Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°7, 17 fevrier 2008  >  Démesure, envie ou escroquerie? [Imprimer]

Démesure, envie ou escroquerie?

A propos de la discussion allemande sur les salaires à hauteur de millions et les salaires minimums

par Gisbert Otto

En l’espace de 20 ans les émoluments des cadres des entreprises allemandes du Dax-30 sont passés de 14 à 44 fois le salaire des employés – et, dans le cas de la Poste allemande, à 87 fois. Pour justifier ces hautes rémunérations de manager on pouvait lire dans la presse les différentes prises de positions suivantes: «Une société qui a rapidement tendance à prendre les chefs d’entreprises pour des voleurs, n’est pas mûre.» «Personne ne s’irrite des gages à hauteur de millions pour un pilote comme Michael Schumacher ou un footballeur comme Michael Ballack.» Le président du syndicat des entrepreneurs Hundt a dit à la radio Deutschlandfunk: «Les sa­laires des managers ne sortent pas du cadre lors d’une comparaison internationale.» Même Robert Oswald, président du comité d’entreprise du consortium BASF, qui «défend les intérêts des salariés dur comme fer», veut sortir la discussion du «coin des envieux» et trouve les salaires des managers tout à fait dans les normes. La plupart des commen­taires avaient cette teneur, même en évoquant également les débordements des primes de licenciement des managers. Le chef du SPD Beck réfléchit même à une loi qui interdirait ce genre d’indemnisation à coup de millions. L’accent est mis cependant sur le fait qu’à la base la liberté de contrat est valable; la politique n’a rien à voir là-dedans.

Le véritable scandale

Les débordements des salaires des managers sont un scandale; ils contredisent à notre sentiment de justice. Le véritable scandale est cependant l’indifférence par rapport aux salariés. Les responsables ne se soucient pas du bien-être des salariés. Au contraire: les hauts salaires que les managers s’accordent entre eux, doivent être payés par les salariés, dont les revenus stagnent. C’est cela la grande escroquerie! Tandis que les uns n’en ont jamais assez d’amasser de l’argent, les autres ne savent pas comment joindre les deux bouts. Le fait que les responsables regardent sans rien faire, c’est cela la vraie honte et l’inhumain, et les principaux responsables économiques n’accordent probablement même pas une pensée à cela. Par contre, le paiement d’un salaire minimum est refusé avec véhémence, et cela par «souci» du risque de mettre des ­postes de travail en péril. Ce point de vue de la situation à sens unique est grave, car on ne se pose apparemment pas de questions sur le fait que les salaires versés doivent suffire à financer le coût de la vie. Au lieu de cela on parle officiellement de croissance économique, qui n’est cependant pas perçue par la majorité des salariés. Cette escroquerie existe depuis des décennies. Elle n’est pas seulement couverte par le plus haut poste, mais aussi par tous les niveaux du gouvernement et par presque tous les médias. Ainsi, la chancelière ­Angela Merkel a dit, le ­22 novembre 2007, lors du débat sur le budget, que la population profite également du développement positif. «La croissance atteint les gens. C’est la bonne nouvelle» dit-elle. A-t-elle vraiment voulu parler de la population?
Ne sait-elle pas que la croissance est principalement venue de par la réalisation de l’Agenda 2010? Donc par des contrats de travail précaires (Jobs à 1 Euro, emplois à bas salaires, contrats à durée limitée et autres).
Ne sait-elle pas que l’Allemagne n’a pas connu d’augmentation des salaires réels entre 1995 et 2004? Les salaires réels ont même baissé de 0,9% pendant cette période, alors qu’ils ont augmenté de 7,4% en moyenne dans les 15 plus anciens pays de l’UE (données du rapport des tarifs de l’Institut économique et sociologique européen).
Ne sait-elle pas qu’aujourd’hui 7,5 millions de personnes en Allemagne touchent les prestations de Hartz-IV (Aide sociale minimum, ndt) et doivent s’en sortir avec 345 Euro (plus le loyer)?
Et ne sait-elle rien des nombreux enfants qui doivent aller affamés à l’école (2,6 millions d’enfants vivent en dessous du seuil de la pauvreté)?

L’appauvrissement de la population est programmé

Nous devons supposer que Madame ­Mer­kel connaît très bien tous ces chiffres. Ils ne sont pourtant pas à l’ordre du jour, parce que l’Europe trotte toujours à la traîne derrière les USA et se déclare en faveur du système économique américain – le néolibéralisme. Le ­président américain ­Ronald Reagan et la Première ministre britannique ­Margaret Thatcher ont installé ce système dans les années 80. Reagan parlait du «Trickle down economics», qui signifie en bref: «Si les riches se portent bien, alors il en reste un peu pour les autres.» Le côté élitaire de cette phrase crève les yeux aussitôt. Mais il y a eu encore pire. Après la chute du mur de Berlin, le capitalisme a complètement jeté les masques. Dès lors, il n’avait plus besoin d’être social, puisque le socialisme n’existait plus comme contre-mouvement. Dans les années précédentes il fallait encore prouver que le capitalisme sert l’homme davantage que le socialisme. Avec l’effondrement du socialisme en Europe de l’Est et la dissolution de l’Union soviétique, cela n’était plus nécessaire. Au lieu de cela la vente et le profit ont été élevés au rang d’idoles; peu importe ce que cela signifie pour l’homme. Les conséquences de cette politique deviennent nettement visibles aujourd’hui. Aux USA elles sont catastrophiques: environ 47 millions d’Américains n’ont pas de caisse-maladie; 20 % des Américains sont analphabètes. Voulons-nous aussi cela? Sûrement pas. Mais pour mieux comprendre ces évolutions, nous devons connaître les aiguillages politiques faits dans les années 90.
Le 27 septembre 1995, une conférence a eu lieu à San Francisco, avec 500 participants venant de tous les continents. La voie vers le XXIe siècle a été décrite: 20 % des per­sonnes aptes au travail suffiraient pour maintenir le rythme du commerce mondial. Comme objectif pour ce «monde global» on impose la société des 20:80: 20 % peuvent disposer du pouvoir et des richesses, les 80 % restants doivent se satisfaire de «tittytainment» – un mélange de divertissement anesthésiant et de nourriture suffisante (tits).
C’est cela la vision de San Francisco dont nous ne sommes plus très loin également en Europe.

L’Europe doit prendre son propre chemin

Les protestations contre cette indigne ­évolution viennent aujourd’hui moins du côté des syndicats que de celui de l’Eglise. ­Radio Vatican le dit clairement dans son annonce du 10  décembre: «Si l’on parle actuellement d’un essor économique en Allemagne, cela est hypocrite, s’il est réalisé sur le dos des gens […]. Ce qui est exigé des gens, cela est dégradant […]. Le salaire payé doit permettre entre autres à conduire une vie digne pour soi et pour les siens […].»
De ce fait il n’est pas question d’une quelconque «meilleure mondialisation» ou d’un quelconque «meilleur néolibéralisme», par exemple par un actionnariat des salariés (ce qui est de toute façon une absurdité, car le salarié moyen a trop peu de réserves pour supporter les risques qui pourraient survenir d’une chute brutale des cours). Non, il s’agit d’un changement radical vers plus de sincérité – vers le paiement d’un salaire juste, qui comporterait aussi une participation aux gains de productivité. Cela permettrait non seulement aux salariés de respirer; cela permettrait de soutenir le marché intérieur, un problème discuté souvent et sans résultats.
La responsabilité face aux «Shareholders» propagée aujourd’hui est une chimère. La responsabilité comprend toujours une totalité; elle ne peut donc pas valoir seulement pour une petite minorité. De ce point de vue, les principaux responsables économiques agissent de façon absolument irresponsable face aux hommes et face à l’avenir de l’Europe. Car l’Europe doit s’appauvrir, si elle reste soumise à la concurrence bon marché de la Chine et de l’Inde. Il serait beaucoup plus rentable de prendre des mesures générales de protectionnisme afin d’assurer qu’aussi bien dans le pays qu’à l’étranger des conditions de travail ainsi qu’un salaire décent soient imposés. De telles dispositions pourraient faire de l’Europe un modèle pour d’autres blocs économiques – un modèle, dont nous avons actuellement besoin d’urgence. La conscience des acquisitions historiques et sociales du modèle social européen pourraient aider à cela. Ces acquisitions et échelles de valeurs sont toujours présentes dans les têtes des gens – à la différence des USA, où une dose d’inégalités relativement haute est historiquement acceptée. C’est pour cette raison que ce système économique, qui permet de grands écarts de richesses, ne rencontre qu’une ­faible résistance aux USA.
En Europe par contre l’égalité et la sécurité sociale jouent un grand rôle dans l’échelle des valeurs. De ce fait, il est possible et indiqué de se poser la question de savoir s’il n’existe pas, en Allemagne ou en Europe, des responsables économiques et des politiciens influents, qui s’occupent également de telles réflexions. Les graves disfonctionnements, qui dirigent et menacent la vie de beaucoup de gens – les guerres, que les USA de par leur aspiration à la domination mondiale veulent conduire (le vice-président américain Dick Cheney parle de 10, 20, 30 ou 40 ans de guerres) – sont suffisamment de signes pour un changement vers la raison – vers une véritable responsabilité. Si, au lieu de parler de salaires par millions et de sa­laires minimums, l’on discute sérieusement sur un avenir durable de l’Europe, alors les citoyens de l’Europe apporteront de nouveau une contribution plus constructive à un changement structurel, car il s’agira en fait de rénover et non pas de supprimer le modèle social européen.     •

«Les bas salaires sont indignes»

Le 10 décembre était le jour commémoratif des «droits de l’homme». Ce jour rappelle l’adoption de la Déclaration des Droits de l’homme par l’Assemblée générale de l’ONU, le 10 décembre 1948. Les violations des droits de l’homme continuent malgré cela d’être à l’ordre du jour. C’est pourquoi l’ONU lance maintenant une campagne d’une année, c’est à dire jusqu’au 60e anniversaire de la déclaration, qui aura lieu en 2008.
Ernst Leuninger affirme qu’il n’y aura pas besoin de chercher au loin, que les droits de l’homme sont violés même en Allemagne. Selon le professeur honoraire pour une éthique sociale et chrétienne de Vallendar, il n’y a qu’à voir le débat actuel sur le salaire minimum en Allemagne. D’après Leuninger, c’est un véritable scandale que «des gens en Allemagne soient obligés de travailler pour un salaire de misère qui ne leur assure pas une subsistance convenable. Si cela n’est pas reconnu et changé, nous allons, avec nos contrats de travail précaire, vers une situation indigne d’un être humain dans le monde de travail.» Si, en ce moment, on parle de boom économique en Allemagne c’est hypocrite car il se fait sur le dos des travailleurs: «C’est dégradant, ce qu’on demande aux gens. On revient petit à petit à la situation de l’Est autrefois: des personnes avec deux contrats de travail ou qui ne gagnent quelque chose que pendant la période d’été (les saisonniers). La prétendue augmentation de l’emploi est en réalité, si l’on regarde de plus près, due au fait que de plus en plus de personnes sont contraintes d’avoir deux emplois!» L’église demande donc pour les ouvriers un salaire qui respecte un vieux principe de la théorie sociale catholique, à savoir une rétribution permettant d’assurer une vie digne à soi et aux siens, de faire face en cas de maladie et de contribuer à une prévoyance vieillesse.»

Source: Radio vaticane du 10/12/07