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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°49/50, 29 décembre 2010  >  Les vertus dont on a besoin dans notre démocratie directe – Conscience des responsabilités, sens de la communauté et altruisme [Imprimer]

Les vertus dont on a besoin dans notre démocratie directe –

Conscience des responsabilités, sens de la communauté et altruisme

Interview de Christof Eberle, ancien garde suisse

Horizons et débats: Qu’est-ce qui vous a amené à entrer dans la Garde suisse?

Christof Eberle: Il y avait différentes raisons, mais la motivation principale était l’intérêt pour l’Eglise et la religion, pour la foi en général. Cela m’a préoccupé déjà comme petit garçon. Cela a commencé quand j’étais enfant de chœur. Je fréquentais une école qui était dirigée par des religieux à St-Gall et, pendant mon enfance et adolescence, j’étais toujours en contact étroit avec l’Eglise et la foi. Je me suis engagé dans la paroisse et j’avais toujours une relation étroite avec l’institution en tant que telle. Il y a quelques années, lors d’une fête d’enfants de chœur, d’anciens gardes avaient un stand ici à Berne. Il y avait des informations et d’anciens gardes qui parlaient de leurs expériences au Vatican. Cela m’a beaucoup fasciné. Un prospectus que j’avais emporté était accroché au mur de ma chambre.
Quand j’eus fini mon apprentissage – j’ai fait une formation commerciale dans une commune – et que je devais réfléchir à ce que je voulais faire dans l’avenir, j’ai pensé à nouveau à la Garde suisse. Un événement dans la cathédrale de St-Gall s’y est ajouté. Je pouvais y voir de «vrais» gardes qui faisaient un service en uniforme pendant la messe d’un cardinal. C’est à ce moment-là que je me suis décidé à entrer dans la Garde suisse après l’apprentissage.
Après l’école de recrues, je suis vraiment allé à Rome. C’était une occasion magnifique. Il y a de grandes différences entre l’église catholique en Suisse et ce qu’on voit à Rome, c’est-à-dire l’église universelle. La fascination d’une grande ville s’y ajoutait, et encore dans un autre pays avec une autre culture et je devais apprendre une nouvelle langue.

Est-ce qu’il y a des événements dont vous vous souvenez en particulier? Est-ce qu’il y a des choses qui vous ont marqué particulièrement?

Oui, bien sûr, d’abord l’unicité du service qu’on doit y faire. L’entourage où on se trouve jour après jour est déjà particulier. Naturellement, il y a une routine après quelque temps, mais il y a toujours des événements qui vous montrent à quel point ce service est extraordinaire. Naturellement, les rencontres avec le Pape en font partie. J’étais en service entre 2002 et 2004, donc pendant le temps de Jean-Paul II, et de brèves rencontres personnelles avec le Pape m’ont beaucoup impressionné. Malgré sa fragilité et sa faiblesse, il avait un rayonnement énorme. Et naturellement, comme garde, je pouvais observer la réaction des autres gens envers lui et la force qu’il répandait. Et j’étais toujours fasciné et impressionné par sa façon de toucher les hommes intérieurement.

Est-ce que le service dans la Garde suisse a aussi été pour vous une sorte d’école de vie?

Une grande école de vie. C’est très clair. On a vécu des choses qu’on ne peut vivre ailleurs, ni à l’université, ni à l’école, ni dans l’apprentissage. Ce que j’ai vécu là-bas, m’est actuellement très profitable dans mon métier d’huissier du Conseil fédéral. On peut se constituer un réseau sur toute la Suisse, on apprend à servir, à s’engager pour d’autres et c’est aussi bien sûr un élargissement de l’horizon. C’est un vécu qui reste présent en soi et qui nous influence en permanence.

A quoi pensez-vous par exemple?

Déjà l’attitude intérieure et extérieure. Quand je vois des jeunes gens de mon âge qui traînent en ville avec une posture molle, alors je me rappelle toujours la posture droite que nous avons apprise dans la Garde suisse. Pendant ces deux années, j’ai donc appris une autre posture, une posture droite à tenir aussi intérieurement. Il n’est pas question de devenir hautain, mais d’avoir une attitude saine.
Je considère aussi le fait de servir comme quelque chose de très important, également dans mon métier d’huissier du Conseil fédéral: donner quelque chose, donner volontiers quelque chose sans attendre une contrepartie matérielle à chaque fois. De mon point de vue, je trouve de grande valeur que des jeunes gens, des jeunes hommes puissent faire cette expérience en tant que garde suisse. Beaucoup de jeunes gens ne savent pas et ne réalisent pas quel accomplissement cela peut être de donner quelque chose, sans attendre directement une contrepartie matérielle. Sous cet angle, il y a une claire corrélation entre le service de garde et les devoirs auxquels on est plus tard confronté dans sa vie professionnelle. L’égoïsme et l’individualisme, chacun pour soi, cela ne fonctionne pas dans la Garde suisse, là on peut faire de toutes autres expériences.

Qu’en est-il des responsabilités que l’on doit assumer? En situation extrême on doit donner sa vie pour celle d’un autre?

On doit assumer ses responsabilités, être autonome, être extrêmement consciencieux et concentré sur son devoir. Par exemple, quand on est de garde devant le logement du Pape de minuit à quatre heures du matin, cela demande une extrême concentration, on doit être vigilant, et là on porte une responsabilité immense. Et il faut la porter, sinon on ne peut pas remplir le devoir pleinement.
On sait pourquoi on est là, la mission est claire et précise. Ce point ne peut pas être comparé avec l’armée régulière. Là intervient plutôt la question: pourquoi dois-je faire ceci ou cela maintenant?

Dans quelle mesure la cohésion dans son propre pays est renforcée par le service à Rome?

Le quartier suisse au Vatican est comme une Suisse miniature. La part des régions linguistiques est un portrait de la population suisse. Il y a les particularités cantonales, des Valaisans ou des gardes de Suisse orientale, mais il y a néanmoins une grande cohésion. Il y a beaucoup d’éléments qui relient les gens. On est là pour la même raison, on a la même mission, un but commun, c’est-à-dire garantir la sécurité du Pape, et ça unit beaucoup. Et l’on peut reporter cette attitude en tout cas sur notre pays. Nous sommes tous ensemble là pour quelque chose, et nous savons aussi dans quel but, et ce que nous avons à faire. Là, il y a bien sûr des rapports étroits avec notre pays.

Est-ce que vous avez aujourd’hui encore des contacts avec les gardes qui étaient en service avec vous?

Oui, bien sûr, on rentre chez soi ayant établi un grand réseau de contacts.

Est-ce que l’armée suisse peut apprendre quelque chose de la Garde suisse par rapport à l’attitude et au point de vue de chacun?

C’est une question difficile à laquelle je ne peux pas répondre facilement. Je ne sais pas non plus si j’ai le droit de le juger mais je peux essayer:
La mission que donne le Parlement à l’armée ne devrait peut-être pas seulement consister en des interventions lors de catastrophes ou pour la lutte contre le terrorisme, mais en quelque chose d’«immatériel», quelque chose qu’on ne peut pas facilement exprimer en mots, quelque chose d’après quoi les gens peuvent s’orienter. S’engager pour son pays, même si l’on ne voit pas directement un ennemi. Il s’agit aussi de la cohésion de notre pays entre les différentes régions linguistiques et les particularités culturelles qui en résultent. Quand je repense au temps du service militaire, il était très important comme Suisse alémanique d’aller au service en Suisse romande, ou les Suisses romands d’aller en Suisse alémanique, ou d’accomplir le cours de répétition dans une autre région de la Suisse. Cela contribue de manière décisive à la cohésion de notre pays. S’il n’y avait plus ça, ce ne serait pas bien pour notre pays. Nous ne devons pas nous défendre à la frontière, mais nous faisons ça pour la cohésion de notre pays et c’est une défense très importante. Bien sûr, nous devons aussi être ca­pable de nous défendre contre des agressions de l’intérieur et de l’extérieur, mais nous devons aussi défendre nos valeurs, et là, c’est important que nous connaissions aussi nos valeurs. Puis se pose aussi la question de savoir ce que nous voulons investir pour défendre nos valeurs et pour les sauvegarder. Ce qui est aussi important, ce sont les expériences humaines avec les camarades lorsqu’on passe beaucoup de temps ensemble. Dans la vie civile, on n’y pense pas souvent et l’on peste contre l’armée sans se rendre compte qu’on y fait toutes sortes d’expériences positives dont beaucoup peuvent être appliquées dans la vie quotidienne, et qu’on applique sans s’en rendre compte.

Merci beaucoup pour cet entretien.    •