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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°49/50, 29 décembre 2010  >  Emprunts d’Etat allemands dans le portefeuille de la Banque nationale suisse [Imprimer]

Emprunts d’Etat allemands dans le portefeuille de la Banque nationale suisse

par Hans Kaufmann, conseiller national

Selon le spécialiste en politique financière Hans Kaufmann, de nombreux emprunts d’Etat allemands figurent dans le portefeuille de la Banque nationale suisse.

L’Allemagne fait comme si les taux d’intérêt peu élevés en Allemagne relevaient de son mérite, voire étaient la conséquence d’une politique financière exemplaire, comme si l’Allemagne n’avait pas besoin de quantitative easing, c’est-à-dire de ventes d’emprunts d’Etat par sa banque centrale, en l’occurrence par la Banque centrale européenne (BCE).
Si l’on tente d’identifier les plus gros souscripteurs d’emprunts d’Etat allemands de ces deux dernières années, on découvre un fait surprenant. Nombreux, voire très nombreux sont les emprunts d’Etat allemands qui apparaissent dans le portefeuille de la Banque nationale suisse (BNS) qui a acheté des quantités énormes d’euros à travers ces titres.
La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a confirmé ce fait lors de l’heure des questions du 6/12/10 au Conseil national. Selon la conseillère fédérale, la BNS détient 55% de ses devises en euros. Elle en a investi la majeure partie en emprunts d’Etat et l’Allemagne est de loin le plus important débiteur individuel.

Des placements en devises unilatéraux

Dans son rapport sur les 9 premiers mois de l’année, la BNS écrit que les placements en devises s’élevait fin septembre 2010 à 216 milliards de francs (fin 2009: 95 milliards de francs). 55% sont placés en euros, ce qui équivaut à une somme de 119 milliards de francs. 83% de tous les placements en devises, soit 179 milliards de francs, sont constitués d’emprunts d’Etat.
Si cette proportion est valable aussi pour les placements de devises en euro, cela équivaudrait à environ 99 milliards de francs. La majeure partie sont des emprunts d’Etat allemands. Le minimum se chiffre donc autour de 50 milliards de francs, mais la «majeure partie» représente plutôt entre 80 et 90 milliards de francs (environ 65 milliards d’euros).

Des engagements gigantesques

Cette somme est entre 30 et 50% plus élevée que le budget de la Confédération en 2010. Elle correspond aussi à 80% de la dette brute de 111 milliards de francs fin 2009. Il s’agit ici dans la perspective suisse d’engagements gigantesques et de gros risques probléma­tiques en faveur de l’Allemagne.
L’Allemagne avait à la fin de 2009 une dette publique de 1694 milliards d’euros (Fédération: 1054 milliards, Länder: 526 milliards, communes: 114 milliards). L’engagement de la BNS représente plus de 6% de cette dette ce qui doit en faire un des plus grands créanciers individuels de la RFA.

La Suisse, investisseur de taille

La Suisse est même probablement le plus gros investisseur individuel. Si l’on compare cette somme de 65 milliards d’euros avec le déficit de 2009 de 34 milliards – ou avec les résultats provisoires des neuf premiers mois présentant un solde de financement négatif du budget fédéral de 49 milliards d’euros – on constate que les achats d’emprunts d’Etat de la BNS couvriraient environ 75% de ce déficit de 2009/2010.
Ce gros risque limite considérablement la marge de manœuvre de la politique financière de la BNS. Elle ne pourrait guère vendre d’un jour à l’autre des emprunts d’Etat allemands pour un montant de plus de 60 milliards d’euros sans ébranler le système des intérêts dans la zone euro.

Question d’une brûlante actualité

Ces engagements gigantesques sont d’une brûlante actualité politique. C’est pourquoi la BNS devrait à l’avenir informer sur ses engagements auprès d’autres Etats de manière détaillée et préciser s’ils ont eu lieu anonymement par le biais des marchés de capitaux ou sur la base d’accords politiques. Sans cette transparence, un sentiment de malaise naîtra dans l’opinion publique.
Jusqu’en septembre 2010, la BNS, selon son rapport intermédiaire, avait enregistré des pertes gigantesques se montant à 21,2 milliards de francs dans ses placements en devises. En octobre, dans la statistique la plus récente que l’on puisse obtenir, le capital propre, y compris les provisions pour la distribution à la Confédération et aux cantons, a encore diminué de 1,7 milliard de francs.

Jusqu’à épuisement des fonds propres

Des 52 milliards de francs de fonds propres fin octobre, 19 représentent des provisions pour la distribution à la Confédération et aux cantons, si bien que le capital «disponible» s’élève à 33 millions, c’est-à-dire à 11,7% du total des actifs de 281 milliards de francs.
Ainsi la BNS est très bien placée dans le contexte international des cinq autres banques centrales de premier plan. Celles-ci possèdent ensemble moins de 3% de capital propre par rapport au total de leurs actifs.
Mais si l’on compare ces 33 milliards de francs avec les réserves en devises de 214 milliards de francs, ces derniers ne devraient pas être dévalués de plus de 15% si l’on veut éviter de les voir disparaître.

Engagements considérables

Le Conseil fédéral est d’avis que la BNS pourrait continuer à accomplir sa mission financière à court terme en étant surendettée, mais qu’elle devrait prendre des mesures pour reconstituer son capital propre.
Cela pourrait se faire si elle conserve ses profits ou si on lui apporte de nouveaux capitaux propres. Mais la Confédération n’est pas légalement obligée de procéder à une rallonge financière (Interpellation 10.3360).
Cela étant, la politique devrait réfléchir plus intensément aux engagements considérables de la BNS dans le domaine de l’euro et à son soutien du gouvernement allemand à hauteur de milliards d’euros.

La BNS n’a pas toujours eu la main heureuse

Une chose est sûre: la BNS n’a pas toujours eu la main heureuse avec ses placements de capitaux ces dernières années. Ainsi, elle a vendu, entre 2000 et 2005, 1300 tonnes d’or pour un montant de 16 241 francs le kilo, ce qui correspondait à un profit total de 21,1 milliards de francs.
Si elle n’avait pas vendu ces 1300 tonnes d’or, elles vaudraient actuellement 44 000 francs le kilo, ce qui représenterait 57,2 milliards de francs. Cette différence de 33 milliards de francs aurait suffi à dispenser les contribuables suisses de l’impôt fédéral pendant deux ans.    •

Cet article a paru sous le titre «Schweiz stützt deut­sche Regierung mit Milliarden» sur le site:
www.finews.ch/news/finanzplatz/4821-hans-kaufmann-die-schweiz-stuetzt-die-deutsche-regierung-mit-milliardenbetraegen
(Traduction Horizons et débats)