Les responsables dans les coulissesComment des réseaux transatlantiques compromettent subrepticement la démocratieInterview de Hermann PloppaHermann Ploppa, journaliste et auteur allemand, a publié en 2014 un livre intitulé «Die Macher hinter den Kulissen. Wie transatlantische Netzwerke heimlich die Demokratie unterwandern». En 2008 déjà, l‘auteur s‘était fait remarquer par un livre opposé à la pensée unique: «Hitlers amerikanische Lehrer. Die Eliten der USA als Geburtshelfer des Nationalsozialismus». Lors d’une visite en Suisse, nous avons profité de l’occasion pour nous entretenir avec l’auteur de son récent livre. Il va de soi que dans une interview, on ne peut soulever que quelques aspects contenus dans un livre de 200 pages. On vous suggère donc la lecture du livre en entier. Horizons et débats: Vous avez écrit un nouveau livre. Quelles sont les idées fondamentales de ce nouvel ouvrage? Hermann Ploppa: L’idée fondamentale du livre est qu’en Allemagne, des organisations inconnues du public transforment l’agenda et les paradigmes politiques. Cela se fait secrètement. Ils définissent les agendas et paradigmes politiques, sans prendre en compte les décisions électorales des citoyens et les positions de la majorité de la population. Cela ne s’est pas produit d’un jour à l’autre. Dans votre livre, vous remontez plusieurs décennies dans l’histoire. Oui, il s’agit d’un projet intergénérationnel des élites, développées aux Etats-Unis. Dans ce développement, le point d’ancrage est le Council on Foreign Relations (CFR), le Conseil pour les Affaires étrangères, dont le but est de transformer tous les pays du monde qui leur sont accessibles selon le modèle américain afin de les incorporer dans la Pax Americana étatsunienne. Cela débuta en 1921 et fut renforcé, après la Seconde Guerre mondiale, par la création de diverses sous-organisations dans plus de 170 pays du monde. En Allemagne, par exemple c’est d’une part l’organisation «Atlantik-Brücke», créant les contacts entre les élites allemandes et étatsuniennes, et d’autre part la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), appelée German Council on Foreign Relations dans l’espace anglo-saxon et qui est un des laboratoire d’idées («think tank») fournissant des analyses pour l’hégémonie américaine. Le sous-titre de votre livre suggère qu’il s’agit d’une mise en question sournoise de la démocratie. Si nous analysons la démocratie allemande à l’aune de la Loi fondamentale allemande, pourquoi les activités de ces réseaux n’y correspondent-elles pas et pourquoi dites-vous que tout se passe sournoisement? Depuis la Révolution française, il devrait être évident dans toutes les démocraties occidentales – et davantage encore dans les démocraties d’Europe centrale – que toutes les mesures politiques prises et mises en œuvre par les politiciens en tant que représentants de la volonté populaire doivent refléter la volonté majoritaire de la population et respecter ses désirs. Dans votre réponse à la première question, vous avez déjà mentionné qu’il s’agit de la mise en œuvre des conceptions du «radicalisme du marché» … Exactement! Pourriez-vous nous donner des exemples nous permettant de reconnaître que les conceptions du «radicalisme du marché» en Allemagne ont été réellement introduites par des réseaux atlantiques? Ce qui saute aux yeux, c’est que par un changement de la législation en Allemagne, les fondations ont pu garder beaucoup plus d’argent et ont développé ainsi un tel pouvoir qu’elles sont en état d’imposer leur agenda aux politiciens. Un exemple bien connu est la Fondation Bertelsmann. Cette fondation est la «force des deux cœurs». D’un côté, se trouve le grand groupe médiatique Bertelsmann avec RTL, Stern etc., de l’autre côté, il y a la fondation; les deux coopèrent étroitement pour faire avancer certains points de l’agenda. Pour le citoyen lambda, la Fondation Bertelsmann est d’abord une affaire purement allemande. Comment peut-on dire que cette fondation est liée à des réseaux transatlantiques? Il est vrai que la Fondation Bertelsmann n’apparaît pas directement en tant qu’organisation pro-américaine. Elle est sise à Gütersloh et fut au début une maison de diffusion de livres évangéliques. Mais il faut y ajouter que plusieurs organisations et fondations, n’étant pas intégrées aussi étroitement dans les réseaux transatlantiques, sont entre temps plus américaines que les Américains eux-mêmes. C’est un phénomène assez étonnant. La Fondation Bertelsmann travaille aussi à Washington, elle y entretient un bureau et demeure étroitement liée à des organisations transatlantiques américaines. Liz Mohn, la cheffe du groupe, fait-elle partie d’un réseau transatlantique? Liz Mohn, elle se tient plutôt à l’écart. Ce sont plutôt ses subordonnés, tel autrefois M. Middelhoff, qui sont plus visibles, mais elle-même se tient à l’écart. Elle figure plutôt comme la bonne amie d’Angela Merkel. On parle aussi du «féminat»: Friede Springer, Angela Merkel et Liz Mohn sont comme un «Triumfeminat» – en allusion au triumvirat romain. Dans les réseaux transatlantiques, on préfère laisser travailler les autres. Vous avez caractérisé la politique de la radicalisation du marché comme faisant partie de la politique des réseaux. Pourriez-vous nous parler davantage de la politique étrangère? Je voudrais attirer votre attention sur la Stiftung Wissenschaft und Politik, sise à Berlin, dont le président Volker Perthes, un orientaliste de renom, a proposé, lors d’une réunion du Council on Foreign Relations d’attaquer l’Iran par l’implantation du ver informatique Stuxnet dans les systèmes de commande de leurs centrales nucléaires. De cette manière, il a activement participé à la guerre des Etats-Unis contre l’Iran. Quittons un peu l’Allemagne et regardons la situation européenne en général. Y a-t-il aussi une sorte de réseau transatlantique en Europe? Quelle est la situation de l’UE? Quel rôle joue-t-elle dans le contexte des intérêts américains en Europe? D’abord, au niveau social, les élites des Etats-Unis et de l’Europe, sont regroupées au sein des Bilderberger et cela depuis 1954. On dit des Bilderberger qu’ils définissent les détails de la réunification européenne. C’est-à-dire que les réunions des Bilderberger sont également le résultat d’une initiative américaine. En outre, il faut savoir que le projet de l’Union européenne a été planifié du haut vers le bas. Après la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt américain était de circonscrire l’Europe occidentale. Les Etats-Unis étaient d’avis que l’Union soviétique voulait s’approprier l’Europe occidentale – à l’aide d’une hégémonie culturelle. Vous avez mentionné les rapports entre l’Allemagne et la Russie. Peut-on dire que ces réseaux transatlantiques risquent de devenir une menace existentielle pour nous? Sans aucun doute. Cela est illustré par la crise ukrainienne. A partir d’un certain moment, on put constater que les médias allemands, ayant jusqu’alors caractérisé Vladimir Poutine comme un partenaire fiable, commencèrent à lui porter des coups bas, à le diaboliser. En regardant qui était de la partie, il est facile de constater que tous les initiateurs de cette campagne font partie des réseaux transatlantiques. Il semble évident que les réseaux transatlantiques exercent une grande influence sur les politiques allemande et européenne mais d’une manière et avec des résultats qui ne sont nullement dans l’intérêt des Allemands ou des Européens. Certainement pas. Comment peut-on changer cela, comment faire respecter les intérêts des citoyens? En politique étrangère, il faut, par exemple, montrer que les pays émergents tels le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud sont des marchés intéressants pour l’Allemagne. Ce sont des partenaires intéressants et nous risquons d’être coupés d’eux en nous jetant dans les bras des Etats-Unis. Nous risquons donc de perdre tout accès à l’espace asiatique et eurasiatique, ce qui compromettrait fortement nos possibilités de croissance. Qu’est-ce qui vous a mené à écrire ce livre? En 1998, de nombreuses personnes espéraient qu’avec le gouvernement Schröder/Fischer les choses allaient s’améliorer, devenir plus pacifiques et plus sociales que sous les gouvernements antérieurs. Cela ne s’est pas fait. C’est exactement le contraire qui s’est produit. Alors, on se demande pourquoi. Pourquoi ne réussit-on pas à imposer un changement de politique à l’aide des moyens traditionnels de la démocratie parlementaire? Pourquoi tout part dans le sens contraire? Là, ma curiosité s’est éveillée et j’ai commencé à faire des recherches pour trouver les liens entre ces personnes. Monsieur Ploppa, nous vous remercions pour cette interview. • (Propos recueillis par Karl Müller) |