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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°27, 9 septembre 2013  >  «L’Asie du Sud-Est a accompli un développement impressionnant ces dernières 50 années sans mener de guerre» [Imprimer]

«L’Asie du Sud-Est a accompli un développement impressionnant ces dernières 50 années sans mener de guerre»

par Klaus Umbricht

Un de mes amis m’a fait remarquer un article, paru le 10 août 2013 dans la «Neue Zürcher Zeitung» – «Ein Stück Singapur zum Sonderpreis» [Un bout de Singapour en offre spéciale] par Marco Kauffmann. Il décrit un projet de développement économique commun à la Malaisie et à Singapour, la zone économique spéciale d’Iskandar. Elle est située dans la province de Johor, à la frontière sud de la péninsule de Malaisie, directement en face de Singapour. Avec ses 2200 km2, Iskandar représente trois fois la surface entière de Singapour. Dans cette zone, on veut implanter des industries de grande envergure, qui ne trouvent plus de terrain dans la petite ville-Etat de Singapour. Les salaires plus bas en Malaisie devraient aussi représenter un pôle d’attraction. Une nouvelle ville de 3 millions d’habitants – Nusabaya - est planifiée avec toutes les infrastructures, écoles, université et tous les agréments dont une ville moderne a besoin. Les grands fonds d’investissement de l’Etat, Kasanah Nasional (Malaisie), et Temasek Holdings (Singapour) placent de grands investissements dans le projet d’Iskandar.
La lecture de cet article concernant le projet d’Iskandar a engendré quelques réflexions que je voudrais faire connaître en raison surtout de l’aggravation de la situation autour de la Syrie.

Iskandar – un projet impressionnant

Comme cela est décrit dans l’article de la «NZZ», il s’agit, avec la zone économique spéciale Iskandar, d’un projet de développement économique aux dimensions gigantesques. Singapour, une ville-Etat manque de terrain. Déjà ces derniers 50 ans, avec le projet Housing Development Board HDB, Singapour a manié ce problème avec une sagesse extraordinaire, et un nouveau grand pas se fera dans la même direction avec une grande clairvoyance. Les deux pays, la Malaisie et Singapour font un grand pas en avant dans leur développement économique, bien plus impressionnant ces dernières décennies.
Ce qui s’ajoute dans ce contexte – avec un grand écho dans les médias locaux, mais sans que l’occident en prenne note: en février 2013, la Malaisie et Singapour ont signé un accord pour la construction d’un train à grande vitesse entre Kuala Lumpur et Singapour, les deux capitales. Cette ligne ferroviaire touchera aussi la ville de Johor Bahru, le centre du projet d’Iskandar.
A la fin de l’article cité plus haut, on s’interroge sur le fait de savoir si ce mégaprojet ne serait pas un brin trop grand.
L’auteur de ces lignes avait l’occasion, en janvier 1994, dans un froid de canard à Shanghai, de voir une maquette en plâtre montrant le développement planifié de Pudong. Pudong est un grand district central de la grande ville chinoise de Shanghai, au sud de la rivière Yangtse. Nous étions trois, deux Suisses et un Chinois malaisien, Pang Shun Pen, à regarder, ébahis, cette maquette et nous ne pouvions tout simplement pas imaginer qu’une chose pareille soit possible. Cela a dépassé notre entendement. «Ils doivent souffrir de mégalomanie», était notre conclusion. Mais il ne fallait pas 15 ans pour réaliser cet ensemble aux mesures plus grandes que celles planifiées à l’origine. Qui l’aurait cru? Ils nous ont bien surpris!
Les gens de Singapour, à 80% d’origine chinoise, sont de la même trempe que les Chinois de Shanghai. Ce développement économique immense de ces dernières 50 années en fournit une preuve irréfutable. C’est pour cette raison que je n’ai aucun doute que le projet d’Iskandar sera un grand succès. Il est simplement remarquable de constater avec quelle détermination, persévérance et clairvoyance ces nations promeuvent leur développement.

Une politique économique rationnelle est possible

Tout d’abord, nous sommes impressionnés par le seul fait qu’apparemment une politique rationnelle, clairvoyante et persévérante soit possible et puisse mener au succès.
Au contraire, les USA et l’UE ont conduit ces dernières 15 années leurs peuples dans un désastre économique. Des parties considérables de la grandiose UE en faillite ont dégénéré en de vrais îlots de pauvreté. Et tous les gens tremblent toujours de peur et de panique vis-à-vis du moloch des marchés financiers qui nous jettera entièrement dans l’abime, quand il attrape un petit rhume. En réalité, ces marchés financiers ont été créés par des êtres humains et ne représentent pas un phénomène immuable comme par exemple l’Himalaya ou bien la pesanteur. L’être humain devrait pouvoir changer ces marchés financiers lorsqu’ils ne fonctionnent pas en sa faveur.
Apparemment il peut en être autrement, l’Asie du Sud-Est (y compris la Chine) nous le montre.
Avez-vous déjà entendu parler d’une grande banque asiatique qui aurait dû être sauvée dans la crise financière? Certainement pas. Elle n’existe simplement pas. En Asie du Sud-Est, on ne se laisse pas terroriser par ce moloch construit par les hommes. Nous tous, et surtout nos dirigeants, devraient apprendre de ces succès et reconduire l’Occident vers une vraie prospérité – pour le bien de tous et non pas seulement pour l’industrie financière.

Un développement en paix

L’Asie du Sud-Est a accompli un impressionnant développement ces dernières 50 années sans mener de guerre. Même dans des circonstances les plus difficiles, comme en 1965 lors de la sortie de Singapour de la Fédération malaisienne, on a trouvé une voie vers une solution pacifique des problèmes.
Par contre, sous la direction des USA, l’Occident mène toujours une guerre quelque part depuis des décennies ou du moins y est impliqué. Actuellement, par des mensonges, l’Occident est de nouveau conduit dans une guerre, comme cela s’est produit en Irak et en Afghanistan. Le prix économique et moral que nous payons est énorme. Mais le désastre est encore plus dévastateur pour les êtres humains dans les pays concernés.
Notre but le plus important et le plus urgent devrait être de résoudre nos problèmes en paix, comme en Asie du Sud-Est. Je sais très bien que cela ne déclenchera qu’un sourire cynique chez certains. Mais où allons-nous si nous abandonnons cet objectif? Et cela serait tout à fait possible, même actuellement en Syrie.

Collaboration entre nations indépendantes

Au-delà d’un vivre ensemble pacifique, le projet d’Iskandar montre les possibilités, lorsque des nations indépendantes collaborent réellement.
L’article de la «NZZ» mentionne que les relations entre la Malaisie et Singapour, depuis 1965, ont toujours connu des tensions constantes. D’après mes modestes connaissances, cela est fortement exagéré. Il est vrai qu’entre les Bumiputra malaisiens et les Chinois de Singapour, aux mentalités totalement différentes, il y a parfois des irritations entre les uns et les autres. Il y avait bien sûr aussi des divergences économiques. Mais le niveau du dialogue n’a jamais été abandonné. Et il restait toujours tant de forces positives dans leur relation que de grands projets en commun, comme celui d’Iskandar ou la ligne du chemin de fer à grande vitesse Kuala Lumpur–Singapour, ont été possibles et le sont toujours.
Lorsque nous constatons les intérêts conflictuels qui ont lieu entre l’Allemagne et la Suisse à cause de l’aéroport de Kloten, nous devrions avoir honte. Attaquer la Suisse est devenu un comportement à la mode (pour les élections). Ne pourrait-on pas apprendre de Singapour et de la Malaisie?
Cela va devenir une question de survie, pour nous qui sommes de culture chrétienne occidentale, de nous rendre compte qu’il est possible qu’il en aille autrement. La cohabitation pacifique des peuples est possible, un développement et une coopération économique planifiés de façon rationnelle et raisonnable vers la prospérité également. Or, notre politique occidentale actuelle nous apporte surtout de grandes souffrances.

Et l’environnement?

Lors de tels projets de développement économique, nous les Européens nous nous interrogeons immédiatement et à juste titre: que fait-on de l’environnement?
Je n’ai pas été informé de la façon dont ce projet d’Iskandar a été planifié du point de vue de l’environnement. J’ai cependant appris une chose lors de mes nombreux voyages en Asie du Sud-Est: les gouvernements sont tout à fait conscients de ce problème – beaucoup plus que ce qui peut être dit et lu dans les médias tendancieux occidentaux. Et ils entreprennent d’immenses efforts pour résoudre ce problème. Singapour, avant tout, représente un exemple dans ce domaine. C’est pour cette raison que j’ai bon espoir que l’aspect de l’environnement soit traité avec soin pour le projet d’Iskandar.

Et l’aspect de l’être humain fragile?

Je voudrais mentionner un aspect critique qui n’est cependant pas mentionné dans les médias occidentaux. Lors de mon dernier séjour à Singapour en février 2013, j’ai rencontré mon vieil ami Pang Shun Pen pour dîner. Pang est Malaisien d’origine chinoise, issu de conditions pauvres. Il vit depuis 2006 à Singapour. A Singapour, c’est un homme respecté avec de bons contacts au gouvernement. Il y a des années, j’ai beaucoup collaboré avec lui. Nous avons parlé du développement de Singapour et des problèmes qui en résultent. Pang a attiré mon attention sur deux aspects: la commercialisation débordante et en lien avec elle la «high-performance-society».
Cette commercialisation débordante m’a donné une impression accablante: à Singapour (comme aussi à Shanghai, Hongkong et les autres grandes villes de l’Asie du Sud-Est), la vie semble être réduite à une aspiration à des voitures de sport Ferrari, des sacs Louis Vuitton et des habits Armani. La consommation au-dessus de tout, le plus cool possible, le plus criant possible, le plus cher possible. Dans ce tourbillon fébrile, l’être humain semble se perdre lui-même et devenir une pantomime de consommation et du commerce.
Pang a aussi parlé d’une tendance qu’à Singapour, une société de deux classes est en train de se former, une «high-performance-society», comme il l’appelle.
«High-performers and loosers» – ceux qui réussissent une haute performance et ceux qui restent sur le carreau. Jusqu’à présent, le gouvernement s’est occupé uniquement des high-performers pour faire avancer le développement. Les écoles, les universités, ont tout simplement été ajustées en vue de cet objectif. Ceux qui ne se sont pas rattrapables ont été oubliés.
Pang lui-même (il est un entrepreneur riche) travaille un jour par semaine dans un projet à but caritatif qui s’occupe des perdants. D’après lui, il y en a de plus en plus.
En réponse à mes inquiétudes, Pang m’a assuré qu’il était malgré tout optimiste. Lors de longues conversations avec des hauts fonctionnaires du gouvernement, il a eu l’impression qu’ils deviennent de plus en plus conscients de ce problème et qu’ils ont la volonté d’opérer un changement de cap. En général, la prise de conscience de ce grave problème augmente dans la société.
On ne peut qu’espérer que Pang Shun Pen a raison. Mais aussi que les gens apprennent qu’une voiture de sport ne représente pas le bien le plus élevé.

Pour finir, un de mes vœux qui me tient à cœur

Depuis des milliers d’années, la soif impérialiste du pouvoir est le plus grand fléau de l’humanité. C’est aussi le cas aujourd’hui, avant tout du côté des USA. Nous sommes en train à nouveau d’en subir les conséquences terribles.
Puisse la sagesse des dirigeants du Sud-Est asiatique être assez grande pour résister, malgré tout le succès, à cette épidémie psychique.     •
(Traduction Horizons et débats)