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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 6, 17 mars 2014  >  «En accord avec le droit international» [Imprimer]

«En accord avec le droit international»

Extraits de la conférence de presse du président de la Russie Vladimir Poutine du 4 mars 2014

Tout d’abord, je vais présenter mon évaluation des événements qui se sont déroulés à Kiev et en Ukraine en général. Il n’y a qu’une seule évaluation possible de ce qui s’est passé: il s’agit d’une prise de pouvoir anticonstitutionnelle et armée. Y a-t-il quelqu’un qui remet cela en question? Non, il n’y a personne. Néanmoins, une question reste sans réponse, car ni moi ni mes collègues, avec lesquels j’ai beaucoup discuté de la situation en Ukraine ces derniers jours – comme vous le savez, n’avons pu y répondre. La question est celle de savoir pourquoi cette prise de pouvoir a eu lieu.
J’aimerais attirer votre attention sur le fait que le 21 février dernier, le président Ianoukovitch a signé un accord avec l’opposition par l’intermédiaire des ministres des Affaires étrangères de trois pays européens: la Pologne, l’Allemagne et la France, et cela en présence de mon représentant (Vladimir Loukine, le commissaire russe aux droits de l’homme). J’aimerais également souligner (sans apporter de jugement, je ne fais qu’établir les faits) qu’avec cet accord, M. Ianoukovitch a pratiquement cédé le pouvoir. Il a accepté tous ce que l’opposition réclamait: des élections parlementaire et présidentielle anticipées et le retour à la Constitution de 2004. Il a réagit positivement à la demande de ne pas recourir à la force, qui a été exprimée par nous, par les pays occidentaux et, avant tout, par l’opposition. Il n’a donné aucun ordre illégal de tirer dans la foule des pauvres manifestants. Au contraire, il a ordonné à la police de se retirer de la capitale et les forces de l’ordre ont obéit. Lorsqu’il est allé à Kharkiv pour participer à une réunion, les manifestants ont aussitôt occupé sa résidence et les édifices du gouvernement au lieu de libérer les bâtiments administratifs occupés et respecter l’accord obtenu.
Je me demande quelle est la motivation de tout cela, car je veux comprendre pourquoi ces événements se sont produits. En effet, M. Ianoukovitch avait déjà renoncé au pouvoir et, comme je crois et je le lui ai dit, il n’avait aucune chance d’être réélu. Tout le monde est d’accord sur cela, tout le monde à qui je parlais au téléphone ces derniers jours. Quel était le but de toutes ces actions illicites et inconstitutionnelles? Pourquoi ont-elles provoqué un tel chaos dans le pays? Ces questions manquent de réponses, alors que des militants masqués et armés continuent à vagabonder dans les rues de Kiev. Ont-ils voulu humilier quelqu’un et démontrer leur pouvoir? Je trouve ces actions complètement bêtes, car elles ont pour résultat tout le contraire de ce à quoi les militants s’attendaient. En effet, leurs actions n’ont fait que fortement déstabiliser l’est et le sud-est de l’Ukraine.
Passons maintenant à comment cette situation s’est produite.
A mon avis, cette conjoncture révolutionnaire se préparait depuis longtemps: depuis le premier jour de l’indépendance de l’Ukraine. Le citoyen ukrainien ordinaire, monsieur tout le monde, a souffert pendant le règne de Nicolas II, comme pendant le mandat de Leonid Koutchma, celui de Ioutchenko et de Ianoukovitch. Rien, ou quasiment rien, n’a changé pour le meilleur. La corruption a atteint une dimension dont on n’a jamais entendu parler en Russie. L’accumulation des richesses et le clivage social, des problèmes qui sont urgent aussi en Russie, sont dramatiquement pires en Ukraine. Là bas, la situation est passée au-delà de notre imagination. En général, les Ukrainiens voulaient un changement; il n’empêche qu’il ne faudrait pas soutenir un changement illicite.
Dans l’espace post-soviétique, où les structures politiques demeurent encore très fragiles, il faudrait avoir recours uniquement à des moyes constitutionnels; ne pas respecter la Constitution serait une erreur cruciale.
Par ailleurs, je comprends ceux qui se sont rassemblés sur Maïdan, bien que je ne soutienne pas ce type de transition. Je comprends les manifestants de Maïdan qui demandent un changement radical plutôt qu’une réforme cosmétique du pouvoir. Pourquoi demandent-ils cela? Parce qu’ils ont grandi habitués à voir un groupe de voleurs être remplacé par un autre.
De plus, les habitants des régions ukrainiennes ne peuvent même pas participer à la formation des gouvernements locaux. Il fut un temps dans ce pays [la Russie] où le président nommait les dirigeants des régions qui devaient, ensuite, être approuvés par les autorités législatives locales, alors qu’en Ukraine, ils sont nommés directement. Nous [en Russie], nous avons désormais des élections régionales en place, quant à eux, ils sont encore bien loin de cela. Ils ont donc commencé à nommer toute sorte d’oligarques et de milliardaires au gouvernement des régions orientaux du pays. Il n’est pas surprenant que les citoyens ne l’acceptent pas et qu’ils pensent que certains sont devenus très riches à la suite d’une privatisation malhonnête (comme le pensent beaucoup de personnes ici) et que maintenant, ils accèdent encore au pouvoir.
Par exemple, Igor Kolomoïski a été nommé gouverneur de la région de Dnipropetrovsk. Il est un escroc exceptionnel: il y a deux ou trois ans, il a même réussi à tromper notre oligarque Roman Abramovitch. Il l’a arnaqué, comme aiment dire nos intellectuels. Les deux ont signé une affaire, Abramovitch a transféré plusieurs milliards de dollars, alors que ce type-là a empoché l’argent sans jamais rendre le service convenu. Quand je lui ai demandé [à Abramovitch] «Pourquoi tu l’as fait?», il a répondu: «Je n’aurais jamais cru qu’une telle chose soit possible». Au fait, je ne sais pas s’il a jamais récupéré son argent et si l’affaire a été conclue. Cela c’est vraiment passé il y a quelques années, et maintenant, cet escroc a été nommé gouverneur de Dnipropetrovsk. Pas étonnant que les citoyens soient mécontents: ils étaient mécontents et ils le resteront aussi longtemps que ceux qui se font appeler «autorités légitimes» continuent à faire de même.
Il est important que les citoyens aient le droit de déterminer leur propre avenir, ainsi que l’avenir de leurs familles et de leurs régions et qu’ils puissent y participer de manière équitable. J’aimerais souligner ce qui suit: qu’on vive dans n’importe quelle partie du pays, on devrait toujours avoir le droit à participer équitablement à déterminer le futur du pays.
Les autorités actuelles, sont-elles légitimes? Le Parlement l’est partiellement, mais toutes les autres ne le sont pas. Le président actuellement au pouvoir n’est absolument pas légitime. D’un point de vue juridique, il n’y a qu’un président légitime. Il n’a aucun pouvoir, évidemment, mais, comme je l’ai déjà dit et je le répèterai, Ianoukovitch est sans doute le seul président licite.
En droit ukrainien, il existe trois manières de destituer un président: la première est sa mort, la deuxième est sa démission personnelle et la troisième est sa mise en accusation. Cette dernière est une norme constitutionnelle délibérée qui nécessite l’implication de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême et de la Rada [le Parlement]. Il s’agit d’une procédure très longue, qui n’a pas été mise en œuvre. En conséquence, d’un point de vue juridique, il est indéniable que Ianoukovitch est le seul président légitime.
En outre, je pense que cela pourrait être la raison pour laquelle ils ont dissout la Cour constitutionnelle, ce qui contredit toutes les normes ukrainiennes et européennes. Ils ont non seulement dissout la Cour constitutionnelle d’une façon illicite, mais ils ont aussi, pensez-y seulement, instruit le bureau du procureur général à intenter une procédure criminelle contre ses membres. Qu’est-ce que c’est que tout cela? Est-ce ce qu’ils appellent «justice libre»? Comment peut-on instruire quelqu’un à lancer une procédure criminelle? Si un crime ou un délit a été commis, les agences du maintien de l’ordre réagissent. Mais les instruire à avancer des accusations criminelles, c’est absurde, c’est du n’importe quoi.
Maintenant, concernant l’aide financière à la Crimée. Comme vous le savez, nous avons décidé d’organiser le travail dans les régions russes pour aider la Crimée, celle-ci a fait appel à nous pour une aide humanitaire. Nous allons satisfaire cette demande, bien sûr. Je ne peux pas dire combien, quand et comment – le gouvernement travaille sur ce point, en accord avec les régions limitrophes de la Crimée et en fournissant un soutien supplémentaire à ces régions afin qu’ils puissent aider les gens en Crimée. Nous ferons pour le mieux, bien sûr.
En ce qui concerne le déploiement des troupes, l’utilisation des forces armées: pour l’instant, cela n’est pas nécessaire, mais c’est toujours une possibilité. Je voudrais dire ici que les exercices militaires que nous avons récemment tenus n’avaient rien à voir avec les événements en Ukraine. Cela était planifié depuis longtemps, mais nous n’avons pas à divulguer de tels plans, bien sûr, parce que c’était une inspection non annoncée de vérification du bon fonctionnement des forces de combat. Nous avions prévu cela depuis longtemps, le ministre de la Défense est en contact avec moi et l’ordre de commencer cet exercice était prêt. Comme vous le savez peut-être, les exercices sont terminés; j’ai donné hier l’ordre aux troupes de retourner dans leurs baraquements.
Quel peut être la raison à l’utilisation des forces armées? Une telle mesure serait certainement le dernier recours.
Tout d’abord la question de la légitimité. Comme vous le savez, nous avons eu un appel direct du président «historique» qui est, comme je le disais, le président légitime de l’Ukraine, M. Viktor Ianoukovitch, nous demandant d’utiliser les forces armées pour protéger la vie, la liberté et le bien être des citoyens de l’Ukraine.
Quelle est notre plus grande préoccupation? Nous voyons le saccage commis par des forces réactionnaires, nationalistes et antisémites se produisant dans certaines régions de l’Ukraine, y compris Kiev. Je suis sûr que vous, les membres des médias, avez vu comment un des gouverneurs a été enchaîné, menotté et aspergé d’eau dans le froid de l’hiver. Après cela, d’ailleurs, il a été enfermé dans une cave et torturé. Quelle est cette histoire? Est-ce cela la démocratie? Est-ce une manifestation de la démocratie? Il avait été récemment nommé à ce poste, en décembre, je crois. Même si nous acceptons qu’ils soient tous corrompus, il avait à peine eu le temps de voler quoi que ce soit.
Et savez-vous ce qui s’est passé quand ils se sont emparés du bâtiment du Parti des régions? Il n’y avait aucun membre du parti à ce moment-là. Deux ou trois employés sont sortis, l’un était un ingénieur, et il a dit aux assaillants: «Pourriez-vous nous laisser aller, et laisser partir les femmes, s’il vous plaît. Je suis un ingénieur, je n’ai rien à voir avec la politique.» Il a été abattu sur le champ, devant la foule. Un autre employé a été conduit dans une cave, puis ils ont jeté des cocktails Molotov sur lui et l’ont brûlé vivant. Est-ce aussi une manifestation de la démocratie?
Quand nous voyons ceci, nous comprenons ce qui inquiète les citoyens de l’Ukraine, à la fois russes et ukrainiens, et la population russophone dans les régions de l’est et du sud de l’Ukraine. Ce sont ces actes criminels incontrôlés qui les inquiètent. Par conséquent, si nous voyons de tels débordements criminels dans les régions orientales du pays, et si les gens nous appellent à l’aide, alors que nous avons déjà une demande officielle du Président légitime, nous nous réservons le droit d’utiliser tous les moyens disponibles pour protéger les personnes. Nous croyons que ce serait tout à fait légitime. C’est notre dernier recours.
De plus, voici ce que je voudrais dire: nous avons toujours considéré l’Ukraine non seulement comme une république voisine, mais aussi comme un pays frère, et nous continuerons de le faire. Nos forces armées sont des compagnons d’armes, des amis, dont beaucoup se connaissent personnellement. Je suis certain, et j’insiste, je suis certain que l’armée russe et les militaires ukrainiens ne seront pas confrontés l’un à l’autre, ils seront du même côté s’il y a combat.
Par ailleurs, ces choses dont je parle – ce sentiment d’unité – c’est ce qui se passe en Crimée. Il faut noter que, Dieu merci, pas un seul coup de feu n’a été tiré, il n’y a pas eu de victimes, à l’exception de l’écrasement sur la place, il y a une semaine. Que s’est-il passé? Les gens sont venus, ont rencontré des unités des forces armées et ont parlé avec eux, les ont convaincus de suivre les exigences et la volonté des personnes vivant dans cette région. Il n’y a pas eu de conflit armé, pas un seul coup de fusil.
Ainsi, la tension en Crimée qui était liée à la possibilité d’une utilisation de nos forces armées a tout simplement disparu et il n’était pas nécessaire de les utiliser. La seule chose que nous avions à faire, et nous l’avons faite, était de renforcer la défense de nos installations militaires parce qu’elles recevaient constamment des menaces et nous étions conscients que des nationalistes armés voulaient intervenir. Nous avons fait cela, c’était la bonne chose à faire et c’était urgent. Par conséquent, je pars de l’idée que nous n’aurons pas à faire quoi que ce soit de ce genre dans l’est de l’Ukraine.
Il y a quelque chose que je voudrais souligner, quand même. De toute évidence, ce que je vais dire maintenant ne relève pas de mon autorité et nous n’avons pas l’intention d’interférer. Cependant, nous croyons fermement que tous les citoyens de l’Ukraine, et je le répète, où qu’ils vivent, doivent avoir des droits égaux à participer à la vie de leur pays et à la détermination de son avenir.
Si j’étais à la place de ceux qui se considèrent comme les autorités légitimes, je ne perdrais pas de temps à passer par toutes les procédures nécessaires, parce qu’ils n’ont pas de mandat national pour mener la politique intérieure, étrangère et économique de l’Ukraine, et en particulier pour déterminer son avenir.
Maintenant, le marché boursier. Comme vous le savez, le marché boursier était nerveux avant même que la situation en Ukraine se détériore. Ceci est principalement lié à la politique de la FED, Réserve fédérale américaine, dont les décisions récentes ont amélioré l’attractivité de l’investissement dans l’économie américaine et les investisseurs ont commencé à déplacer leurs fonds sur des secteurs en développement sur le marché américain. Il s’agit d’une tendance générale qui n’a rien à voir avec l’Ukraine. Je crois que c’est l’Inde qui a le plus souffert, ainsi que les autres Etats du BRICS. La Russie a été frappé également, pas aussi durement que l’Inde, mais elle l’a été. C’est la raison fondamentale.
En ce qui concerne les événements en Ukraine, la politique influence toujours le marché boursier, d’une manière ou d’une autre. L’argent aime la tranquillité, la stabilité et le calme. Cependant, je pense que c’est un développement tactique et dont l’influence sera temporaire.
[…]
Nos partenaires, en particulier les Etats-Unis, formulent toujours clairement leurs propres intérêts géopolitiques et étatiques et ils les suivent avec persévérance. Puis, en utilisant le principe «Vous êtes avec nous ou contre nous», ils entraînent le monde entier. Ceux qui ne s’associent pas sont «battus» jusqu’à ce qu’ils cèdent.
Notre approche est différente. Nous partons de la conviction que nous agissons toujours légitimement. Personnellement, j’ai toujours été un défenseur d’actes en conformité avec le droit international. Je tiens à souligner encore une fois que si nous devons prendre cette décision, si je décide d’utiliser les forces armées, ce sera une décision légitime en pleine conformité avec les normes générales du droit international, puisque nous avons une demande du Président légitime ainsi que nos propres engagements, qui dans ce cas coïncident avec nos intérêts, à protéger les personnes avec qui nous avons des liens historiques, culturels et économiques étroits. La protection de ces personnes est dans nos intérêts nationaux. Il s’agit d’une mission humanitaire. Nous n’avons pas l’intention de soumettre ni d’imposer quoi que ce soit à quiconque. Cependant, nous ne pouvons pas rester indifférents si nous voyons qu’ils sont persécutés, tués ou humiliés. Cependant, j’espère sincèrement que nous n’en arriverons pas là.    •

Source: Extrait de «Vladimir Putin answered journalists’ questions on the situation in Ukraine», 4/3/14
http://eng.kremlin.ru/transcripts/6763

(Traduction Horizons et débats)

«For the West, the demonization of Vladimir Putin is not a policy; it is an alibi for the absence of one.»
[«Pour l’Occident, la démonisation de Vladimir Poutine ne correspond pas à une politique; c’est l’alibi pour le manque d’une politique.»]

Henry Kissinger dans sa contribution publiée dans la «Washington Post» du 5/3/14 et intitulée
«How the Ukraine crisis ends».