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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 6/7, 9 mars 2015  >  Le château d’eau du Valais est en danger [Imprimer]

Le château d’eau du Valais est en danger

L’approvisionnement en électricité est un bien collectif – il faut en prendre soin (partie 2)

par Werner Wüthrich, docteur ès sciences politiques

La politique énergétique européenne est en mouvement. L’Allemagne et d’autres pays européens misent massivement sur les nouvelles énergies solaires et éoliennes. On parle d’une révolution – comparable à l’alunissage de l’homme. La transition énergétique est fortement encouragée à l’aide de grosses subventions. En Allemagne, la part du courant venant de sources énergétiques renouvelables en 2014 était de 31% (soleil 6,9, vent 10, biomasse 9,5, eau 4%). En 2050, on envisage d’atteindre 80%. Huit centrales nucléaires ont été mises hors service immédiatement après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Au cours des quelques prochaines années, les autres centrales vont subir le même sort. La chaine de télévision Arte a qualifié la politique allemande dans une émission sur la transition énergétique de «révolution solitaire» (5/9/13). D’autres pays prennent d’autres voies. Les différences sont considérables. La Grande-Bretagne planifie à Hinkley Point une nouvelle centrale nucléaire et réalise en même temps en Ecosse d’énormes parcs éoliens en mer. Les Pays-Bas ont aussi des doutes, d’abandonner entièrement l’énergie nucléaire. Au Danemark – entouré de mer – 39% du courant électrique venait de parcs éoliens en 2014. Le président français Hollande veut à long terme réduire la part de courant nucléaire de 75 à 50% et veut donc maintenir l’énergie nucléaire. La Pologne est un «pays à charbon», qui mise à 90% sur les combustibles fossiles. La Tchéquie a réduit son programme d’aide aux énergies renouvelables et mise toujours sur sa propre énergie nucléaire. La Pologne et la Tchéquie se protègent contre le courant bon marché allemand mettant en danger leur propre production énergétique (cf. «Weltwoche» du 10/10/13). D’autres pays attendent avant de se décider.
Une comparaison avec l’Autriche: la part de courant venant d’énergies renouvelables s’élève en Suisse à 60% – dont 97% de force hydroélectrique et 3% venant du soleil, du vent et de la biomasse. 40% de notre courant est produit dans des centrales nucléaires. En Autriche, 67% du courant est produit par la force hydraulique et 27% par des centrales thermiques à gaz ou à charbon. La part de l’énergie solaire et éolienne est également très faible. La centrale nucléaire de Zwentendorf n’a jamais été mise en service suite à un référendum en 1978, bien que sa construction était terminée. – Ainsi, il est clair pourquoi la Suisse et l’Autriche sont appelées le château d’eau d’Europe.

La politique énergétique est l’affaire des Etats nations

Il y a donc de bonnes raisons expliquant pourquoi il n’y a pas de politique énergétique unique dans l’UE. Le marché de l’électricité a été libéralisé en 1998, sans que Bruxelles puisse le réglementer, car la manière dont est produit le courant est l’affaire des Etats nations. Les prix à la bourse européenne de l’électricité sont influencés par les divers systèmes nationaux, tant dans la production que dans les programmes de subventions. Selon la Commission européenne, il n’y aurait depuis longtemps plus de programmes de subventions nationaux pour développer les énergies renouvelables. La question est ouverte, si l’expansion de l’énergie éolienne et solaire telle que le fait l’Allemagne va se généraliser ou – ce qui est plus probable – s’il y aura également à l’avenir divers systèmes nationaux pour l’alimentation en courant.
Il y a encore un autre aspect frappant. Actuellement, on arrête et on met hors service dans toute l’Europe un assez grand nombre de centrales à gaz ultramodernes, parce qu’elles ne peuvent plus être exploitées de façon rentable vu les prix du marché. Les vieilles centrales à charbon amorties sont en revanche remises à niveau à peu de frais pour être exploitées. Elles aussi s’imposent sur le marché de l’électricité et renforcent encore l’offre excédentaire – un dérapage fatal. Les développements sur le marché européen du gaz et leurs répercussions sur les prix de l’énergie sont également incertains.

L’énergie hydraulique doit avoir un avenir

L’offre excédentaire actuelle de courant montre clairement, que justement pour les énergies qui viennent irrégulièrement, il faut des accumulateurs. Les centrales hydroélectriques suisses sont capables de remplir les lacs d’accumulation afin que l’approvisionnement énergétique puisse rester relativement indépendant. L’accumulation fait partie d’une conception globale pour un approvisionnement énergétique sûr. Cela est d’autant plus important qu’à Bâle et à St-Gall les deux grands projets pour la production de courant à l’aide de la géothermie ont dû être stoppés suite au déclenchement de tremblements de terre.
Le conseiller d’Etat grisonnais Mario Cavigelli, président de la Conférence gouvernementale des cantons alpins, exige des subventions fédérales pour les centrales hydroélectriques ordinaires, pour pouvoir continuer à les exploiter de manière rentable: dans le canton des Grisons, Repower (jusqu’en 2010 Rätia Energie) planifie pour 1,5 milliards de francs une centrale de pompage-turbinage dans le haut du val Poschiavo près du col de la Bernina. On prévoit de relier les deux lacs Lago Bianco (2230 mètres d’altitude) et Lago di Poschiavo (960 mètres) par une galerie d’amenée souterraine et une conduite forcée. Ce projet pourrait être exploité écologiquement. Mais là aussi, se pose la question de savoir si cela sera possible de façon rentable. Repower a retardé le projet. La Confédération cependant compte sur les centrales hydroélectriques existantes et sur les installations prévues pour remplacer à l’avenir les capacités des centrales nucléaires. L’Office fédéral de l’Energie a élaboré une étude de marché sur la situation des grandes centrales hydrauliques. Celle-ci prévoit que le prix de revient du courant dans les centrales neuves ou rénovées s’élève à 14 centimes par kilowattheure. C’est plus que le double du prix du commerce de gros actuel de 5 centimes. (NZZ du 13/12/13)
Si les investissements prévus ne sont pas réalisés, la Suisse sera de plus en plus dépendante de l’importation de courant de l’Allemagne et de la France, qui provient aujourd’hui en grande partie du charbon (Allemagne) ou de la force nucléaire (France) – une situation absurde. En automne 2014, le Conseil national a réagi lors des débats sur la Stratégie énergétique 2050 et a accordé 600 millions d’aide à l’investissement pour les grande centrales hydrauliques. Quelques projets du Valais devraient en profiter. Ce projet sera traité lors de la session de printemps au Conseil des Etats. Cela ne résoudra cependant pas le problème.

Opposition face à la négligence de l’énergie hydraulique

La décision du Parlement en été 2013 d’augmenter les subventions des nouvelles énergies renouvelables – c’est-à-dire l’énergie éolienne et solaire – de jusqu’à 900 millions de francs par année, a précédé l’action de soutien de l’énergie hydraulique. En outre, la taxe par kilowattheure de courant que les ménages payent déjà a été augmentée. – De divers côtés, l’opposition s’est manifestée et des revendications ont été formulées:

  • Le canton des Grisons a déposé en automne 2013 une initiative cantonale en demandant de réduire à nouveau les subventions surhaussées pour maintenir la valeur de l’énergie hydraulique.
  • Christian Riesen, sans attaches politiques, a, en 2013 en tant qu’individu dans le style de Thomas Minder, saisi le référendum contre la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC). Ces subventions massives transforment aussi en Suisse le solaire et l’éolien en de bonnes affaires. Il proteste contre le fait, que le Conseil fédéral et le Parlement ne prévoient pas de votation constitutionnelle sur le «projet de plusieurs milliards pour la transition énergétique» et sur la «Stratégie énergétique 2050», ce qui est obligatoire en Suisse pour une décision de principe d’une telle portée. Riesen n’a cependant pas atteint le nombre de signatures nécessaires.
  • L’Association suisse pour l’aménagement des eaux demande, face à la situation des prix, un soutien des grandes centrales hydrauliques par la Confédération – par exemple par des prêts avantageux. (NZZ du 25/9/13)
  • Karl Frauenfelder, professeur pour la gestion énergétique à l’Université de St-Gall, exige «un prix minimum garantit par la Confédération et les cantons pour les prestations et la production de l’énergie hydraulique – notamment pour celles des centrales de pompage-turbinage.» Cela permet l’expansion envisagée et contribue à la sécurité d’approvisionnement. De même comme la Banque nationale a défini un cours minimal de 1,20 francs pour l’euro, l’Etat doit établir à la frontière un prix minimal pour le courant, qui assure la survie des centrales hydroélectriques et permet de faire les investissements nécessaires pour l’expansion. «Le courant est too big to fail», déclare Frauenfelder. (NZZ du 6/10/13) (La Tchéquie et la Pologne vont dans une direction semblable. Ils se privent – au moins par moments – d’importer du courant bon marché d’Allemagne, afin de permettre à leurs propres centrales de produire du courant.)
  • Les associations économiques dans le domaine de l’alimentation en courant en Allemagne, en Autriche et en Suisse ont lancés en 2013 l’Initiative énergétique des pays alpins. La subvention exagérée des énergies renouvelables met en cause la survie des centrales de pompage-turbinage. Ils exigent d’empêcher toutes nouvelles subventions et de réduire à l’échelle européenne les subvention de courant écologique «basé uniquement sur le courant éolien et solaire». (NZZ du 5/7/13)

2013 – réaction de l’Office fédéral de l’énergie

Le Conseil fédéral a réagit et réduit les subventions pour l’énergie solaire. Le taux de la rétribution à prix coûtant du courant injecté RPC a été réduit. En outre les contributions ne seront versées que pendant 15 ans. (Communiqué de l’Office fédéral de l’énergie du 22/8/13) Puis, on a également biffé les 2,4 millions de subventions pour la grande installation solaire planifiée dans les galeries pare-avalanche au-dessus du village alpin St. Antönien dans les Grisons. Ce projet ne va pas être bâti – pour le moment du moins. Il y aura donc un peu moins pour le solaire et un peu plus pour l’hydraulique.
Avant que j’en vienne aux événements touchant notamment l’accord sur l’électricité avec l’UE, il est judicieux de jeter un regard sur les structures et les bases juridiques de l’approvisionnement énergétique en Suisse.

Fondements juridiques de l’approvisionnement énergétique suisse – un reflet du modèle suisse

Au début du XXe siècle, en 1908, le peuple et les cantons de Suisse ont décidé lors d’une votation constitutionnelle que les cantons disposeraient de l’eau et l’utiliserait dans les limites de la législation fédérale. Selon la loi d’exécution adoptée en 1916 intitulée «Loi fédérale sur l’utilisation des forces hydrauliques», c’est la Confédération qui établit les conditions cadre pour les cantons et particulièrement dans le secteur des contrats de concessions attribués aux sociétés hydroélectriques. Voici trois exemples tirés de cette loi, modifiée plusieurs fois depuis:

  1. La loi fédérale soutient les communes afin qu’elles se réunissent en coopératives dans une région et entreprennent en commun la question de l’utilisation de l’eau (Art. 43ff). C’est ce qui s’est passé en Valais et par ailleurs en Suisse.
  2. La loi fixe le cadre pour les redevances hydrauliques. Il est mentionné dans l’article 49: «La redevance hydraulique annuelle ne peut excéder […] 100 francs jusqu’à fin 2014 et 110 francs jusqu’en 2019 par kilowatt théorique.»
  3. L’article 67 de la loi fédérale détermine aussi le cadre concernant le droit de retour. Les investissements pour les modernisations doivent être menés dans les années précédant le retour de la façon suivante: «Le concessionnaire est tenu de maintenir en état d’être exploitées, les installations soumises au droit de retour.» «Lorsque l’installation fait retour à la communauté concédante, le concessionnaire est dédommagé des investissements de modernisation et d’agrandissement, pour autant qu’il ait procédé à la modernisation ou à l’agrandissement en accord avec la communauté titulaire du droit de retour.»

En même temps, il y eut aux niveaux communal et cantonal d’innombrables votations populaires, par lesquelles les citoyens ont posé les fondements de droit de manière décentralisée dans leurs régions pour l’approvisionnement en courant de la Suisse. Beaucoup de communes ont érigé des services industriels communaux ou municipaux. D’autres se sont regroupées entre elles et ont fondé des coopératives et corporations très diverses afin de fournir le courant, l’eau et le gaz aux ménages dans un esprit de service public. Actuellement, il y a environ 800 sociétés indépendantes qui fournissent à la population le courant électrique, mais souvent aussi le gaz et l’eau aux prix de revient. Ces sociétés sont reliées entre elles régionalement et forment des réseaux. Hans Wyer en parle dans son remarquable livre «Utilisation de la force hydraulique en Valais». L’approvisionnement de base est assuré dans le sens d’un service public. Ainsi les importations et les exportations compensent les variations.

Certains prévoient de renoncer au modèle suisse qui a fait ses preuves – des politiciens demandent à libéraliser le marché du courant dans le sens de l’UE

A l’encontre de l’excellent modèle suisse décrit ci-dessus, des adeptes de l’UE à Berne ont commencé dès 2002 à adapter notre système à celui de l’UE. L’Union syndicale suisse lança le référendum contre la Loi sur le marché de l’électricité de 2002 et le peuple refusa cette libéralisation. Cinq ans plus tard, en 2007, le Parlement adopta la Loi sur l’approvisionnement en électricité, laquelle veut libéraliser le marché de l’électricité comme celle présentée en 2002, mais en deux temps. Cette fois-ci il n’y eut pas de votation et donc pas de décision du peuple. Depuis 2009, le marché de l’électricité est libéralisé pour les gros consommateurs. Toutefois, le marché libre n’avait pas grand intérêt pour eux, du fait que les prix imposés pour les ménages étaient plus bas. Seuls environ 10% des gros consommateurs (plus de 100?000 kilowattheures par an) l’ont utilisé. Toutefois, cela a changé il y a peu, depuis que beaucoup de courant bon marché nous vient d’Allemagne, dont les prix sont inférieurs à ceux des centrales suisses. Le nombre de gros consommateurs se fournissant sur le marché libre, notamment en Allemagne ou en France, a nettement augmenté l’année dernière. La ville de Winterthur, par exemple, achète son courant depuis peu en Allemagne.
Le marché pour les ménages privés va être libéralisé, en un deuxième temps, jusqu’en 2016, afin que les ménages puissent choisir librement leur fournisseur – tout comme cela se pratique déjà pour le téléphone et Internet. Ce deuxième pas serait une condition pré-requise pour pouvoir participer au marché intérieur de l’électricité de l’UE. Il est soumis au référendum facultatif, ce qui donnera au peuple l’occasion de mettre un terme à ce développement malsain.

L’approvisionnement en courant doit rester décentralisé

Actuellement, le Conseil fédéral négocie avec l’UE un nouvel accord sur le courant électrique. Les négociations sont interrompues depuis quelques mois, du fait que l’UE exige de la Suisse d’accepter de reprendre dans ce domaine les décisions de droit futures de Bruxelles et de se soumettre aux décisions juridiques de l’UE (ce qu’on appelle Accord-cadre institutionnel, que l’UE veut imposer non seulement à tous les accords bilatéraux futurs, mais aussi à ceux déjà conclus). L’UE veut conclure ainsi son grand projet de marché intérieur de l’électricité. On peut déjà s’imaginer que ce projet gigantesque apportera de profonds changements, également dans le domaine de la force hydraulique.
Bruxelles veut unifier le marché de l’électricité pour tous ses 28 membres. Des dispositions impératives et des règlementations communes concernant les centrales électriques, les réseaux, les fournisseurs et les consommateurs doivent l’imposer et finaliser le marché intérieur ainsi que celui de l’exploitation du courant électrique. De nouvelles lignes électriques transfrontalières doivent relier les pays et les marchés nationaux et régionaux doivent être unis. On prévoit des «autoroutes de l’électricité» permettant de transporter d’énormes quantités de courant à travers toute l’Europe. Le marché intérieur de l’UE modifiera profondément l’approvisionnement en courant électrique dans les divers pays et provoquera une situation semblable à celle des Etats-Unis où les grands groupes dominent l’approvisionnement en électricité dans tout le pays.
Il reste toutefois une série de questions techniques. On ne gère pas aussi facilement un gigantesque marché de l’électricité comme le marché de la téléphonie et d’Internet. Tous les pays – y compris la Suisse, dans la mesure où elle y participerait – devraient procéder à d’importants et très coûteux investissements dans les lignes électriques pour connecter les producteurs et les consommateurs dans toute l’Europe. La Suisse est comprise dans ce plan, en tant que plaque tournante pour le commerce et l’accumulation. Les coûts retomberaient sur les consommateurs. De plus, personne ne sait dans quelle mesure on sera capable de gérer techniquement les variations survenant dans la production et la consommation. Si l’on n’y arrive pas et qu’on aura à faire à des pannes suivies d’un blackout, cela provoquerait des dégâts et des coûts incommensurables.
Le fondement légal de ce projet est le Traité de Lisbonne. Selon ses articles 193 et 194, Bruxelles a de très grandes compétences, sans pouvoir toutefois diriger la politique énergétique des pays, ce qui lui permettrait d’influencer la politique nationale des pays membres. C’est ce que Bruxelles prévoit également pour la Suisse, qui n’en est pas membre.

Quelles seraient les conséquences de ce marché intérieur de l’électricité de l’UE pour la Suisse?

On n’en entend peut parler. Bruxelles exige entre autre que les multinationales étrangères de l’électricité soient mises sur un pied d’égalité avec les sociétés nationales dans la concurrence transfrontalière. Ce qui reviendrait concrètement à ce que ces multinationales étrangères pourraient elles aussi concourir pour obtenir des concessions sur les droits d’eau dans les cantons alpins. Ce marché intérieur de l’UE aurait également des conséquences pour le grand nombre de petites et moyennes sociétés d’électricité autochtones qui sont actuellement la propriété des communes et des cantons, exemptes d’impôts dans le cadre du service public. Ce serait un avantage concurrentiel que l’UE ne tolérerait point. Cela provoquerait une énorme pression pour que les sociétés fusionnent et soient privatisées.

Décision de fond

Peut-on s’imaginer que ce modèle suisse continuellement développé par les citoyens au cours de nombreuses générations arrive en fin de course? Je ne suis pas de cet avis. – En 1908, par exemple, les citoyens du canton de Zurich se sont prononcés à 98% pour la création de la Société d’électricité du canton (EKZ) en tant qu’institution de droit public et non pas comme une entreprise privée. On pourrait ajouter de nombreuses d’autres votations. A mon avis, la population suisse veut garder la main sur la production de courant électrique – tant sur le plan régional que cantonal. Cela fonctionne si bien que personne ne la remet en question.
Il est indéniable que ces structures mises en place au fil du temps seraient chamboulées si la Suisse participait au marché de l’électricité de l’UE. Les petites sociétés d’électricité, toujours très nombreuses dans le pays, auraient quelque peine de satisfaire aux exigences de Bruxelles. La tendance vers de grandes sociétés internationales se renforcerait et le service public dans les domaines du courant électrique, du gaz et de l’eau potable en pâtirait. – Est-ce cela que nous voulons?
Avec l’accord sur l’électricité, nous allons, en Suisse, devoir prendre une décision de principe de grande importance: voulons-nous préserver nos structures fonctionnelles développées au fil du temps ou voulons nous risquer un chamboulement hasardeux dans le cadre du marché intérieur de l’UE? Il s’agit de beaucoup plus que de la libéralisation du marché de l’électricité et de prétendues diminutions des coûts du courant pour les ménages privés. En fait, ce marché de l’électricité prévu n’est, comme pour l’euro, rien d’autre qu’une nouvelle étape d’unification politique. Cela ressort aussi du fait que l’UE exige un accord-cadre institutionnel en tant que condition préalable pour l’accord sur l’électricité avec la Suisse.

«Connecting Europe»

Le marché intérieur unifié pour l’électricité fait partie du programme de l’UE intitulé «Connecting Europe» qui désire y inclure la Suisse à l’aide de l’accord sur l’électricité. Bruxelles prévoit de réaliser jusqu’en 2020 des investissements de 50 milliards d’euro pour des projets d’infrastructures transfrontalières. Cela devrait permettre de relancer l’économie. 9,2 milliards d’euros sont prévus pour le domaine de l’énergie. L’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso, s’est exprimé de la manière suivante: «En fait il s’agit, en ce qui concerne ‹Connecting Europe›, de créer les bases pour une réelle unification de l’Union européenne unissant tous les peuples d’Europe».
Ce n’est pas la première fois que Bruxelles se trompe de chemin en voulant atteindre son but idéologique lointain. Le projet de l’UE d’instaurer un marché unifié de l’électricité est tout autant politique que démesuré que la création de l’euro sans prendre suffisamment en compte les grandes différences économiques et culturelles entre les pays participants. La même question se pose dans le domaine de l’électricité. Est-il vraiment sensé de vouloir regrouper un tel nombre de pays, vu les immenses et multiples différences? Des régions plus restreintes et plus facilement contrôlables de manière décentralisée par les populations, ne sont-elles pas plus à même de fournir le courant nécessaire de manière fiable? On constate depuis quelque temps, par exemple en Allemagne, une tendance à la recommunalisation. De plus en plus, les communes reprennent elles-mêmes en main la responsabilité pour l’approvisionnement en électricité.
Pour la Suisse, il s’agit donc de bien plus que d’importation et d’exportation ou de libéralisation du courant dans cet accord prévu sur l’électricité avec l’UE. Il est nécessaire de s’en préoccuper à temps.

En Suisse, c’est le peuple qui décide

La Suisse réglera les questions en suspens au niveau des cantons et de la Confédération. La question du droit de retour des grands barrages doit être discutée et résolue à l’amiable de manière typiquement helvétique. Les «nouvelles» énergies renouvelables doivent être promues de telle façon qu’elles ne remettent pas en cause l’importance de la force hydraulique. Il s’agit aussi de se décider sur l’utilisation de l’énergie nucléaire et de mettre en place un cadre réglementaire pour le marché de l’électricité viable à long terme. Axpo, Alpiq, BKW et Repower agissent actuellement souvent comme des multinationales. En réalité, ces entreprises appartiennent à 80% aux cantons et aux communes et devraient donc être mieux contrôlées par le peuple. C’est à lui de décider du cadre réglementaire. Le 22 septembre 2013, le peuple du canton des Grisons a accepté l’initiative «Oui à du courant propre sans charbon» et a ainsi empêché que la société d’électricité Repower prenne une participation dans l’immense centrale à charbon de Saline Joniche en Italie.
Le peuple a également son mot à dire à l’échelon fédéral. En automne 2014, le Conseil national a délibéré de la Stratégie énergétique 2050. Ce projet devrait être traité par le Conseil des Etats lors de la session de printemps en cours. Plusieurs initiatives populaires sont déjà déposées. Le 8 mars, le peuple se prononcera sur l’initiative «Remplacer la TVA par une taxe sur l’énergie». On peut également s’attendre à des référendums suite aux décisions qui seront prises par les Chambres fédérales au cours de ces prochains mois. Il reste bien des questions. A quelle vitesse faut-il sortir du nucléaire? Faut-il que la Suisse en sorte entièrement? Faut-il lier cette sortie à une réforme fiscale écologique? Jusqu’à quel point un marché libre dans le sens de l’UE est-il sensé, sans mettre en danger notre indépendance? Voilà bien des questions auxquelles le souverain devra trouver des réponses.    •

Perspectives: unité et solidarité entre les cantons alpins et le Plateau suisse

Les installations hydroélectriques développées avec clairvoyance au cours du siècle passé sont un joyau, dont il faut absolument prendre soin. Hans Wyer, le grand vieil homme du PDC valaisan et suisse, termine son ouvrage très détaillé «Utilisation de la force hydraulique en Valais» par les mots suivants:
«On parle aujourd’hui beaucoup de synergies, c’est-à-dire d’actions communes. La force hydraulique est aujourd’hui exploitée dans des installations hydroélectriques allant de Gletsch au lac Léman, établies dans les Alpes valaisannes et bernoises, de part et d’autre du Rhône. La canaliser au service du pays et de sa population est le défi que devront relever les générations futures. Il faut les y préparer dès aujourd’hui. Le résultat peut largement dépasser en importance celui du développement des forces hydrauliques au siècle dernier.
Le retour des grandes centrales dans les années 2035 à 2055 sera la pierre de touche de l’utilisation de la force hydraulique en Valais. Le Valais saura faire face au défi que lui réserve son avenir si l’unité et solidarité règnent entre la montagne et la vallée.
Dans la politique fédérale en matière d’énergie et d’approvisionnement en électricité, l’utilisation de la force hydraulique est appelée à remplir une mission de politique d’Etat qui va bien au-delà de son importance sur le plan de la politique énergétique et environnementale, si les cantons de montagne et le Plateau industrialisé sont unis et solidaires. Je suis persuadé qu’un Valais ouvert dans une Suisse ouverte saura reconnaître cette chance pour son avenir et la saisir.»