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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°35, 5 septembre 2011  >  Pourquoi, en Suisse, il y a aujourd'hui pénurie de personnel qualifié dans le domaine scientifique [Imprimer]

Pourquoi, en Suisse, il y a aujourd’hui pénurie de personnel qualifié dans le domaine scientifique

par Roland Güttinger

Depuis longtemps déjà, on déplore en Suisse une pénurie de personnel qualifié surtout dans le domaine des sciences de la nature. A la suite de diverses interventions parlementaires, le Conseil fédéral a commandé en 2010 l’étude «MINT». (cf. ci-contre)

Depuis longtemps, des professeurs des écoles professionnelles, des lycées et d’autres établissements secondaires se plaignent des lacunes de leurs nouveaux élèves. Ceux-ci ne maîtrisent pas les bases, ont besoin de trop de temps pour faire des opérations élémentaires. A l’oral, on ne peut souvent rien obtenir d’eux, si bien qu’ils sont incapables d’approfondir la solution des problèmes. Ils ont recours à leur calculette pour faire les calculs les plus simples. A y regarder de plus près, on constate un manque général de sûreté dans les conversions d’unités, les fractions, les décimales, les multiplications et les divisions les plus simples. Ainsi les écoles secondaires ne savent souvent pas par quoi commencer. Partout des difficultés se manifestent et empêchent d’avancer dans le programme.

Désenchantées, beaucoup d’entreprises ne font plus confiance aux bulletins des établissements secondaires et effectuent des examens d’admission. Il y a longtemps déjà, une enseignante de Zurich recevait un appel d’une entreprise chimique bâloise après qu’un de ses élèves s’y soit présenté pour une place d’apprenti. On voulait savoir si elle avait d’autres élèves qui s’intéressaient à un apprentissage. Les élèves de Bâle étaient trop mal préparés. Souvenez-vous que Bâle est toujours en tête des réformes scolaires.

Est-ce la faute des élèves ou de l’école?

Où est donc le problème? Les générations précédentes ont, dans des circonstances beaucoup plus difficiles, formé une jeunesse capable. Une jeunesse qui a travaillé avec beaucoup de joie et de motivation en sciences et a fourni un excellent travail dans le pays, voire le monde entier dans des professions exigeantes. Mentionnons à titre d’exemple le cas d’un garçon d’une famille pauvre de paysans de montagne. Après la mort du père, il a, en tant qu’aîné, assumé ses responsabilités et a acquis plus tard, en tant qu’étudiant qui travaille pour financer ses études, la capacité de réaliser des projets de développement efficaces dans le tiers monde pour le compte de la Suisse.

Les élèves ne sont pas en cause. Notre jeunesse pourrait obtenir de meilleurs résultats en sciences. Il faut entreprendre une analyse sérieuse de l’enseignement des mathématiques et des sciences de la nature dans nos écoles. De la première classe de l’école primaire au baccalauréat.

Il s’agit finalement d’une question importante: il y va de notre jeunesse et de notre avenir. Le monde professionnel et notamment notre démocratie ont besoin d’une relève bien instruite. L’économie suisse n’a, outre le bois, qu’une «matière première» qui se renouvelle naturellement: l’éducation de notre jeunesse. Pour une économie prospère et pour la démocratie, la première priorité doit être d’éduquer la jeunesse de manière approfondie et durable. Les conséquences positives ont une grande portée: une bonne base de départ pour toutes les entreprises, un faible taux de chômage, surtout chez les jeunes, la paix sociale et des finances saines pour l’Etat et les communes. Si l’éducation dans nos écoles obligatoires repose sur de mauvaises théories, les conséquences douloureuses se feront sentir immédiatement. La situation en Angleterre s’explique et il se trouve toujours des politiques qui posent les bonnes questions. Essayons donc de trouver des réponses honnêtes.

Premiers indices

Au début des années 90, on a, dans un grand tapage médiatique, travaillé à l’Ordonnance sur la reconnaissance des certificats de maturité (ORM), ce qui a abouti finalement, en 1995, au Règlement sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale (RRM). Un important changement consiste en ce que pour la maturité (le baccalauréat), on n’attribue plus de notes séparées en physique, chimie et biologie. En raison d’une adaptation quasi contrainte aux systèmes éducatifs étrangers – après tout, il fallait que la Suisse cède au diktat de l’UE (processus de Bologne) – les trois matières ont été amalgamées en une note unique, ce qui donne aux élèves une grande marge de man?uvre pour obtenir leur baccalauréat même avec des notes mauvaises dans une ou plusieurs disciplines. Le plus important est d’obtenir le certificat, ce qui permet d’étudier toute une gamme de matières en faculté des lettres. Ce qui est sacrifié, c’est l’intérêt pour la matière, le plaisir de résoudre les exercices demandés et l’absence de joie à la perspective de faire les études envisagées. En tout cas, le RRM, qui se trouve maintenant dans une phase de retour en arrière, a causé des dommages considérables à l’économie.

Une mauvaise théorie pédagogique aux conséquences fatales

Il nous faut aussi évoquer une mauvaise théorie pédagogique qui veut que les élèves «découvrent tout eux-mêmes», qu’ils cherchent pour ainsi dire en eux les méthodes qui leur sont adaptées. Comme s’il s’agissait pour eux de tirer le génie du néant. Dans les Hautes Ecoles pédagogiques, on méprise l’idée selon laquelle le maître conduit ses élèves pas à pas à compter au-delà de dix. On y recommande vivement aux jeunes enseignants l’apprentissage par la découverte. Les conséquences en sont les problèmes scolaires et l’indiscipline qui procurent à une armée d’enseignants spécialisées des emplois bien rétribués. Une bonne instruction de nos élèves inspirée de Pestalozzi préviendrait beaucoup de souffrances psychiques chez les enfants et épargnerait aux cantons les sommes importantes qu’ils consacrent aux mesures de soutien.

Nous avons besoin d’un retour à une éducation (cf. article page 2) qui, dans l’esprit de Pestalozzi, amène notamment l’individu à être un citoyen (zoon politikon). Nous approfondirons cette question dans un prochain numéro car c’est un des éléments centraux d’un système éducatif efficace. Et la Suisse le possédait naguère sans aucun doute! Ce n’est pas un hasard si elle a bien surmonté des crises difficiles, en est souvent sortie fortifiée et a développé une économie florissante. Cela dit, il n’est pas question de revenir en arrière mais il faut examiner honnêtement ce qui était meilleur avant la néfaste influence européenne, et pourquoi.

De toute façon, on ne saurait nier les progrès accomplis au cours du siècle dernier. Alors, on enseignait avec des manuels bien structurés permettant aux élèves d’organiser logiquement leur apprentissage. Il est intéressant de savoir que les Hautes Ecoles pédagogiques n’ont plus la mission d’archiver le matériel pédagogique. Il semble que personne ne s’intéresse plus à la manière dont on enseignait avant les tests Pisa et le processus de Bologne et avec quels résultats. On s’imagine être sur la bonne voie et on succombe à l’illusion du progrès qui abandonne tout ce qui a précédé.

Alors commençons le travail et analysons le matériel pédagogique utilisé avant que la situation ne devienne critique. Où sont apparues les ruptures, les grandes «innovations»? Qu’est-ce qui a été conservé? Qu’est-ce qui a vite été abandonné? Quels «changements de paradigmes» se sont imposés – malgré les mauvais échos venus des praticiens – et quelles en sont les raisons. Finalement, les individus auxquels la pédagogie a à faire sont toujours pareils!

Nous parlerons de ces études dans nos prochaines éditions.  •

Pénurie de spécialistes en Suisse

Ampleur et causes de la pénurie de personnel qualifié dans les domaines MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique), août 2010

Rapport du Conseil fédéral

Interventions parlementaires

«La question du manque de personnel qualifié dans les domaines MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique) a été soulevée par différents parlementaires au Conseil des États comme au Conseil national. Entre septembre 2005 et septembre 2009, la conseillère aux Etats Anita Fetz, le conseiller national Norbert Hochreutener, le conseiller aux Etats Luc Recordon, le conseiller national Hans Widmer et la conseillère nationale Margret Kiener-Nellen ont chacun déposé des postulats et le groupe PDC/PEV/PVL une interpellation, exigeant tour à tour des réponses sur différents aspects de la pénurie de personnel qualifié. Tous supposent l’existence d’un manque de personnel qualifié et expriment leur préoccupation concernant les conséquences de cette pénurie sur l’économie.» (p. 7)

«Les forces de travail qualifiées sont le moteur de la capacité d’innovation, de la compétitivité et de la croissance de l’économie suisse. Par leur créativité dans la recherche de solutions techniques toujours nouvelles ou meilleures, les ingénieurs et les spécialistes des sciences naturelles, en particulier, contribuent à la capacité d’innover de la place industrielle suisse.» (p. 3)