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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°39, 29 septembre 2008  >  La théorie du libre-échange sur les marchés financiers s’est révélée fausse [Imprimer]

La théorie du libre-échange sur les marchés financiers s’est révélée fausse

Faillites bancaires

Commencer maintenant à changer d’orientation

par Karl Müller

L’effondrement du système monétaire mondial, qui se dessine depuis longtemps et atteint maintenant un rythme effréné, est un signe que l’on ne saurait ignorer. La théorie selon laquelle les marchés libres, singulièrement les marchés financiers libres et la liberté des mouvements des capitaux, seraient avantageux pour la collectivité, s’est révélée fausse. Une théorie fausse en raison de laquelle des milliers d’hommes doivent maintenant passer à la caisse partout dans le monde, en vertu du principe impliquant que les bénéfices élevés sont privatisés par de rares personnes, mais que les pertes, surtout si elles sont particulièrement fortes, sont socialisées, donc attribuées aux citoyens. Les interventions récentes des Etats et des banques centrales n’ont pas d’autre sens.
L’évolution des dernières années ne correspondait pas à un destin déterminé par les lois de la nature, mais résultait d’un comportement humain erroné, de mauvaises décisions humaines qui étaient portées non pas par la raison, la précision, la mesure et le souci du bien commun, mais par l’idéologie, la spéculation, la démesure et la rapacité. Et par l’absence de volonté politique de stopper à temps cette évolution à l’issue prévisible. Une issue qui – aussi grotesque que ce soit – compte quelques rares profiteurs lors du gueuleton des funérailles.
Il ne convient pas, toutefois, de prétendre en savoir plus que les autres, car l’effondrement du système monétaire mondial a de terribles conséquences pour de nombreuses personnes. Il importe maintenant de réfléchir consciencieusement, de manière étendue et surtout honnête aux solutions de rechange envisageables et à la manière de les réaliser.
Quelles peuvent être les bases de ces solutions de rechange?
Dans la vie économique entre autres, l’être humain reconnaît le bon et le mauvais, les distingue et peut décider librement en faveur de l’un ou de l’autre sur la base de ces connais­sances. C’est ce qui fait de l’homme ce qu’il est. Les participants à la vie économique eux aussi doivent choisir le bien, et le point d’orientation dictant leurs décisions dans la vie économique doit être le bien commun: est bon ce qui correspond au bien commun. Mauvais est l’égocentrisme sans scrupules. En effet, il n’y a pas d’«invisible hand» (de main invisible) qui rende automatiquement bons pour tous les efforts faits sans scrupules dans son propre intérêt. Même Adam Smith le savait et exigeait donc une haute moralité. De même, les rédacteurs des déclarations et des pactes de droits de l’homme ainsi que des droits fondamentaux nationaux l’avaient reconnu et donné au droit de propriété une direction sociale en déterminant ses obligations envers le bien commun.
Mais la définition du bien commun et sa relation à la propriété ne peuvent pas être abandonnés à l’arbitraire de l’individu. L’orientation vers le bien commun doit être soumise à une formation de la volonté et à une prise de décision communes et suivre les lois de la raison. En d’autres termes: même la vie économique a de nouveau besoin d’un solide cadre politique et juridique, de règles politiques qui lui donnent, à elle et aux décisions de ses participants, un cadre axé sur le bien commun.
Toutefois, l’idée de règles politiques mondiales que certains prônent est non seulement irréaliste, mais aussi dangereuse. Elle est irréaliste parce qu’il n’y a pas de communauté mondiale en mesure de former une volonté et de prendre des décisions en commun. Elle est dangereuse parce que, à défaut d’une telle communauté, une dictature des politiciens déterminant les règles politiques se profile. C’est pourquoi il faut des unités discernables et s’étant développées historiquement, qui soient responsables de la définition des règles politiques. Historiquement, l’Etat fédéral, agissant à titre subsidiaire et structuré de manière décentralisée, s’est avéré être l’espace et le cadre les plus appropriés pour une telle politique.
Simultanément, les Etats et leurs politiciens doivent cesser de se comporter comme s’ils étaient uniquement en mesure de réagir aux évolutions économiques, techniques ou analogues comme le lapin face au serpent et de s’adapter aux nouvelles conditions. C’était les politiciens des Etats eux-mêmes qui ont adopté la fausse orientation. En effet, le vagabondage du capital n’est pas une loi de la nature, à laquelle l’Etat et les hommes seraient soumis indépendamment de leur volonté. Le monde actuel découle de décisions inadéquates humaines et politiques. Il y a lieu maintenant de corriger les fausses décisions.
Cependant, l’Etat doit devenir l’Etat des citoyens. Il doit être un vrai organe des citoyens, une république réelle, une démocratie véritable et directe. Dans ce cas seulement, les citoyens auront un véritable droit de décision en matière de système économique. Toutes les déclarations nationales et internationales des droits de l’homme et les constitutions soulignent la prééminence de l’homme, de sa dignité et de ses droits. Les évolutions techniques et économiques ne doivent pas prendre une telle importance que l’homme devienne un sujet forcé de suivre, un petit rouage de l’ensemble. Ce serait indigne de l’homme, qui doit reprendre sa place au centre des événements. Tous les participants à la vie économique doivent agir comme les acteurs d’une économie vraiment publique, c’est-à-dire pour le peuple et par le peuple.
Les relations économiques transnationales peuvent aussi être axées sur le bien commun et profiter à tous. Alors seulement, elles seront conformes à une éthique. La liberté transnationale illimitée des mouvements de capitaux ainsi que l’imposition de la loi du plus fort économiquement sur les marchés internationaux ont lésé considérablement des milliards d’hommes et répandu la misère dans le monde. C’est une honte qu’une organisation des Nations unies, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et ses accords jouent un rôle si négatif à cet égard. Le concept de libre-échange commercial est devenu une idéologie au service du fort. De nouveaux traités doivent assurer la prépondérance du bien économique et être vraiment équitables.
Ces prochains mois, le risque est grand que les profiteurs du système monétaire mondial mettent tout en œuvre pour sauvegarder leur domination. Ils tenteront à cette fin d’abuser des Etats et des impôts versés. Et ils pourraient même décider de pousser le monde dans une nouvelle, effroyable guerre, dont personne ne peut prévoir l’évolution. De nombreux signes apparaissent, selon lesquels une telle décision est envisagée sans sourciller. On ne peut pas comprendre autrement la campagne si fondamentalement stupide menée contre l’Iran ou la Russie.
Il serait donc très dangereux d’attendre la capitulation des profiteurs du système monétaire mondial et de mettre tous ses espoirs dans une reconstruction ultérieure. Il incombe maintenant avant tout d’empêcher une réaction folle de ces milieux par tous les moyens démocratiques.
En même temps, il faut surtout maîtriser la paralysie frappant de grandes parties de la population européenne, qui pensaient recevoir quelques miettes du système actuel et qui sont maintenant effrayées et dépourvues de perspectives, en les invitant à étudier des exemples concrets et à les imiter. Il convient de montrer clairement des solutions de rechange envisageables, réalistes et meilleures que le système actuel. Par exemple: un approvisionnement autonome, sur un terrain limité, en produits alimentaires, des sociétés coopératives, modèles de soutien communautaire réciproque, de gestion et de responsabilité autonomes, le remplacement du système de crédit et d’intérêts actuel par de libres conven­tions sur les voies avantageuses d’un trafic des biens et services sans le système monétaire actuel.
Si les Européens se rappelaient que l’Europe n’a pas seulement vécu les pires crises et catastrophes, mais aussi toujours eu la volonté de mettre la main à la pâte et de se redresser mentalement, il devrait être possible de changer d’orientation.    •