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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°4, 28 janvier 2008  >  Les déchets toxiques de Naples [Imprimer]

Les déchets toxiques de Naples

Non-respect des lois sur la protection de l’environnement par des importations complaisantes de déchets?

hd. A Naples, les déchets ménagers s’entassent dans les rues. Le lecteur compatissant juge par les images qu’il est urgent d’aider la population tourmentée. La Suisse offre sa main secourable pour «gérer la crise». Elle propose de prendre en charge des déchets pour les brûler dans nos centrales d’incinération dont la capacité n’est pas pleinement utilisée. Voilà qui semble tout à fait plausible. Mais une partie de ces déchets est pourtant très toxique et radioactive. Aucune autre des régions d’Italie ne veut prendre en charge ces déchets, il y a des émeutes contre les exportations, par exemple en direction de la Sardaigne.
L’importation de tels déchets comporte un énorme danger. Des métaux lourds contenus dans les boues d’épuration, des déchets d’hôpitaux radioactifs et infectieux ne doivent pas être brûlés dans des centrales d’incinération. Aujourd’hui, personne ne sait avec certitude quelles sortes de déchets industriels ou autres ont été enterrés et déposés dans les décharges situées dans les environs de Naples au cours de ces 20 dernières années.
On ne peut même pas être certain qu’il n’y ait pas de «cadeaux» américains mélangés à ces déchets, car suite aux travaux de déblayage entrepris dans certaines parties du Kosovo et d’Irak pour tenter de réduire la contamination à l’uranium appauvri provoquée par leurs bombardements, les USA semblent avoir réparti ces matériaux dans divers pays européens.
Horizons et débats a interviewé le couple X* qui a récemment demandé asile dans le canton du Tessin pour échapper à ce désastre environnemental (cf. encadré ci-dessous). Il ressort de leur demande d’asile ce qui est tu au lecteur des journaux: Depuis plus de 20 ans on entrepose, dans d’anciennes caves souterraines, des déchets de toutes sortes. Dans nos médias, personne ne mentionne quelles sont les substances enterrées, pourquoi elles y reposent et quels sont leurs risques pour la santé. Il est avéré – et cela a été publié dans Lancet ­Oncology – que ces déchets ont déjà provoqué dans le «triangle de la mort» des taux fort élevés de cancers du foie, de leucémies et de lymphomes et qu’ils causent de grandes souffrances.

Horizons et débats: Dans votre demande vous faites allusion à des faits très concrets concernant la situation dans votre village. Pourriez-vous nous dire quelles substances dangereuses sont contenues dans les déchets?

Le couple X: Il existe de très sérieux soupçons qu’il y a des métaux lourds, des substances chimiques très toxiques et du matériel radioactif enterrés dans les champs des environs (entre Acerra, Nola et Merigliano) et à l’intérieur des décharges légales.

De quelles substances radioactives s’agit-il?

De déchets d’hôpitaux, mais on soupçonne aussi d’autres substances dangereuses.

Y a-t-il aussi du matériel radioactif en provenance des régions de guerre, du Kosovo et de l’Irak, ou d’où ces déchets viennent-ils encore?

Je ne le sais pas. Mais je crois qu’ils viennent surtout d’Italie.

Si tel est le cas, comment sont-ils parvenus jusqu’ici?

Par camion. Mais je répète qu’il s’agit de matériel venant d’Italie, même si je n’exclus pas qu’il puisse y avoir aussi des déchets toxiques venant d’autres pays.

Où a-t-on trouvé des substances radioactives et cancérigènes dans la chaîne alimentaire?

Il n’y a pas de certitude pour cela, parce que, pour ce qui est des denrées alimentaires, personne n’a fait de contrôle, mais les morts du cancer sont très nombreux. Dans certains cas, on fait même allusion à un taux 350 % plus élevé que dans d’autres régions européennes.

Quelles malformations a-t-on constatées sur des fœtus d’enfants et d’animaux? Y a-t-il des photos à disposition?

Des animaux à deux têtes et des fœtus avec de graves malformations.

L’approvisionnement en eau potable est-il encore garanti?

Oui, certainement.

Dans un film, il est question de décharges et de cavernes souterraines, où se trouve du matériel contaminé. Qu’est-ce que vous en dites? Avez-vous des informations à ce sujet?

La plus grande partie des déchets se trouve dans de vieilles fosses souterraines.

Est-ce que des résultats d’examens concernant les tumeurs ont été publiés, par exemple par l’Institut des tumeurs de Naples ou par d’autres instituts ou est-ce qu’on a tu tous ces résultats?

Oui, il y a eu de nombreuses études effectuées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), par des oncologues indépendants, par l’Istituto Superiore di Sanità (ISS) et par le Lancet Oncology.

Comment vous expliquez-vous que c’est précisément dans votre région et depuis si longtemps que des déchets et du matériel contaminé ont été déposés en si grande quantité?

Le territoire n’a jamais été contrôlé, et les plaintes n’ont jamais été prises au sérieux.

Nous espérons que vous et votre famille vous portez bien. Nous sommes très impressionnés et très reconnaissants que vous attiriez l’attention de manière aussi directe et personnelle sur cette terrible affaire.
Merci beaucoup à vous tous.    •
*    Les noms sont connus de la rédaction.

Demande d’asile du couple X auprès de Mme Patrizia Pesenti, conseillère d’Etat du canton du Tessin et directrice du département de la Santé et des Affaires sociales

Madame la Présidente,
Je m’appelle X et j’habite depuis 32 ans dans le village de …, dans la province de ­Naples. Depuis très longtemps mon village appartient à une partie de la ­région de la Campanie qu’on appelait ­«Campania felix». Cela est dû à la qualité extraordinaire des sols qui se composent de sédiments volcaniques âgés de ­milliers d’années, donc très fertiles et formant des paysages admi­rables. Ceux-ci se sont créés par le jeu harmonique de la fertilité des sols, de la diversité des formes générée par leur origine volcanique et par les caprices des eaux fluviales et maritimes. C’est ainsi que le feu, la terre et les eaux ont formé, en coopération avec la photosynthèse, un paysage d’une sublime qualité dont la valeur esthétique, culturelle et économique est très haute.
Aujourd’hui, mon village n’est plus attribué à la «Campania felix», mais au «Triangle de la mort» mal famé où le taux de la mortalité dû aux maladies cancé­reuses est de plus de 350 % plus élevé que celui de l’Europe. 43 % de la pollution italienne sont à la charge de la région de la Campanie dont la plus grande partie concerne le village où j’habite.
En août 2004, The Lancet Oncology a publié un des premiers articles scienti­fiques du monde consacré à ce problème, sous le titre «Triangle of death» ­(Triangle de la mort). La notion provoquant le frisson a désigné le territoire napolitain entre Nola, Acerra et Marigliano où le risque de mourir d’un cancer est significativement plus élevé que dans le reste de l’Italie. C’est ce que prouvent les statistiques des dernières années: Dans ce territoire peuplé de plus d’un demi-million d’habitants le taux de mortalité due à une tumeur du foie est à 35,9 pour les hommes et à 20,5 pour les femmes sur 100 000 habitants, la moyenne nationale étant de 14. De même, le taux de mortalité par rapport au cancer de la prostate ou de la vessie ainsi qu’aux tumeurs malignes du système nerveux est considérablement plus élevé que dans le reste de l’Italie. Selon ladite étude, le taux élevé du cancer est une conséquence directe du dépôt des ordures dans les décharges illégales de la région. Pendant plus de vingt ans on y a enfoui des substances cancérogènes et radioactives qui, aujourd’hui, réapparaissent et pénètrent la chaîne alimentaire: des sels d’ammonium et d’aluminium, du plomb, des pneus dont s’échappent des substances cancérigènes quand ils sont brûlés. Dans ce territoire-là, c’est également des substances cancérigènes provenant de déchets toxiques d’hôpitaux qu’on a enfouies. Aujourd’hui, cette pollution gigantesque empoisonne les pâturages où paíssent les moutons: un véritable tueur de l’environnement.
Les conséquences néfastes pour les hommes se répartissent en deux catégories: d’une part les malformations se mani­festant chez les fœtus ou les évolutions anormales d’organes et, d’autre part, la manifestation de tumeurs aussi bien chez les adultes que chez les enfants. Les organes les plus sensibles du corps sont particulièrement exposés à ce genre de malformations: la vessie, le foie et l’estomac, des organes où le risque est très haut qu’ils laissent pénétrer les substances empoi­sonnées dans les cellules. Il en résulte le risque élevé d’être atteint, entre l’âge de 20 et 40 ans, de la leucémie ou d’un ­lymphome.
Du reste, le danger de la dioxine, qui se trouve dans la quasi-totalité des substances qu’on brûle ou qui sont exposées à un processus de décomposition, se manifeste partout. On a repéré la dioxine avant tout dans la nappe phréatique: entre 2002 et 2004, 79 puits artésiens ont dû être fermés suite à la pollution, suivi de dégâts considérables pour l’agriculture et l’élevage du bétail. La situation ne s’est pas améliorée: Il y a peu de temps, le 5 février 2006, beaucoup de cadavres d’animaux empoisonnés ont été retrouvés. Les autopsies ont montré que les animaux sont morts parce que dans leur fourrage ainsi que dans l’eau on a repéré de la dioxine.
Or, c’est un fait établi aujourd’hui que dans les décharges légales et illégales de la région de la Campanie on s’est débarrassé de n’importe quels déchets, générant ainsi une bombe dirigée contre l’environnement à dimension biblique. Face à ceci, le désespoir des citoyens, notamment le mien, a atteint une dimension insupportable.
Mon droit à la santé aussi bien que celui de ceux qui me sont chers, garanti dans l’article 32 de la constitution italienne, a été violé. Je crains pour ma santé et celle de mon fils à qui ma femme devra donner naissance dans un proche avenir et qui se voit, dès maintenant, privé de ce droit. J’ai peur pour mes parents qui, depuis trop longtemps, ont été exposés à un ­risque extrême. Je vis depuis très longtemps déjà avec la peur qu’un dégât injuste détruira notre vie à jamais, et ceci après que la vie de mon père, en 2002, a été détruite par un cancer des glandes surrénales. Je vis sous l’angoisse, éprouvant, de plus en plus, de la panique dans un terrain malsain, contaminé pour toujours. Dans ce terrain, la vie en sûreté et en dignité est devenue impossible. Dans les années passées, il a été endommagé, torturé et violé d’une façon irréparable, les signes d’une catastrophe écologique imminente étant apparents. Il est devenu impossible de le nettoyer parce que la quantité des déchets déposés dans les plus de 1550 décharges légales et illégales (dont 1500 sont illégales!) est immense. La pollution a contaminé la chaîne alimentaire, l’air que je respire, la terre sur laquelle je marche et l’eau que je bois. Les déchets empoisonnés m’en­tourent et se trouvent très probablement déjà en moi. Il est dangereux et déraisonnable de vivre ici. Les malformations des fœtus, aussi bien des hommes que des animaux, sont aussi nombreuses que celles enregistrées à Tchernobyl, à la différence qu’ici, il n’y a pas de centrales nucléaires ni d’industries polluantes. La mise en fonction probable de l’usine d’incinération des ordures ménagères d’Acerra augmente encore mon malaise face à la qualité de la vie qui y règne. Aujourd’hui il m’est impossible d’imaginer un avenir sur ce terrain déjà empoisonné, notamment par rapport à mon enfant qui, à cause de sa fragilité, ne sera exposé auxdits dangers que d’une manière plus cruelle encore. On ne peut plus garantir mon droit à la santé. Mon droit à l’indemnité physique est en danger ainsi que celui de ceux qui me sont chers et de mon enfant pas encore né. Leur vie est en danger et leur vie c’est ma vie.
Vu les faits que je viens de détailler je demande donc l’asile politique pour moi-même et pour mon épouse. Nous voilà prêts à abandonner notre travail et à entamer une nouvelle période de vie. Je vous prie donc, vous, Madame la Présidente, et l’institution que vous représentez, d’accepter ma demande désespérée. Aidez-nous à nous intégrer dans votre réseau social. Aidez-nous à ne pas finir en simple valeur statistique pour les scientifiques.
Persuadé d’avoir sollicité votre intérêt, je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de mes salutations distinguées.
Monsieur et Madame X
(Traduction Horizons et débats)