Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°2, 17 janvier 2011  >  Dépendance / indépendance: un choix raisonné [Imprimer]

Dépendance / indépendance: un choix raisonné

Intervention de Jacques Bourgeois, directeur de l’Union suisse des paysans

D’un côté la population augmente et de l’autre les ressources nécessaires à la production sont rares ou à tout le moins limitées. Il nous appartient de modeler les conditions cadres pour que ces prochaines décennies, dans 40 ans encore, nos tables soient suffisamment pourvues en denrées alimentaires variées et de haute qualité. Etant un petit pays, la Suisse est plus étroitement intégrée à l’économie mondiale et plus dépendante de l’étranger pour son approvisionnement que nombre d’autres pays. D’un autre côté, des secteurs importants de l’économie dépendent de l’exportation de biens et services. La population suisse s’est prononcée il y a des années pour un statut indépendant, dans l’optique d’un maintien de sa souveraineté et donc de ses particularismes. Compte tenu de l’évolution mondiale et de la situation particulière de la Suisse, l’USP veille à ce que l’agriculture suisse continue d’évoluer vers une souveraineté alimentaire raisonnable et intègre ce principe dans nos conditions cadres à savoir au sein de la Loi sur l’agriculture.
Ce terme de souveraineté alimentaire est une notion relativement nouvelle que l’on peut interpréter de très différentes manières. Les Chambres fédérales ayant approuvé mon initiative parlementaire en ce sens, il faut maintenant que cette notion soit intégrée à la Loi sur l’agriculture et mise en application au travers de mesures concrètes. Via Campesina, qui est un mouvement de petits paysans et de travailleurs agricoles actif au plan international, a été le premier à la définir lors d’un congrès de la FAO en 1996. Il prône le droit de tous les pays de définir eux-mêmes leur politique agroalimentaire en fonction des besoins de leur population et dans la mesure où celle-ci n’a pas d’impact négatif sur les autres pays. Ce principe de la souveraineté alimentaire doit permettre surtout aux pays en voie de développement de réorganiser leur politique agricole.
Cependant, pour la Suisse comme pour les pays en voie de développement, la souveraineté alimentaire vise avant tout à préserver notre propre politique agricole, répondant au mieux aux attentes et exigences de notre population, avec le maintien d’une production de proximité forte, destinée à la population locale. Ce principe concerne l’ensemble de la filière et non seulement les producteurs.
Cette souveraineté alimentaire repose sur cinq piliers:
•    Le premier est le développement d’une politique agricole autonome et durable, la durabilité comprenant les aspects écologique, économique et social. L’aspect économique est de l’avis de l’USP le parent pauvre de l’actuelle politique agricole. Le revenu des familles paysannes est bas et reste encore et toujours très éloigné des revenus relevés dans des secteurs comparables. Vous pouvez le constater au chapitre A3 de notre rapport de situation. Pour l’année écoulée, nous estimons le revenu moyen d’un agriculteur à 40 000 francs pour une activité à plein temps dans sa propre exploitation; et ce, pour une semaine de travail qui ne se limite pas à 40 heures. Ce qui est particulièrement désolant à cet égard, c’est que les paysans sont de moins en moins nombreux à pouvoir vivre du revenu de leurs produits et qu’ils sont de plus en plus dépendants des paiements directs versés par la Confédération. Un approvisionnement durable en denrées indigènes ne fonctionne que si la société, les consommateurs sont disposés à accorder aux producteurs un prix juste qui prend suffisamment en compte le contexte de prix élevés et une réglementation stricte.
•    Le deuxième pilier de la souveraineté alimentaire est la garantie d’un taux d’autosuffisance élevé, comme c’est le cas avec le niveau actuel d’environ 58%. En ce qui concerne notamment le fourrage, il faut viser à réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger en augmentant la production indigène.
•    L’encouragement de la production qualitative constitue le troisième pilier. Que ce soit pour l’approvisionnement du marché intérieur ou pour l’exportation, l’économie agroalimentaire suisse doit viser une production de haute qualité. A ce haut niveau de qualité s’ajoutent nos standards élevés en matière d’écologie et de bien-être animal. Quant à la déclaration de provenance, elle revêt une importance clé. Seule une déclaration de provenance explicite, je pense en l’occurrence à la mention Swiss­ness, nous permet de communiquer avec succès les avantages de la stratégie de la qualité et de tirer profit de sa valeur.
•    On peut considérer le renforcement de la base de production comme étant le quatrième pilier. Les éléments essentiels en sont la protection des terres cultivables tant en quantité qu’en qualité (une motion en ce sens a été déposée) et l’utilisation rationnelle de l’eau.
•    Le dernier pilier est le renforcement des acteurs du marché, en premier lieu des producteurs. Sur un marché affichant un grand déséquilibre des forces en présence, il est nécessaire de disposer de nouveaux instruments pour assurer un meilleur équilibre entre la production, la transformation et le négoce. Ceci d’autant plus que les prix des matières premières agricoles au niveau mondial devraient fluctuer encore plus fortement à l’avenir.
Si l’on adopte une attitude conséquente à l’égard de ces piliers de la souveraineté alimentaire, le secteur agroalimentaire suisse pourra apporter une contribution essentielle à l’approvisionnement de la population de notre pays, de sorte que, en 2050 comme aujourd’hui, les Suisses n’auront pas de soucis à se faire au sujet du contenu de leurs assiettes. Ils auront en outre leur mot à dire en ce qui concerne le type et mode de production. La question de notre dépendance ou indépendance est une décision que nous pouvons prendre en toute connaissance de cause. Après avoir décidé de la voie à prendre, il faudra dès lors suivre rigoureusement le même cap. La politique à géométrie variable actuelle du Conseil fédéral et de l’Office fédéral de l’agriculture est plus déstabilisante qu’utile. La compétitivité internationale d’une part et les réglementations et obligations toujours plus sévères et restrictives d’autre part sont incompatibles. Même chose pour le taux d’autosuffisance et la pression pour une extensification toujours plus grande, ce à quoi tend la politique actuelle en matière de développement des paiements directs. Les agriculteurs doivent gagner leur argent avec une production durable de denrées et non pas avec des paiements directs versés pour ne rien faire. Cela ne serait sans doute pas du goût de la population. Nous avons le menu 2050 en nos mains et je ne crois pas que nous voulions perdre cette main. Les fleurs sauvages de nos jachères, aux si jolies couleurs, ne pourront pas venir agrémenter notre menu! Nous devons par conséquent mener une politique agraire permettant avant tout de préserver nos parts actuelles de marché.    •

Source: Conférence de presse de rentrée de l’Union suisse des paysans USP du 4 janvier 2011 à Berne