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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2016  >  No 14, 27 juin 2016  >  Le gouvernement allemand sacrifie l’agriculture aux intérêts de l’industrie à l’aide du TTIP [Imprimer]

Le gouvernement allemand sacrifie l’agriculture aux intérêts de l’industrie à l’aide du TTIP

par le Professeur Eberhard Hamer

Au cours des dernières décennies, l’agriculture allemande a vu son plus grand épanouissement et a gagné beaucoup d’argent. Elle a pu investir beaucoup et en plus, les prix des terrains ont quintuplé depuis 10 ans et les locations agricoles triplé. Il existe même des fonds agraires internationaux essayant de fuir l’inflation et la dépréciation de la monnaie en investissant en terrains et forêts. Recherchant la sécurité dans des valeurs matérielles, ils croient en plus en une augmentation de la valeur continue de ces investissements.

Mais en fait, l’agriculture se trouve à la veille de changements dramatiques, pour des raisons de politique internationale, européenne et nationale. Les changements se manifestent d’abord dans les domaines des marchés du lait et du porc.
Jusqu’à récemment, les producteurs laitiers ont bien gagné leur vie dans un marché ordonné grâce aux quotas laitiers. Mais les coûts diminuaient avec l’augmentation du nombre de vaches par étable et dans des conditions de ventes assurées; le nombre des étables et des vaches, et avec eux la production, augmentait sans cesse. Après la fin abrupte des quotas laitiers, la surproduction inonda le marché et cassa les prix qui avaient été imposés par le marché des consommateurs. Ainsi, les producteurs laitiers emmagasinent chaque jour des pertes, avec des prix de vente d’environ 20 centimes et des prix de revient de 35 à 40 centimes par jour.
Une place laitière, par vache, coûte environ 10?000 euros; une grande étable a 400 vaches, donc 4 millions d’euros. Si, en plus de cette dette, s’y ajoutent des dettes de la production quotidienne, les fermes ayant la plus importante dette doivent annoncer l’insolvabilité. La mort des fermes a déjà commencé. Si rien ne sera entrepris, 25 à 30% du marché du lait sera anéanti.
Dans le marché du porc, nous connaissons le «cycle porcin», l’augmentation du nombre de porcs au-delà de la demande, quand les prix sont bons. Puis, suite à la surproduction, les prix s’effondrent à nouveau, et ce ne sont pas que les producteurs à rentabilité limite qui s’écroulent, mais aussi les autres producteurs diminuent à nouveau le nombre de porcs. Le marché du porc est actuellement également dans une phase de correction et de crise, parce que les prix des producteurs se situent au-dessus des prix de revient.

Pourquoi le gouvernement fédéral n’intervient-il pas?

  1. A l’après-guerre, tous les gouvernements, y compris la Commission européenne visaient l’autosubsistance pour l’agriculture. L’Allemagne devait maintenir la production agricole au point de pouvoir nourrir sa population. Ce principe a été étendu à l’Europe, dans le cadre de l’Union européenne. Mais entretemps, cette orientation a été abandonnée sous la pression des Etats-Unis, parce que ces derniers ont besoin de l’exportation de leurs produits agricoles. Ils font pression à l’intérieur de l’UE pour pouvoir librement exporter leurs produits bon marché en Europe, produits en partie génétiquement modifiés.
  2. Concernant les marchés du lait et du porc, l’exportation vers la Russie a joué un grand rôle. Mais, sous pression des Etats-Unis, le gouvernement fédéral a adopté des sanctions contre la Russie, dans ces domaines agricoles, éliminant une partie importante des exportations. La politique a donc réduit les possibilités de vente de l’économie laitière sans fournir d’alternatives.
  3. Selon la volonté du gouvernement fédéral, l’Accord de libre-échange transatlantique entre l’UE et les USA (TTIP ou TAFTA en anglais, PTCI en français) ouvrira toute grande la porte pour les produits agricoles américains. Les excès de production des Etats-Unis inonderont l’Europe. Les prix, aussi pour les céréales, chuteront et enfonceront les producteurs de céréales dans une crise, comme ils l’ont fait déjà pour les producteurs de céréales et de porcs. Les Etats-Unis ont franchement déclaré qu’ils exigeront l’exportation de céréales en Europe comme compensation pour l’importation de voitures européennes. Pour cette raison, l’industrie milite pour cet accord. Elle veut sacrifier l’agriculture en faveur de l’industrie. Mme Merkel y est prête. Le ministre de l’Agriculture, en principe amené à défendre l’agriculture, flanche. Après notre expérience avec une politique d’aplatissement devant les Etats-Unis, nous craignons que la politique ne sacrifie et ne trahisse l’agriculture allemande aux intérêts des Etats-Unis et de l’industrie.
  4. Les Etats-Unis sont surendettés et prévoient de dévaluer la valeur externe du dollar. Ceci diminuerait leurs dettes, mais grugerait aussi leurs créanciers et, en plus, améliorerait les possibilités d’exportation. La combinaison d’un libre-échange type TTIP et d’un dollar bon marché accablerait l’agriculture allemande encore davantage, avec un accroissement de céréales américain bon marché.
  5. Ce n’est pas la première fois qu’un changement de la politique agricole avec l’ouverture des marchés internationaux conduit à des crises de l’agriculture. On l’a vu déjà en 1890 et 1920. Après 1890, des centaines de milliers d’agriculteurs devinrent insolvables uniquement suite à une telle politique et furent réduits à la mendicité. Au début des années 1920, également à cause des céréales américain bon marché, plus de 10?000 fermes firent faillite. Maintenant, il y a le même danger que les producteurs de lait et de porcs, tout comme les producteurs de céréales, soient ruinés, suite à la chute des prix en Europe, commanditée par les Etats-Unis.
    La spirale vers le bas se mettra en route sans pitié comme en 1890 et 1920: d’abord s’écroulent les prix du lait, du porc et des céréales, puis les fermes s’endettent trop, puis leurs étables resteront sans valeur parce que personne ne veut les acheter, puis la même chose pour les champs de céréales, de sorte que les banques demanderont des garanties et contraindront par la force à l’insolvabilité. A la fin, il y aura à nouveau 20 à 30% des exploitations – y compris les existences des agriculteurs et de leurs employés – qui seront détruits et le reste de la population sera également appauvri.
    Avec TTIP, l’épanouissement de l’agriculture pourrait trouver sa fin. Pour la politique allemande, l’exportation, notamment des multinationales, est plus importante que l’existence de l’agriculture, vu que la plus grande part des entreprises cotées au DAX sont à plus de 70% en mains étrangères.

Les capacités agricoles qui seront détruites dans cette crise risqueront de ne plus jamais être rétablies. Les Etats-Unis ont, pour la seule production de biocarburant, 50 millions d’hectares de terres agricoles. Ils pourraient facilement et avec grand plaisir les transformer en production de céréales pour l’exportation. Et les terres fertiles de l’Ukraine sont déjà majoritairement en main des multinationales américaines (Dreyfus et autres): ainsi le marché européen sera inondé aussi de ce côté-là par de la production américaine infestée d’OGM.
L’abandon de la politique de l’autosubsistance et le sacrifice de notre agriculture nationale suite à TTIP en faveur des multinationales américaines ne serait pas seulement un échec de la politique, mais un dommage durable qui nous procurera un problème existentiel d’approvisionnement dès le commencement de la crise économique mondiale qui est imminente.    •
(Traduction Horizons et débats)