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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°31, 10 août 2009  >  Il faut s’opposer catégoriquement à la stratégie de l’espace métropolitain [Imprimer]

Il faut s’opposer catégoriquement à la stratégie de l’espace métropolitain

par Erika Vögeli

Le 3 juillet dernier a été fondée l’Association de l’espace métropolitain de Zurich. Pour ne pas effrayer, elle se présente comme une association de droit privé ayant pour but de favoriser la coopération ainsi que le développement économique et général dans la région. Mais il n’en est rien. Nous avons affaire ici à une atteinte mal dissimulée à nos structures démocratiques. Les communiqués des médias étaient beaucoup plus près de la vérité en y voyant un remodelage de la Suisse, un éclatement des cantons, un nouvel ordre politique, etc.
Il ne s’agissait pas pour quelques membres de gouvernements de fonder une association en tant que particuliers: l’article 8-1 de l’Association est clair: «Les membres avec droit de vote sont les cantons, les villes et les communes», c’est-à-dire les échelons politiques constitutifs de notre Etat, «qui sont situés dans l’espace métropolitain de Zurich tel qu’il est défini par l’Office fédéral de la statistique et ont adhéré à l’Association.» Ils ne sont représentés que par des membres d’autorités politiques, c’est-à-dire des gouvernements cantonaux, communaux ou municipaux. Les cantons et les communes paient des cotisations provenant de l’argent des contribuables. Un «comité opérationnel composé de cadres administratifs communaux» (art. 26-1) planifie les activités de l’«association» et prépare les dossiers nécessaires à la prise de décisions. Ses membres travaillent également en tant que membres d’autorités politiques et sont rémunérés avec l’argent des contribuables. En outre, l’art. 2-1 dispose que «l’Association considère l’espace métropolitain de Zurich comme un espace vital et économique commun». Or il s’agit là du territoire de 8 cantons qui ont chacun une constitution. L’art. 2-4 stipule que l’espace zurichois entretient des liens avec d’autres espaces métropolitains – sans doute aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Suisse – et y exerce, au nom de l’espace métropolitain, c’est-à-dire du territoire des cantons, des fonctions qui relèvent de la souveraineté des cantons et – dans la mesure où il entretient des contacts avec des métropoles d’autres pays – des affaires étrangères. L’article 24-1 stipule en outre que «les séances du conseil métropolitain ne sont pas publiques». Cela est certes possible pour une «association de droit privé», comme le montrent les structures, mais cela ne correspond pas aux véritables objectifs de l’espace métropolitain de Zurich. Ce faisant, l’association échappe – à l’exception des décisions de la conférence métropolitaine – au contrôle démocratique et à l’exigence de publicité des débats valable pour les débats parlementaires.
Le fait que cette association poursuive d’autres buts apparaît notamment à l’article 5 selon lequel «l’appartenance à l’Association ne porte pas atteinte aux compétences constitutionnelles et à l’autonomie des cantons, des villes et des communes. Les compétences des autorités cantonales et commu­nales sont pleinement sauvegardées. Les cantons, les villes et les communes peuvent s’exprimer librement sur toutes les questions politiques.»
Comment une «association privée» peut-elle s’exprimer ainsi? Et qu’est-ce que cela signifie en réalité? Les compétences des cantons, des communes et des villes sont sauvegardées, mais nous nous en attribuons quelques autres? Des phrases comme celle-là sont une énormité: elles montrent que l’on est tout à fait conscient d’intervenir sans débats publics ni parlementaires, sans consultations populaires dans les mécanismes de structures démocratiques constitutionnelles.
Pour la collaboration intercantonale et intercommunale, il existe des structures légitimées démocratiquement et bien rodées. Et en Suisse, de nombreux groupements et groupes d’intérêt, avant tout les partis (qui sont eux des associations de droit privé), ont naturellement le droit de soulever des problèmes et de proposer des solutions. Grâce à l’initiative, chaque citoyen suisse a cette possibilité. Cependant aucune association, même aucun parti, ne peut le faire au nom des structures démocratiques et constitutionnelles de la commune, du canton ou de la Confédération. Leur mandataire ne peut être, au trois échelons de la commune, du canton et de la Confédération, que le peuple souverain, c’est-à-dire les citoyens et les citoyennes disposant du droit de vote ou leurs représentants parlementaires. Les membres des exécutifs cantonaux et communaux sont liés par la constitution de leur canton ou leur loi sur les communes. Elles fixent leurs compétences de manière limitative. Les membres d’une autorité politique ne sont pas libres d’étendre leurs compétences au gré de leur fantaisie. On appelle généralement ce comportement abus de pouvoir, lequel peut, dans les cas extrêmes, relever pénalement du coup d’Etat.
Il faut donc s’y opposer catégoriquement.
Il est évident que ce genre de phénomène n’est pas dicté par les intérêts privés de quelques-uns. Il s’agit manifestement de la mise en pratique de concepts correspondants de l’Union européenne. Depuis sa création, celle-ci sape la souveraineté des Etats et les structures démocratique à l’aide de traités économiques dépourvu de légitimité démocratique. Le déficit structurel (donc inévitable!) de démocratie constaté par la Cour constitutionnelle allemande n’est pas un hasard mais une nécessité. C’est pourquoi l’UE évite comme la peste les consultations populaires. Ce qu’elle recherche, c’est l’instauration d’un marché totalement débridé:1 son programme, ce ne sont pas les libertés fondamentales des citoyens mais le marché. L’adhésion à cet appareil de pouvoir totalement corrompu2 ne résoudra pas les problèmes économiques actuels puisqu’il est pour une part importante à l’origine de l’évolution désastreuse de différentes économies nationales.
Face au Manifeste pour l’adhésion à l’Union européenne du Club helvétique du 31 juillet, il est manifestement nécessaire de rappeler l’histoire véritable, les objectifs et les procédés réels de l’UE. Ceux qui évoquent une «économie sociale de marché» qui «se préoccupe des plus démunis» ne parlent pas de l’UE telle qu’elle existe. Au moyen d’ordonnances et d’arrêts de la Cour de justice européenne, elle a petit à petit retiré aux Etats les instruments qui protégeaient leurs économies et leurs habitants des attaques du capitalisme débridé. Elle les a privés de tout influence politique sur leur destin – essence de la liberté humaine – et en a fait des objets d’intérêts économiques et politiques.
Il n’est donc pas question de saper notre efficace démocratie directe au moyen d’espaces métropolitains. Il est grand temps d’exiger avec vigueur la poursuite des réflexions entamées au début de la crise des marchés financiers. Citons ici Peter Ulrich: «Une économie de marché «civilisée» au sens républicain et libéral est fondamentalement différente d’une société de marché sans limites. Elle doit être conçue comme une association solidaire de citoyens libres qui respecte l’Etat de droit. Ce ne sont pas des objectifs sociaux mais des droits et des devoirs égaux qui constituent le but primaire d’une économie de marché «civilisée» dans le cadre d’une société bien ordonnée de citoyens libres et égaux en droits.»3
Le progrès ne consiste pas dans des blocs de pouvoir économiques et politiques – qui représentent un retour à une époque antérieure au siècle des Lumières – mais dans l’instauration d’une vie en commun fondée sur la dignité et l’autonomie de l’homme telle que la permet avant tout la démocratie directe.    •

1     Karl Albrecht Schachtschneider, Le Traité de Lisbonne est une Loi fondamentale en faveur du capitalisme effréné, Horizons et débats no 14 du 14/4/09.
2     cf. Marta Andrease, Brussels laid bare. How the EU treated its chief accountant when she refused to go along with its fraud and waste, 2009.
3     Peter Ulrich, Die gesellschaftliche Einbettung der Marktwirtschaft als Kernproblem des 21. Jahrhunderts. Eine wirtschaftsethische Fortschrittsperspektive. Leçon d’adieux du 5/5/09.