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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°18, 5 mai 2008  >  Le bradage de l’industrie du verre est-allemande [Imprimer]

Le bradage de l’industrie du verre est-allemande

L’exemple d’Ilmenau et de Weisswasser (2e partie)

par Dieter Sprock

Dans la première partie du reportage (Horizons et débats no 15 du 14 avril 2008) on avait mis l’accent sur le rôle joué par l’Occident lors du transfert de l’économie est-allemande dans l’économie de marché. Alors qu’on aime, à l’Ouest, s’étendre sur la dictature et la faillite de la RDA et qu’on y rattache l’idée que l’Est vit aux crochets des contribuables de l’Allemagne occidentale, on tait le fait que l’économie de l’Allemagne occidentale a largement profité de la «reconstruction à l’Est». L’entrée de l’Allemagne de l’Est dans le champ d’application de la constitution permit aux entreprises ouest-allemandes – les grandes chaînes de distribution, les banques et les assurances – de se répandre sur un marché de 16 millions d’habitants. De plus, l’Est apporta lors de la réunification, malgré les difficultés économiques qu’on ne peut nier, une fortune non négligeable de 600 milliards de deutschmark, selon Detlev Rohwedder. Il faut encore évoquer les connaissances techniques et scientifiques, ainsi que les relations commerciales est-allemandes dont profita considérablement l’économie ouest-allemande. L’ancien maire de la ville de Hambourg, Henning Voscherau, parle du «plus grand programme d’enrichissement des Allemands de l’Ouest qu’ils aient connu.»
L’industrie de l’Est fut en bonne partie détruite lors du transfert précipité de l’économie de la RDA dans l’économie de marché. En l’espace de 5 ans, trois millions d’emplois furent anéantis. Dans l’industrie ce sont 20% des postes de travail qui purent être sauvés, surtout dans les filiales des maisons-mères ouest-allemandes. Dans d’autres pays du bloc de l’Est, on sauva, lors du passage à l’économie de marché, beaucoup plus d’emplois malgré des conditions de reprises nettement plus défavorables; en Tchéquie ce furent 68%, en Hongrie 76% et en Pologne même 85%.
Après l’effondrement de la RDA et la dissolution du bloc de l’Est, l’économie mondialisée montra son vrai visage également en Allemagne de l’Ouest. Elle se débarrassa de tous égards sociaux. Tout à coup on entendit aussi à l’Ouest que l’Etat social ne pouvait plus être financé, qu’il fallait procéder à des coupures profondes pour être compétitif sur le marché mondial. L’économie se débarrassa de toute contrainte sociale et exigea la soumission à l’idéologie du marché de tous les domaines de la vie: le service public – les transports, la distribution d’eau et d’énergie – mais aussi la formation et la santé devaient, à l’avenir, assurer des profits.
L’ouverture des marchés eut pour conséquence de mettre aussi les lieux de production de l’Allemagne de l’Ouest sous pression. De nombreuses entreprises furent déplacées dans les régions à bas salaires et les forces de travail à bas prix des anciens pays du bloc de l’Est firent pression sur les salaires à l’Ouest. Des emplois assurés socialement furent détruits pour la plupart. Ils ne furent pas remplacés, ou bien par des emplois à temps partiel, sans aucune sécurité sociale. Alors que l’argent manquait pour les services sociaux, pour la santé et pour les services publics, quelques magnats se remplissaient les poches. Dans le même temps, des sommes énormes étaient investies dans les nouvelles guerres coloniales – beaucoup plus que ce qui aurait été nécessaire pour assurer une sécurité à la société.
Mes interlocuteurs à Ilmenau, dont les contributions ont été publiées dans la première partie, en reviennent toujours à la bonne formation scolaire de la RDA. La cohésion de la population était meilleure. Beaucoup d’entre ces gens souffrent aujourd’hui de l’isolement. On ne se préoccupe plus que de soi-même et tout tourne autour de l’argent. Les gens de l’Est ne se sentent ni bienvenus ni appréciés à l’Ouest. Et c’est le président de la république soi-même, Horst Köhler, qui déclara le 17 avril dans une interview de la revue berlinoise Super Illu: «La majeure partie des gens de l’Ouest n’arrive pas à comprendre combien les habitants de la RDA s’engageaient, de leur zèle et de la peine qu’ils se donnent, alors qu’ils ne sont coupables de rien. Il faut le dire clairement: en RDA, il y avait des performances et une joie de vivre – non pas du fait du régime des organes du Parti socialiste unifié (SED), mais malgré eux. Ce qui a été mis sur pied là, malgré toutes les difficultés, doit être reconnu et respecté. […] Les gens en RDA n’avaient pas tout ce que l’on trouvait en Occident – la liberté, les possibilités de voyage, la prospérité. Mais ils avaient un réel sentiment de sécurité, dans la mesure où ils évitaient de s’opposer au régime. Aujourd’hui, c’est l’insécurité, dans tout le pays. Comprenez quelle césure la transformation représenta. C’est d’un jour à l’autre que les habitants de la RDA eurent à faire à un système économique et social entièrement nouveau qui provoqua pour beaucoup d’entre eux le chômage.» Il confirma ainsi fortement les explications personnelles de mes interlocuteurs. Il ne s’agit pas, en fait, de vouloir «expliquer aux gens de l’Est ce qu’est l’économie de marché sociale», mais bien de mettre en place une économie qui mérite cette dénomination d’économie de marché sociale, qui offre à tout un chacun une existence digne. Les prises de positions entendues à Ilmenau et Weisswasser laissent à penser que les gens sont bien informés et qu’ils prennent part aux questions sociales, de même qu’à celles de la guerre et de la paix. Ils ont les pieds bien sur terre et ont l’habitude de penser en tenant compte de l’ensemble des données de la société, ce qu’on peut expliquer par leur expérience de vie en RDA, dont faisait partie leur sens critique du régime en matière de pouvoir, mais aussi par leur formation scolaire étendue.
Dans la deuxième partie nous laisserons la parole aux gens de Weisswasser. Cette ville, dans la région d’Oberlausitz, est étroitement liée au développement de l’industrie du verre. Elle s’est développée, au début du XXe siècle, à partir de deux petits villages du nom de Weisswasser et Hermannsdorf très vite en une ville industrielle qui garda le nom de Weisswasser. Elle atteignit rapidement une grande importance dans l’industrie du verre tant en Allemagne qu’en Europe. Le verre fut pris, pendant un certain temps, comme monnaie d’échange. De 1920 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale la firme Osram à Weisswasser produisit à grande échelle des ampoules électriques.
En 1935, le plus célèbre verrier d’Allemagne, le professeur Wilhelm Wagenfeld (1900 – 1990) reprit la direction artistique de la firme Vereinigte Lausitzer Glaswerke. Ses projets qui s’appuyaient sur les idéaux de l’Institut d’architecture Bauhaus à Weimar furent un modèle pour la philosophie du «design», et cela jusqu’aujourd’hui.
En plus de l’industrie du verre, ce furent celles de la lignite de Boxberg (aujourd’hui Vattenfall), de même que diverses petites industries, qui attirèrent du monde dans cette ville. Entre 1970 et 1988 la population de la ville doubla, passant de 19 000 à 38 000. Après la réunification, elle diminua, descendant au-dessous de 20 000. Malgré cette diminution, le chômage atteint le taux de 20%.
Weisswasser fut plus touchée par la réunification qu’Ilmenau. Cela ressort des prises de positions suivantes: