Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°18, 10 mai 2010  >  Leçons à tirer de la crise de l’euro? [Imprimer]

Leçons à tirer de la crise de l’euro?

Cessons d’accumuler les dettes et mettons fin aux affaires financières

par Karl Müller

Bien que les tenants et aboutissants ne soient encore pas clairs et que l’on ne puisse pas prévoir l’avenir avec certitude, il est conseillé d’établir dès maintenant un bilan intermé­diaire sur la crise de l’euro. D’autant plus que, songeant à l’avenir, le public se pose trop peu de questions fondamentales et pense trop peu au bien commun et au développement du­rable.
On peut dire déjà avec certitude que la crise a été causée:
•    Par un ordre économique axé sur la globalisation à l’intérieur de l’UE (marché intérieur néolibéral avec une liberté de circulation des capitaux au-delà des frontières de l’UE), parce que cet ordre manque de toutes considérations humaines et de toute durabilité réelle et qu’il a rendu presque impossible une politique nationale souveraine dans un espace contrôlable. Le professeur Albrecht Schachtschneider signale depuis de nombreuses années les conséquences désastreuses de cette libre circulation des capitaux qui expose le bien commun à l’arbitraire.
•    Par une accumulation irresponsable de dettes dans les budgets de presque tous les pays occidentaux, parce que les Etats, à cause de ces dettes, sont devenus dépendants des grandes puissances financières mondiales et que ce n’est plus le pouvoir politique mais les grandes puissances financières qui décident de plus en plus de la politique.
•    Par une tendance à la corruption inhérente au système de l’UE, parce que les peuples ont été attirés dans une sorte de pacte infernal, vers l’argent (présumé) contre la liberté, l’autonomie et la démocratie. Bruno Bandulet et d’autres l’ont bien montré dans leurs écrits.
•    Par l’introduction forcée de la monnaie unique, parce qu’une telle monnaie n’a ni fondement économique ni fondement politique solide.
•    Par un manque de solidarité réelle au sein de l’UE, parce que derrière la rhétorique unitaire se cachent les seuls intérêts d’un petit nombre de personnes qui pensent peu à un ordre équitable et beaucoup à leurs profits.
•    Par les rapports de force au sein du système financier mondial, parce qu’on a d’abord organisé une crise financière (Goldmann-Sachs, par exemple, a fait de la publicité pour l’achat de «titres» et a en même temps misé contre ceux-ci) et que maintenant la haute finance met tout en œuvre, sans se soucier des pertes, pour conserver la suprématie des places financières de Londres et de New York, et cela contre des pays individuels mais aussi contre l’Europe et l’euro.
Les «solutions» des problèmes discutées et mises en oeuvre actuellement par les poli­tiques ne changent aucunement les problèmes fondamentaux mentionnés ci-dessus et elles ne sauraient convaincre. Au fond, tous ceux qui sont concernés le savent. C’est finalement pour cette raison que les disputes politiques dominent la scène publique.
Que faudrait-il faire?
S’il est vrai que l’augmentation constante des dettes publiques rendent les Etats de moins en moins libres, il faudrait réfléchir sérieusement à la manière dont on pourrait mettre fin à ces dettes. Il y a des pays qui montrent comment les budgets publics peuvent être établis sans nouvelles dettes.
Y a-t-il une raison vraiment importante qui s’oppose à ce qu’on dépense au maximum ce qui représentait le revenu avant l’endettement? L’histoire nous apprend que l’idée selon laquelle on peut maîtriser ou du moins atténuer à moyen ou à long terme les crises économiques en s’endettant s’est avérée une illusion.
L’Ancien Testament déjà nous apprend qu’il est sage de faire des économies dans les époques de vaches grasses afin d’avoir des réserves pour les époques de vaches maigres. C’est précisément le contraire de faire des dettes.
Et ceux qui étudient honnêtement le mécanisme des intérêts se rendent compte du caractère insensé du système actuel d’endettement. Au cours des 40 dernières années, par exemple, l’Allemagne a payé davantage d’intérêts, au total, qu’elle n’a contracté des dettes nouvelles, c’est-à-dire qu’elle a fait de nouvelles dettes pour payer les intérêts des anciennes. Ainsi les milliards d’intérêts payés par des millions de contribuables ont profité à un petit nombre de personnes.
Deuxième réflexion: Le prix à payer pour la poursuite de l’économie d’endettement sera très élevé. C’est pourquoi il faut ré­soudre le problème des dettes aussi vite que possible d’une manière équitable, et cette solution doit impliquer que l’Etat se libère de ses dettes. Alors les individus et les Etats pourront respirer plus librement.
Troisième réflexion: Pourquoi ne pas se demander si, à l’avenir, on ne devrait pas interdire totalement les affaires financières qui profitent aux prêteurs? Si l’idée de l’intérêt général était plus vivante, des personnes riches seraient prêtes à mettre leur argent à la disposition de bonnes causes, économiques ou sociales, sans faire d’affaires financières. Le principe consistant à faire, avec beaucoup d’argent, encore davantage d’argent est discutable et immoral. Ne serait-il pas préférable, cela ne rendrait-il pas plus heureux de mettre l’argent que l’on a en trop à disposition pour des projets économiques servant le bien commun plutôt que de courir quotidiennement après le profit? Donner de l’argent pourrait servir à créer de petites entreprises et des coopératives destinées à des jeunes gens qui doivent encore «mûrir» et ont besoin d’être dirigés avant d’être aptes à se débrouiller dans l’économie de marché sans loucher vers le profit maximum. Les impôts payés à l’Etat ne pourraient-ils pas devenir un acte de développement mutuel quand l’Etat est libre, démocratique et juste? Ne pourrait-on pas résoudre par cette méthode le problème des dettes injustes des pays les plus pauvres?
Quand les humains réalisent quelque chose en commun, il peut en résulter une contribution précieuse à l’intérêt général. Ainsi quelqu’un qui a des bonnes idées pour un nouveau produit utile ou pour un nouveau service, mais qui n’a pas d’argent pourrait fonder une entreprise avec les personnes qui ont l’argent nécessaire. Pas en créant une société à capital où le bailleur de fonds ne vise que le profit mais une entreprise qui s’engage pour le bien de tous ceux qui y participent: les salariés, les clients, la commune où cette entreprise a son siège, et sans que l’on ait besoin de bailleurs de fonds étrangers. Les coopératives sont un exemple de ce genre d’économie, de même que les associations de type suisse.
Si nous permettons au système financier mondial de continuer comme jusqu’ici, nous devons nous attendre à des événements qui nous donneront encore davantage de fil à retordre.
C’est pourquoi rien ne devrait nous empêcher de réfléchir à fond aux conséquences de la crise de l’euro et, ayant pris une décision, de nous investir de toutes nos forces.
Cela suppose que nos réflexions et notre action entraînent des changements. C’est dans les démocraties que les possibilités sont les meilleures. C’est une priorité dans les Etats de l’Union européenne.    •

Joseph E. Stiglitz, Freefall

En avril 2010 a paru le livre de Joseph Stiglitz «Freefall. America, free markets, and the sinking of the world economy» (ISBN 978-0-393-07596-0).
Dans le texte du rabat de la version allemande (ISBN 978-3886809424) on peut lire: «La crise financière et économique que nous vivons [depuis automne 2008] est la pire depuis les années 1930. Avec la crise économique, la doctrine économique prédominante des dernières décennies, s’est désensorcelée elle-même: de faux attraits, des marchés déchaînés et une répartition injuste de la richesse ont mené le monde au bord du gouffre. Pour Joseph Stiglitz il est clair qu’on ne peut pas continuer ainsi.»
(Traduction Horizons et débats)