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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°47, 12 novembre 2012  >  Eduquer, instruire et rechercher en faveur du bien commun [Imprimer]

Eduquer, instruire et rechercher en faveur du bien commun

L’exposition «Natura sacra – Der Frühaufklärer Johann Jakob Scheuchzer»

par Urs Knoblauch, journaliste, Fruthwilen (Thurgovie)

Ce que l’éducation et la science fondamentales sont capables de faire pour contribuer au bien commun, voilà l’exposition actuelle à la Bibliothèque centrale de Zurich qui le met en évidence. Elle offre une vue sur les grands savants que la ville de Zurich a engendrés au cours des siècles. L’exposition actuelle, qui dure jusqu’au 2 mars 2013, donne, à travers des livres précieux, des documents, des produits de la terre et des gravures, un aperçu sur l’époque de la Frühaufklärung. Une personnalité particulièrement brillante de ce temps fut le médecin zurichois et savant universel, Johann Jakob Scheuchzer. Né en 1672 à Zurich, il œuvra à partir de 1695, après sa promotion de docteur en médecine, comme médecin municipal, médecin d’orphelinat, curateur de la bibliothèque municipale et du cabinet des produits de la terre. A partir de 1710, il exerça également, dans les deux instituts d’enseignement suprême de Zurich, un lectorat en mathématiques. Peu de temps avant sa mort, en 1733, on le convoqua au Carolinum, en qualité de «professeur physicus».

La Bibliothèque centrale de Zurich (ZBZ) avait organisé, il y a 40 ans, en 1972, à l’occasion du 300e anniversaire de Johann Jakob Scheuchzer, une exposition qui suscita un grand intérêt. Au cours des deux décennies passées, il y a eu de nouvelles recherches, présentant le savant respecté et à renommée internationale comme représentant de la Frühaufklärung qui, «au seuil des temps nouveaux, emprunta même des voies inhabituelles, s’étant voué aux méthodes empiriques.» Johann Jakob Scheuchzer a contribué, avec des performances brillantes, à la découverte scientifique de la Suisse. Au début de l’exposition, le visiteur admirera par exemple une carte hydrologique présentant les immenses réserves d’eau de la Suisse. Lors de ses fréquentes randonnées en montagne, et face au miracle de la nature, «ses yeux se sont ouverts en explorant la vérité». Lors de l’ouverture de l’exposition, Madame Susanna Bliggensdorfer, directrice de la Bibliothèque centrale, a posé la question de savoir si aujourd’hui, face au «système de Bologne», un choix d’études aussi étendu serait toujours possible. L’exposition invite en effet à la réflexion sur la diminution des contenus et la réforme de notre paysage éducatif actuel.
Les textes explicatifs extraordinaires de l’éditeur du catalogue, Urs B. Leu, accompagnent très bien le visiteur dans sa visite de l’exposition. Ci-après, nous allons citer quelques extraits de ces textes.

Une nouvelle ère s’annonce – Descartes et Grotius

Au début de son itinéraire, le visiteur est fasciné par la présentation des courants scientifiques du XVIIe siècle dans des livres et documents magnifiques. Ils montrent que, en dépit des résistances et conflits avec des courants religieux, l’enquête scientifique de la nature, la pensée rationnelle qui se répandait, et l’évolution démocratique prirent continuellement du poids.
«Les troubles des guerres de religion n’ont pas seulement libéré de nouvelles forces religieuses, mais également philosophiques et politiques qui se cristallisèrent, en partie, dans les deux savants René Descartes (1596–1650) et Hugo Grotius (1583–1645)» qui, avec son livre «de iure belli ac pacis» devint un des fondateurs du droit international public.

Essor des sciences naturelles

Les sciences naturelles se trouvaient en plein essor et entraînaient au début du XVIIIe siècle, entre autres, le vif débat sur l’image héliocentrique du monde, et les conceptions qui le contredisaient.
«Les traditionalistes se référaient à l’image antique du monde de Ptolémée, mettant la Terre au centre de l’univers, alors que dans le modèle révolutionnaire de Nicolas Copernic (1473–1543), le soleil en formait le centre. Quant à Tycho Brahe (1546–1601), il essaya de concilier les deux systèmes en maintenant l’image du monde géocentrique tout en faisant tourner les planètes autour du soleil. Scheuchzer, lui, préconisait, comme le faisait son professeur d’Altdorf, Christoph Sturm, le concept héliocentrique de Copernic, ce qui lui fit quelques ennemis à Zurich. Suite à un arrêté des autorités de censure zurichoises, il fut sommé de confronter, dans son livre Physica sacra, le concept du monde copernicien avec les deux autres modèles de Ptolémée et de Tycho Brahe comme équivalents. Le concept héliocentrique finit, au deuxième quart du XVIIIe siècle, par s’imposer également à Zurich, pour une grande partie grâce à Scheuchzer.»
Suite à d’âpres reproches de la part des théologiens orthodoxes, les forces libérales commencèrent à s’organiser elles-mêmes dans trois sociétés savantes. A huis clos, on pouvait donc discuter à l’aise sur les questions soulevées.
«La société la plus ancienne se nommait Collegium Insulanum (1679–1681), suivie du Collegium der Vertraulichen [Collège des confidentiels] (1686–1696) et du Collegium der Wohlgesinnten [Collège des bien intentionnés] (1693–1709). A partir de 1697, Scheuchzer fut secrétaire de ce dernier.

Les recherches de Scheuchzer sur la Suisse et sur les sciences

Scheuchzer élargissait sa formation lors de fréquents séjours à l’étranger. Le grand scientifique a fourni, lors de ses neuf grands voyages suisses de 1702 à 1711, de splendides performances quant à la recherche de la Suisse munie de ses trésors de montagnes et d’eau. A ces occasions-là, il collectionnait du matériel empirique et faisait ses fameuses mesures barométriques en altitude. De son prédécesseur, Johann Jakob Wagner (1641–1695), qui remplissait également les fonctions de médecin d’orphelinat et de bibliothécaire, «il hérita son intérêt pour l’histoire naturelle suisse, à laquelle il se consacra toute sa vie. Son but était de décrire sa patrie aux niveaux ethnographique, géographique, historique et scientifique, ce qui s’exprimait dans de nombreuses publications. Il faut surtout prêter attention à sa lettre d’invitation de 1699 à la recherche des «natürlichen Wunderen, so sich im Schweitzerland befinden»[les miracles naturels se trouvant en Suisse]. Cette lettre a été écrite en allemand et en latin et envoyée à de nombreux savants. Avec ses 186 questions s’y trouvant, il espérait rassembler des informations sur les différents aspects de la Confédération suisse.»
L’exposition montre en plus l’importance des revues scientifiques qui naissent à l’époque de la Frühaufklärung, contribuant au dialogue scientifique et à la culture générale. «A partir de 1665, les deux premières revues scientifiques apparurent. Ce furent le Journal des Sçavans, imprimé à Paris, et les Philosophical Transactions of the Royal Society, édités à Londres. Au cours des décennies suivantes, la production de revues se répandit par bonds, puisque les informations qu’elles contenaient sur les découvertes récentes, paraissant régulièrement et à intervalles relativement courts, étaient de grande importance pour les savants et accéléraient les recherches. Celui qui ne se tenait pas au courant, manquait les évolutions. Scheuchzer lui aussi reconnut la valeur de ces nouveaux médias, tout en publiant cependant 160 de ses 256 publications dans divers périodiques.»
A partir de 1694, en Suisse aussi parurent différentes revues. Ce fut Scheuchzer qui fonda la Nova literaria helvetica, paraissant en latin de 1702 à 1715, ainsi que la description germanophone des Histoires naturelles du pays suisse, publiée comme hebdomadaire de 1705 à 1707.
La culture générale dans les sciences, en mathématiques et en physique s’est de plus en plus imposée. Zwingli, le réformateur, l’a déjà revendiqué en 1525. Quand Scheuchzer eut l’occasion, dès 1710, d’enseigner dans les deux instituts suprêmes zurichois, au Collegium publicum ainsi qu’au Collegium humanitatis, quelques leçons de mathématiques, la formation mathématique et scientifique à Zurich s’améliora. Son disciple, Johannes Gessner (1709–1790) organisa, suite à l’absence d’écoles publiques, des collèges en physique sur une base privée. Le manuel de mathématiques et physique, Physica, rédigé par Scheuchzer, vit quatre éditions au cours du XVIIIe siècle. Tout en se basant, en matière d’optique, sur Newton, Scheuchzer admirait, dans les miracles de la nature, également leur créateur.

Scheuchzer en tant que collectionneur, naturaliste, bibliothécaire et correspondant

Fossiles, minéraux et plantes fournissent d’importantes informations pour les sciences naturelles. La «théorie du déluge» a été vivement débattue. Scheuchzer était convaincu que le déluge du printemps était crucial pour la reconstruction de l’histoire de la nature. Avec de nombreux fossiles spéciaux, avec un «épi d’orge», une noisette et deux larves de libellules, il a essayé de le prouver. Des recherches ultérieures ont précisé ces hypothèses.
Les herbiers de Scheuchzer sont magnifiques dans l’exposition. Il les a faits en prenant base sur le système du Français Joseph Pitton de Tournefort (1656–1708), qui avait classé les plantes en fonction de leurs corolles et des fruits. «L’intérêt de Scheuchzer appartenait aux plantes suisses et en particulier aux plantes des Alpes, ce qui explique pourquoi il a été maintes fois représenté avec le chardon alpin Eryngium alpinum.»
Par correspondance scientifique, des objets de collection issus de la nature ont été échangés. 1716 Scheuchzer a publié à la demande de son ami anglais Hans Sloane (1660–1753) un catalogue de sa collection comportant 1513 fossiles et 1995 minéraux.
Scheuchzer a travaillé en tant que conservateur de la bibliothèque municipale et possédait une vaste bibliothèque privée d’environ 5000 œuvres. Il était aussi en correspondance avec des personnalités importantes. Par exemple, avec Johann Bernoulli (1667–1748) à Bâle et avec Gottfried W. Leibniz (1646–1716), qui poursuivait l’activité de publication de Scheuch­zer et surtout ses recherches empiriques dans le domaine de la mesure de la hauteur avec un grand intérêt.
«L’Angleterre et surtout Londres, comme siège de la Royal Society ainsi que d’autres in­stitutions de recherche, jouaient un rôle important dans le paysage scientifique du XVIIe et XVIIIe siècle.» Le médecin John Woodward (1665–1728), lui-même membre de la Royal Society, a écrit et envoyé des lettres en posant des questions («Instructions») afin d’accroître les connaissances en sciences naturelles.
En plus des lettres de Bâle, celles des Grisons sont probablement les correspondances de Scheuchzer les plus importantes. Il était en contact avec une trentaine de correspondants, entre autres avec le prêtre Johannes Leonhardi (1651–1725), le seigneur Rudolf von Rosenroll (1671–1730) et Rudolf von Salis-Soglio (1652–1735). «Après la sortie de sa lettre d’invitation à l’étude des miracles naturels, il eut de nombreux contacts avec des membres des élites politiques et religieuses des Alpes. Scheuch­zer n’échangeait pas seulement des informations scientifiques et universitaires, mais aussi des informations sur les questions politiques et religieuses.» Lettres, revues et livres étaient donc des éléments importants du début de la Frühaufklärung. On avait pour but de renforcer l’enseignement des mathématiques et des sciences comme centre de formation de la pensée logique, rationnelle et modérée. Comment cette «correspondance de savants» a pu être explorée au travers de milliers de lettres, Madame Simona Boscani Leoni l’a montré clairement lors de l’ouverture de l’exposition.

Le siècle des Lumières s’impose –formation pour le «bonum commune»

Après la mort de Scheuchzer, au milieu du siècle, un changement profond dans la vision du monde a eu lieu à Zurich. Après l’acceptation de l’héliocentrisme et donc d’une nouvelle cosmologie, le rejet de la géologie du déluge a suivi, qui essayait d’expliquer toutes les roches sédimentaires et les fossiles à la suite d’un déluge global. L’élève de Scheuchzer, Johannes Gessner, étudia entre autre à Paris où il entra en contact avec les Lumières françaises. Il a fait connaître des travaux importants, comme par exemple ceux de Benoît de Maillet (1656–1738), de Georges-Louis Leclerc et du comte de Buffon (1707–1788), qui formulaient des modèles d’évolution.
Cette tradition humaniste, nous devons en prendre soin: l’éducation, la formation, la recherche, nos écoles ainsi que l’excellent système d’enseignement dual. L’éducation ne doit pas être abusée. Ce niveau éthique élevé d’éducation, comme il est décrit ici, doit rester ouvert à notre jeunesse afin d’augmenter, par une solide formation de base, le nombre de mathématiciens, de scientifiques et d’ingénieurs qualifiés, et pour apporter ainsi une contribution à la société et au bien commun.    •

L’entrée à l’exposition est gratuite. L’exposition est ouverte jusqu’au 2 mars 2013, de lundi à vendredi de 13 à 17 heures, samedi de 13 à 16 heures (fermée les jours fériés).
Pour les visites guidées (aussi publiques) et les exposés, renseignez-vous sur Internet à l’adresse suivante: www.zb.uzh.ch ou bien par téléphone: 044 268 31 00.
Le soutien de l’«Institut pour la recherche culturelle des Grisons (ikg)» a permis d’organiser cette exposition.