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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2016  >  No 15, 13 juillet 2016  >  Source de St. Moritz – la plus ancienne construction en bois d’Europe [Imprimer]

Source de St. Moritz – la plus ancienne construction en bois d’Europe

Odyssée interrompue de la Vieille Dame

par Heini Hofmann

Au printemps de l’année 1411 avant notre ère, donc plus de 200 ans avant que Moïse quitte l’Egypte avec son peuple, respectivement 700 ans avant la fondation de Rome, les premiers habitants de l’Engadine construisirent un captage des eaux de source. Ce dernier est à nouveau, au centre de notre attention.
Ce n’est pas seulement la plus ancienne construction en bois d’Europe, mais elle représente aussi un des plus importants vestiges préhistoriques des Alpes. Ce captage des eaux est la plus haute source thermale d’Europe qui propulsa par la suite le petit hameau rural de San Murezzan en un des plus renommés villages au monde: St. Moritz.

Au début, il y avait l’eau

L’actuel eldorado pour les sports d’hiver et paradis du tourisme estival situé dans la Haute-Engadine est devenu célèbre grâce à son eau minérale curative. L’hôtellerie et les activités sportives en sont les retombées.
Du fait qu’on misa plus tard uniquement sur le sport, la tradition des bains, connue dans le monde entier, tomba dans l’oubli. Actuellement, même dans les instances officielles, on n’est guère conscient de ce précurseur comme l’a montré clairement une réunion de village sur le thème «St. Moritz, hier et aujourd’hui». L’eau, en tant que premier promoteur, n’a jamais été mentionnée.
Il est également difficile de comprendre que St. Moritz ait, il y a quelques années, vendu sa pièce maîtresse, c’est-à-dire la totalité du complexe des bains avec la célèbre source d’eau minérale Mauritius – ayant accueilli tant de têtes couronnées –, à un investisseur russe dont le nom n’a jamais été communiqué. Car actuellement, où le tourisme bat de l’aile et a absolument besoin de développer de nouvelles activités, il serait judicieux de miser sur un revival moderne sous forme de centre de bien-être médicalisé pour relancer le domaine touristique, qui jouait un rôle principal au niveau européen, non pas il y a 150 ans comme pour les sports d’hivers, mais depuis plus de trois mille ans! Aucune autre station thermale au monde n’a une aussi longue tradition.

«Une continuelle alternance d’ombre et de lumière»

L’histoire de cette source fut une continuelle alternance d’ombre et de lumière. Elle a vécu des moments de prospérité avec l’exploitation de son eau thermale et des moments de complète négligence. Heureusement, il y eut à plusieurs reprises des visionnaires lançant en dernière minute des actions de sauvetage. C’est au Moyen-Age qu’elle gagna sa renommée mondiale, d’abord par le Pape médicéen Léon X., qui organisa des processions menant à la source, puis par le médecin du siècle Paracelse, qui loua ce puits d’eau amère comme le meilleur d’Europe. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il y eut de grandes affluences de patients. Au XIXe siècle finalement, la station thermale de St. Moritz atteignit une renommée mondiale avec ses nombreux hôtels Belle-Epoque et son public mondain.
Les moments d’ombre résultèrent d’une part des deux guerres mondiales et furent, d’autre part, favorisés par l’intérêt apporté au sport. On négligea sensiblement la tradition des bains et laissa les installations se détériorer. La fameuse, et unique source encore active, la source de Mauritius, est vouée aujourd’hui à une triste existence d’isolation et les spécialistes ont, il y a plus de dix ans déjà, signalé son état inquiétant. La source de Paracelse est bouchée, la source de Surpunt est fermée, et actuellement les bains thermaux, le dernier témoin vivant de l’ancienne tradition des bains, est menacée dans son existence.

Obligation historique

L’odyssée du captage des eaux de la source de Mauritius est symbolique pour le développement global de la thématique des bains: en 1853, lors de la restauration de cette source, on tomba sur la construction en bois du captage d’origine construit par les anciens habitants engadinois de cette source curative, consistant en deux troncs de mélèze creux, entourés de deux caisses en bois soigneusement construites. On se contenta de les nettoyer. Ce n’est qu’en 1907, lors de travaux de réfection du captage des eaux que toute la construction fut éloignée. Le professeur J. Heierli la data correctement de l’âge de bronze. Mais depuis cette époque, ce captage antique des eaux connaît un triste sort dans la cave du musée de l’Engadine.
En 1995, le service archéologique des Grisons a fait une première tentative de datation, en 1998 une seconde (avec dendrochronologie et la méthode C14) qui fut couronnée de succès. Le résultat fut surprenant: 1466 avant notre ère! Ce captage des eaux de source vieux de 3500 ans est donc un monument historique très particulier, à savoir la construction préhistorique en bois la plus ancienne et la mieux sauvegardée d’Europe! Cela oblige! Aussi a-t-on décidé d’exposer cette préciosité dans le Forum Paracelse restauré. Car à la source de Mauritius, là où elle devrait être, elle serait à nouveau enfermée dans une cave …

Saisir la nouvelle chance

Cependant, on voulut auparavant lui accorder un «lifting». A cette fin, la Vieille Dame fit en 2013 un grand voyage de St. Moritz au Centre des collections du Musée national suisse d’Affoltern am Albis, accompagnée de la jeune archéologue Monika Oberhänsli. Dans le cadre de son mémoire pour le master, elle a soigneusement analysé 117 morceaux de bois, fabriqué un modèle 3D et déterminé à nouveau l’âge exact. Et tenez-vous bien: la Vieille Dame – datée maintenant de 1411 av. JC – a rajeuni de 55 ans … En juin 2014, elle est retournée à St. Moritz et a trouvé son domicile provisoire dans le Forum de Paracelse fraîchement rénové.
Cela est réjouissant, mais ne suffit pas pour une revitalisation: alors que deux témoins historiques, l’ancienne buvette de Paracelse et l’ancien captage des eaux de Mauritius datant de l’ère de Bronze resplendissent de leur nouvel éclat, les deux protagonistes encore actifs de la tradition des bains de St. Moritz – la source de Mauritius et les bains thermaux – attendent la renaissance. Les origines sont donc sauvegardées, mais pour renouer avec l’ancienne histoire à succès, il faut saisir la nouvelle chance qui se présente. Car c’est un fait que parallèlement au développement démographique (augmentation de la moyenne d’âge) le tourisme favorisant la santé et le bien-être croît et demeure moins exposé aux crises économiques que le tourisme de vacances et des sports.

Manque d’un projet d’ensemble

Le problème actuel des bains thermaux est clair: tout système de bains thermaux nécessite obligatoirement la triade suivante: une source, des soins médicaux de bien-être et un hôtel des Bains, car les hôtes veulent être logés sur place. C’est justement ce projet d’ensemble qui manque. Car l’ancien Grand hôtel des Bains (aujourd’hui Hôtel Kempinski) s’est développé – par bonheur pour St. Moritz – en un hôtel 5 étoiles de luxe, ce qui n’a plus rien à voir avec les bains thermaux d’antan, bien qu’à l’époque, ils étaient des frères jumeaux siamois. C’est d’une certaine façon tragi-comique: sous terre, les ingénieurs des sources s’efforcent de bien séparer l’eau de source de la nappe phréatique et sur terre, l’eau curative et le champagne se rapprochent …
Que devrait-on faire? La source de Mauritius mise sous clé devrait être réveillée de son sommeil de 100 ans et redevenir – pour les touristes et les habitants de la région – une attraction principale. Pour cela le captage des eaux restauré pourrait achever son odyssée à sa place d’origine. Cette source est avant tout devenue célèbre suite à l’incroyable déclic lors de la dégustation de l’eau directement à la source. Comme il s’agit d’une eau saturée en acide carbonique, elle pétille, bue directement à la source, beaucoup plus que le Champagne; après un parcours prolongé en tuyau, cet effet s’estompe.

Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir

Les bains thermaux, alimentés par cette eau, devraient obligatoirement être situés directement sur la source ou en proximité directe. Cet établissement doit être moderne et transformé en un centre de compétences médicales reposant sur un large consensus (en profitant de synergies, ce qui semble manquer aujourd’hui déjà). Si le Grand Hôtel des Bains ne peut se décider à participer, un autre hôtel doit compléter la triade nécessaire. Au moyen d’un habile regroupement des bâtiments basé sur la conception d’origine, ce parc thermal pourrait gagner en grandeur.
Cependant, tous les efforts allant dans cette direction ont échoué jusqu’à présent par manque d’un projet d’ensemble, bien que des idées concrètes existent et que la population ait manifesté un grand intérêt lors d’une réunion concernant ce sujet. Malheureusement, la commune n’a plus voix au chapitre concernant le site des bains. Un grand nombre d’habitants de la région se demandent donc si l’investisseur russe, qui semble être attiré par St. Moritz, est informé de ce contexte historique et des opportunités s’offrant aujourd’hui pour une renaissance moderne de l’ancien «Versailles des Alpes». Qui sait: il est connu que la grande âme russe possède un flair pour l’histoire et la culture.     •

Illustrations tirées de la publication «Mythos St. Moritz. Sauerwasser – Gebirgssonne – Höhenklima.» par Heini Hoffmann. Editions Montabella, St. Moritz 2014.

L’eau – matière première méconnue de l’Engadine

L’eau devient de plus en plus un sujet mondial et contribue aujourd’hui même à préserver la paix mondiale. Alors que d’autres doivent lutter pour le «droit à l’eau», la nature a richement béni l’Engadine avec celle-ci.
Cette haute vallée alpine doit sa beauté avant tout à l’or liquide dans ses divers états organiques, en tant qu’eau, neige, névé et glace. Il est devenu célèbre grâce à ses sources curatives; ce sont elles qui représentent la pierre angulaire pour les grandes envolées touristiques.
Cela oblige! L’Engadine, en tant que «Château d’eau de l’Europe» et bénie par des eaux de source «Terra sana», doit prendre à nouveau conscience de ces atouts. D’abord pour en profiter elle-même, puis pour assumer sa responsabilité en tant que région comblée envers cette matière précieuse de la nature.