqu’en 2030. Ainsi un bien culturel important a été conservé. Des membres de l’association In-Bahn feront, jusqu’en 2015 au moins, la démonstration des machines, donnant ainsi un aperçu intéressant de la production historique et moderne des clous. La poursuite des activités dépendra du financement.

Des tiges aux clous

Un bruit assourdissant règne dans l’ancien atelier de l’usine de clous. On y respire une odeur d’acier de plus de 100 ans. Dans cet atelier datant de 1895 sont installées des ma­chines qui datent en partie de la même année. Ce sont des machines horizontales et verticales qui exécutent rythmiquement toutes les phases de la fabrication. Deux systèmes de transmission indépendants font marcher les machines. Des moteurs élec­triques séparés servent de source d’énergie centrale. Un de ces systèmes fait tourner encore aujourd’hui la plus ancienne installation, les cinq ma­chines verticales de 1895. Elles sont mues par des courroies en cuir. Un mécanisme d’alimentation et des planches à ressorts en font partie. Le maniement des machines est une affaire très délicate. Pendant 65 ans, Arthur Paul en fut le maître. Il connaissait «ses» machines dans tous leurs détails et transmit son savoir jusqu’à un âge avancé.
Les étapes de la production d’un clou sont toujours les mêmes. Le fil laminé est étiré par la tréfileuse jusqu’à ce qu’il ait l’épaisseur voulue. Alors commence l’usinage proprement dit. Grâce à la machine horizontale, la «grand-mère», le fil métallique est tiré d’une grande bobine à l’aide de rouleaux dresseurs puis redressé.
L’extrémité du fil métallique est tenue dans des mâchoires de serrage et un marteau vient l’écraser pour former la tête. Le fil avance la tête la première jusqu’à sa longueur définitive puis des couteaux spéciaux coupent le fil et forment la pointe de diamant typique. Le clou fini tombe dans un récipient collecteur.
Le processus de fabrication, facile à comprendre même pour un profane, séduit par sa «simplicité», sa logique et sa transparence. Avant d’être emballés, les clous doivent être acheminés vers les bacs de nettoyage où ils sont polis avec un mélange de pétrole et de sciure. Ensuite, on les range dans des boîtes brunes ornées d’un clou rouge portant la croix suisse prêtes à être vendues.

Le grand art du forgeron

Les clous n’ont pas toujours été fabriqués par des machines. Avec beaucoup d’habileté et de force musculaire, les cloutiers ont produit jusqu’au milieu du siècle dernier une grande variété de clous. Ainsi, juste après la Seconde Guerre mondiale, l’artisanat cloutier était florissant dans la vallée de Sulz en Argovie. On fabriquait essentiellement des clous de chaussures pour l’armée. Cette activité fut le revenu principal ou accessoire bienvenu de nombreux habitants, jusqu’à 80 per­sonnes. Après la Guerre, cette activité disparut rapidement. Avec le début de l’ère des machines et le passage aux semelles de caoutchouc dans l’armée suisse, les clous forgés à la main ne furent plus demandés. Les cloutiers durent poser leur marteau et chercher une autre source de revenus. Aujourd’hui le métier de cloutier a presque disparu.
Les visites guidées de la «Nagli» per­mettent de bien connaître cet artisanat vite oublié. Dans une annexe est installée une forge à clous. Le matériau brut, de longs fils carrés d’un fer solide sont portés à incandescence dans la cheminée. Ensuite le fragment métallique est façonné en pointe sur l’enclume puis placé dans le trou d’un dispositif spécial et le cloutier aplatit le bout de la tige avec son marteau. Il faut beaucoup d’habileté et d’expérience pour faire de beaux clous. Les cloutiers en fabriquaient 600 à 800 par jour. Aujourd’hui, les machines modernes en produisent le même nombre en une minute.

Bien culturel et savoir-faire artisanal pour enfants et adolescents

Beaucoup d’enfants et d’adolescents ont aujourd’hui peu d’accès aux entreprises artisanales et connaissent mal la production d’objets quotidiens. C’est pourquoi les visites guidées de la «Nagli» transmettent un savoir important aux générations futures. L’année dernière, sous la devise «Nageln mit Köpfchen – Von der Fabrik zum Vogelhäuschen», beaucoup d’enfants du canton de Zurich ont pu participer à un atelier très bien conçu. Après la visite guidée de l’usine de clous, ils ont appris, dans une partie pratique, beaucoup d’astuces concernant le maniement des grands et des petits clous. Ils se sont exercés à planter divers clous bien droit et à les retirer avec des tenailles. On a pu ainsi élire le meilleur planteur ou la meilleure planteuse de clous. Finalement, ils ont appliqué le savoir-faire acquis en confectionnant une volière. Ce cours a été enrichissant à plusieurs égards: à côté de l’acquisition d’une habileté et de l’accès à une tradition artisanale très importante, ils ont pu élargir leurs connaissances de l’histoire industrielle de notre pays.•

Sources et bibliographie:
Silvia Tramonti und Sylvia Bärtschi. Die «Nagli» Winterthur – Nägel aus 100-jährigen Maschinen. dans: IN-KU 8. September 1993.
Hans-Peter Bärtschi. Industriekultur Band 2: Kanton Zürich. Unterweg zu 222 Schauplätzen des produktiven Schaffens.
8 Exkursionsrouten, Objekte nach Branchen, über 600 Pläne und Fotos. Rotpunktverlag, Zürich 2009.
www.nagli.ch, www.sulz.ch
(Traduction Horizons et débats)

Visites guidées de la «Nagli»

Il s’agit d’un parcours à travers la riche histoire industrielle de la ville de Winterthur. Les visites ont lieu le premier samedi du mois, d’octobre à mai, à 10 et à 11 heures. Elles durent une heure. Le billet coûte 12 francs pour les adultes et 10 francs pour les adolescents. Il est gratuit pour les enfants.
Lieu de rendez-vous: Schweizerische Nagelfabrik, St. Gallerstrasse 138 (vis-à-vis de la gare Grüze de Winterthur)