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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°21, 2 juin 2009  >  Les petits Etats doivent agir en toute indépendance [Imprimer]

Les petits Etats doivent agir en toute indépendance

par Christoph Pfluger

En quelques mois, un instrument juridique de la mafia s’est établi de plein fouet dans le droit international public. Si la notion de «liste noire» ne figure pas dans les documents officiels de l’OCDE, les politiciens déterminants l’ont employée sans vergogne; les auteurs du crime, pour lui donner l’aspect de l’inéluc­table, les victimes, pour justifier leur désarroi face aux électeurs. Aucun politicien n’a indiqué qu’il n’y avait pas de «listes noires» en droit international public, ni qu’il ne saurait y en avoir. C’est ainsi que ces listes ont exercé les effets souhaités.
A quelle sorte d’institution juridique corres­pond donc une «liste noire»? L’instrument est propre aux organisations criminelles clandes­tines qui, sans constitution génèrent un droit peu transparent sans procédure ordinaire, prononcent un jugement sans motifs, font exécuter la sentence par quelque puissance occulte. Accusés, juges, normes pénales et ampleur de la peine demeurent vagues. La seule certitude est qu’il n’y a pas de pardon.
Ainsi sont violées presque toutes les règles de l’Etat de droit et du droit international. Malgré cette énormité, les grandes puissances ont commencé à opérer par «listes noires» et les petites ont cédé sur toute la ligne à cette menace – un processus qui laisse songeur.
La «liste noire» de ces dernières semaines se caractérise – ce qui lui est propre – par quelques moutons noirs et non par l’énumération de tous les Etats qui pourraient être accusés à bon droit de ne pas coopérer suffisamment en matière fiscale internationale. Le 3 avril, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, s’est indigné, à Deutschlandfunk, de cette liste sur laquelle les «paradis fiscaux» britanniques et chinois faisaient défaut. Cette liste reflète le boniment débité depuis des mois dans l’Union européenne, où tout est concentré sur la suprématie des grands et de quelques-uns de leurs vassaux».
La déclaration du ministre allemand des finances avouant, après la victoire, qu’il n’y avait jamais eu de «liste noire», change peu à l’affaire. Cela souligne uniquement le manque de transparence de cette procédure.
Par son regard sur la Suisse qui en fait une horde d’Indiens que la cavalerie doit remettre à l’ordre, Peer Steinbrück a souligné combien l’Etat de droit était foulé aux pieds par des bottes noires. Visiblement, ses connaissances en histoire sont trop lacunaires pour concevoir que l’extermination des Indiens, notamment par la cavalerie des Etats-Unis, fait partie, avec ses 17 millions de victimes, des plus grands génocides de l’histoire. Une comparaison des plus malencontreuses, mais aussi un symbole vigoureux qui reflète la forme des protagonistes évoluant aux étages supérieurs des grandes puissances. Il n’est guère possible de s’exprimer plus clairement que Franz Müntefering, président des sociaux-démocrates allemands: «Jadis, on faisait charger la troupe dans cette situation.» Ce qui signifie que c’est déjà guerre. Pour l’emporter, il faut savoir tout d’abord quels partis sont impliqués, de quoi il s’agit et quelle est la ligne actuelle du front.
Les partis: d’un côté les hommes et compagnies qui créent des valeurs réelles par innovation et travail, de l’autre le secteur financier, qui, à partir de la monnaie, valeur virtuelle en principe, veut faire davantage de monnaie. Un instrument figure alors au premier plan: la création de nouvelle monnaie par le crédit. Pour ce faire, on a besoin de banques centrales, qui créent la monnaie, d’Etats, qui peuvent recourir aux contribu­ables en tant que garants en dernier ressort, et d’un secteur financier qui met les instruments à disposition pour créer des valeurs ajoutées virtuelles dans des bulles toujours nouvelles. Depuis que la crise financière a éclaté, nous ressentons de manière draconienne les limites de ces valeurs virtuelles. Le problème causé par ce processus: tout à coup, il devient clair que les valeurs réelles sont insuffisantes par rapport aux valeurs virtuelles.
De quoi il s’agit: la création de monnaie au moyen du crédit prend fin quand les grands créanciers, telle la Chine, ne croient plus que les promesses de paiements seront honorées, quand la monnaie ne jouit plus de la confiance du public et qu’elle perd ainsi sa valeur. Celui qui, lors de cette épreuve de force prévisible, dispose des valeurs réelles, à savoir de l’infrastructure, des terrains et des moyens de production notamment, a gagné. Celui qui possède des valeurs virtuelles, telles que de la monnaie, des papiers-valeurs et des droits de rente, a perdu.
Dans cette danse des fauteuils, il s’agit donc de maintenir aussi longtemps que possible le statu quo, malgré les problèmes de bilan insolubles des Etats et des établissements financiers déterminants, afin de canaliser la transformation de valeurs virtuelles en valeurs réelles. Dans ce but, les flux financiers internationaux doivent être soumis au contrôle de l’élite financière mondiale. Les Etats ne décideraient plus eux-mêmes à quels amortissements ils procèdent et comment ils entendent surmonter la crise, mais s’en remettraient aux grands garçons de New York et de Londres, ainsi qu’à leur exécutant, le Fonds monétaire international. Celui-ci déterminera désormais quels Etats bénéficieront de l’ouverture du robinet monétaire et lesquels seront exclus de son utilisation.
Ainsi évolue le front: l’automne dernier, le cas de Lehman Brothers a démontré symboliquement que même des joueurs éprouvés n’étaient plus ménagés dans cette phase. C’est maintenant au tour des Etats qui ont soutenu le système jusqu’à maintenant, tout en maintenant une certaine indépendance: le Luxembourg, l’Autriche, la Suisse et d’autres seront remis à l’ordre ou exclus grâce aux listes noires et grises. Ces Etats sont peut-être un peu moins embourbés dans la crise financière internationale que les grandes puissances monétaires fraternelles des Etats-Unis et de Grande-Bretagne ainsi que leurs vassaux, mais le sont assez pour empêcher une action indépendante.
Que faire dans cette situation inconfortable? Tout d’abord, les petits Etats devraient insister vigoureusement pour faire passer la gestion de la crise financière des clubs informels – tel le G20, qui exercent seulement des pressions, mais ne peuvent appliquer aucun droit, car ils n’en ont aucun et ne peuvent en fixer aucun –  aux organes de l’ONU, où pour le moins l’Assemblée générale peut élaborer un droit avec une voix par Etat. Même si cela ne convient pas aux grandes puissances financières, c’est la voie adéquate en droit international. Ce que la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) pense des mesures du G20 a été exprimé nettement par Heiner Flassbeck, son économiste en chef. Les paradis fiscaux «n’ont rien à faire avec la lutte contre la crise financière», a-t-il déclaré et, à Londres, il n’a pas été question le moins du monde «de fermer le casino, de dire: fin des spéculations de change, fin des spéculations sur matières premières, fin des spécula­tions sur actions financées à crédit».
Par ailleurs, les petits pays devraient accélérer par leurs propres moyens la transformation de valeurs virtuelles en valeurs réelles et pratiquer une prévention active de la crise en vue du moment où s’écroulera la base de valeur virtuelle de la monnaie de compte et de réserve, le dollar. Une telle stratégie aurait l’avantage, outre d’être visiblement utile à la population, de poursuivre l’objectif stratégique de toute guerre, à savoir de rétablir la capacité d’agir en toute autonomie. Si les gouvernements sont en mesure de se tirer par eux-mêmes du bourbier dans lequel ils se sont enlisés est une autre question. Pour ce faire, il faudrait être un Münchhausen, qui n’était pas exactement le genre d’homme le plus digne de confiance pour opérer en matière de crise.     •

Source: www.zeitpunkt.ch

Le texte est tiré de la revue Zeitpunkt, qui paraît depuis 17 ans en Suisse et s’adresse «aux optimistes intelligentes et aux sceptiques constructifs». Depuis des années, elle publie des textes sur l’instabilité de notre système monétaire, et son opinion est largement corroborée par les faits.
(Traduction Horizons et débats)