Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°37, 10 septembre 2012  >  Interview de Robert Sieland, géo-écologue à l’Université technique «Bergakademie Freiberg», au sujet des gisements de lithium dans le Salar d’Uyuni en Bolivie [Imprimer]

Interview de Robert Sieland, géo-écologue à l’Université technique «Bergakademie Freiberg», au sujet des gisements de lithium dans le Salar d’Uyuni en Bolivie

Quetzal: Comment le lithium est-il récupéré de la solution de sel?

Sieland: Le lithium se trouve dans la solution de sel, en concentration relativement haute, il est vrai, mais pour le traiter techniquement, la teneur en lithium est toujours extrêmement pauvre, au-dessous de 1%. Il fallait investir énormément d’énergie dans un processus préparatoire pour atteindre le lithium. Pour rendre ce processus de conditionnement relativement économique, il faut donc d’abord concentrer la solution de sel. Pour y arriver, on profite simplement des données naturelles, c’est-à-dire du soleil et du vent, pour évaporer l’eau et ainsi enrichir le lithium qui reste dissous dans l’eau jusqu’à la fin.
Un deuxième avantage en est que, par cette évaporation, on peut éliminer déjà certains sels non désirés, notamment le chlorure de sodium ou une partie des sels de magnésium. Le chlorure de potassium qu’on retient est un fertilisant bienvenu. Ces matières sortent en premier par rapport aux matières solides et peuvent ainsi être éliminées.

A ce que nous savons, il existe différentes méthodes pour concentrer le lithium. Où en est-on, en fait?

Aujourd’hui, la plus grande production de lithium dans le monde est située au désert d’Acatama au Chili (70%). Là, l’évaporation se fait par des bassins d’évaporation gigantesques. Ce qui veut dire que l’on y construit plusieurs bassins aux dimensions de plusieurs kilomètres carrés, on y pompe la solution salée et on la laisse évaporer par la radiation naturelle du soleil. Si l’on atteint ainsi une certaine concentration, on peut quasiment retirer la solution et la traiter dans le prochain pas du processus technique. Le gouvernement bolivien cherche également à se servir de tels bassins gigantesques au Salar d’Uyuni. Mais là, le problème de base est que les conditions climatiques y diffèrent de celles du désert d’Acatama au Chili. Là, c’est la région la plus sèche du monde entier avec moins de 10 litres de précipitations annuelles par mètre carré. Au Salar d’Uyuni, par contre, la saison pluviale dure de décembre à mars, et par année, l’on mesure des précipitations de 150 litres environ par mètre carré. C’est pourtant peu, si on le compare à l’Allemagne où les précipitations moyennes s’élèvent à 800 litres par mètre carré, mais cela suffit pour rendre impossible l’évaporation pendant la saison pluvieuse.

L’Université technique Bergakademie Freiberg a suivi une autre voie. Vous travaillez à ce que vous appelez le «Kegelprojekt» (le projet de cônes). Un tel cône a l’air d’une casquette bolivienne «chulu» …

Depuis 40 ans, l’Université technique Bergakademie Freiberg entretient des contacts très étroits avec l’université de Potosì en Bolivie. Sur la base de ces liaisons de longue date, nos partenaires qui coopèrent avec nous nous ont invités à réaliser avec eux un projet qui met au centre ces gisements gigantesques de lithium au Salar d’Uyuni. En 2007 nous avons eu les premiers entretiens, ensuite on a signé un accord. Nous nous sommes mis d’accord qu’il faut accélérer l’évaporation, la rendre plus rapide que celle possible dans les grands bassins, et c’est précisément par là que nous sommes tombés sur ces constructions en forme de cône. Là, on pompe en haut la solution salée qui retombe ensuite sur la surface externe du cône. Ce qui veut dire que nous y ajoutons encore un mouvement qui rend plus efficace et plus rapide l’évaporation par le soleil et le vent.

Cette différence est-elle mesurable?

Avec les cônes, la solution salée est «mûre» en peu de jours, une semaine au maximum. Avec les bassins cela dure normalement 8 à 10 mois, et il faut compter avec la saison pluvieuse de trois mois et éventuellement avec des inondations qui peuvent durer plus longtemps encore. Ce qui veut dire qu’en fin de compte, une année ne suffit éventuellement pas, si les précipitations surviennent brièvement avant la fin du processus d’évaporation.

Mais ces cônes ne sont-ils pas relativement petits?

Les prototypes que nous avons développés étaient d’une hauteur maximale de trois mètres, construits avec des matières toutes banales qui sont disponibles partout dans la région, c’est-à-dire des bâtons métalliques, des bâches en plastique ou différents textiles. Il est concevable aussi de construire ces cônes directement en sel, en amassant des tas de sel que l’on couvre par une bâche. Ainsi, les coûts restent très bas. Mais il faut avouer qu’un tel petit cône, même s’il est rapide à réaliser, ne fournit pourtant pas de grandes quantités. Pour pouvoir produire le tout à un niveau industriel, il faut installer plusieurs centaines de ces cônes. Avec ces cônes, qui en sont toujours au stade expérimental, on peut en plus, en changeant leurs dimensions et leur diamètre, rendre optimal le processus qui consiste à employer de plus grandes quantités de solution salée.

A vous écouter on a l’impression que l’extraction des autres sels serait alors facile à faire?

Précisément. Avec les cônes, on la réussit de manière particulièrement élégante. En fait, sur la surface externe, les sels sortent dans l’ordre du moment où ils ne peuvent plus au niveau chimique se dissoudre à l’eau. Le premier à sortir du chlorure de sodium puisque on en trouve la plus grande quantité dans la solution. Si je connais le degré de concentration qui fait sortir le chlorure de sodium, je peux quasiment interrompre le processus en le retirant en grattant pour le vendre ensuite en tant que sel comestible. Si je laisse se continuer le processus entamé, j’assiste à l’extraction consécutive d’abord du chlorure de potassium et ensuite du sel de magnésium et d’autres sels. Ce qui a pour effet d’arriver à une séparation des sels à intervalles de temps successifs.

Si les cônes entrent en concurrence avec les bassins d’évaporation du gouvernement bolivien, ne faudrait-il pas prévoir environ 4000 cônes, voilà le chiffre auquel nos propres comptes nous ont amenés, pour récupérer la quantité identique en carbonate de lithium? Ce qui correspondrait à une forêt de cônes …

Cela se peut, en effet.

Mais il faut avouer que le Salar est immense, environ quatre fois le territoire du Land de la Sarre ou la moitié de celui de la Saxe-Anhalt.

En effet, il s’agit de 10 000 kilomètres carrés. Il faut pourtant considérer que dans cette «forêt de cônes», ils s’influenceront entre eux, ce qui veut dire que, par exemple, l’humidité aérienne augmentera. Ce qui veut dire que l’efficacité de l’évaporation diminuera. Il faudra donc installer de plus petits groupes de cônes et les installer en respectant un certain écart d’un groupe à l’autre.

Cette technique-là conviendrait donc à une structure décentralisée dans laquelle la population locale, les «comunidades» indigènes, pourraient être intégrées.

En effet, oui. On peut installer les cônes partout de manière très mobile, et au moment où la saison pluvieuse commence on pourrait les démanteler ou simplement arrêter. Dès que la période sèche recommence, le processus pourrait être déclenché à nouveau. En procédant de la sorte, les pertes ne seraient que de brève durée, si la pluie arrive inattendue. Un autre avantage des cônes c’est qu’à la différence des grands bassins ils ne changent pas durablement le paysage.

Et combien un cône coûterait-il?

Notre objectif est de maintenir les coûts de production inférieurs à 200 $. Mais on peut aussi les réduire en utilisant du sel ou des matériaux et des bâches moins chers. Cinq cônes ont toujours besoin d’un panneau solaire pour l’approvisionnement en énergie électrique.

Vous avez fait des expériences dans la communauté de Tahua. Est-il réaliste que les comunidades ou des familles gèrent et exploitent ces cônes?

En théorie, ce serait possible. Il suffirait d’un peu de formation pour le faire. On n’a pas besoin de faire des études, on a simplement besoin de quelqu’un qui explique et instruit les gens de façon adéquate. Si les comunidades souhaitent vraiment le mettre à exécution, cela dépend de nombreuses conditions, et finalement du fait aussi que les gens acceptent une telle technologie nouvelle et l’adoptent pour eux-mêmes.

Avez-vous observé une certaine disposition à participer? Ou les gens, ont-ils tout de suite refusé?

Non, non! Les gens étaient euphoriques et voulaient absolument y participer. Plusieurs villages à la fois voulaient tout de suite avoir de ces cônes. Le problème était que les 20 villageois qui se sont penchés sur la procédure sont venus juste pour un jour et ont disparu le lendemain. Nous ne savons pas pourquoi. Nous aurions besoin d’indigènes qui pourraient expliquer le projet de manière convaincante. Et aussi d’ethnologues connaissant les structures et traditions séculaires de ces comunidades et qui examinent comment introduire quelque chose de nouveau. Là, nous, les scientifiques, sommes dépassés.

Pour terminer, une autre question importante – les conséquences écologiques de la production de lithium, en particulier les besoins en eau. Que sait-on à ce sujet?

Comibol, la compagnie minière étatique de Bolivie, a fait – selon les données en provenance du Chili – une estimation selon laquelle la production industrielle de lithium exigera par jour environ 4000 mètres cubes d’eau douce et environ 5000 mètres cubes d’eau saumâtre légèrement salée. Pour gagner ces quantités par jour, l’eau de la rivière du Rio Grande – le principal affluent – ne suffit pas de loin. Cela veut dire que l’on devra beaucoup puiser dans les eaux souterraines. Et l’on a constaté par les études isotopiques que la nappe phréatique est très ancienne – entre 90 et plus de 1000 ans. Cela signifie que les eaux souterraines ne sont pas alimentées par la pluie d’aujourd’hui, mais sont alimentées par des centaines, voire des milliers d’années. C’est donc une ressource quasi non renouvelable. Donc, si l’on puise et consomme ces eaux, ce «réservoir» souterrain se videra lentement.

Autrement dit, la préoccupation des habitants autour du Salar quant à leurs cultures de légumes et de quinoa, et leur élevage de lamas, est certainement justifiée …

Je partage leur avis. Pomper de telles quantités d’eau souterraine abaisse la nappe phréatique. De ce fait, il peut arriver qu’à l’avenir la culture de quinoa par exemple ne soit plus possible parce que les sources tariraient et que les terrains humides s’assècheraient. La question est de savoir où l’on puise et quelle est la grandeur de la zone d’impact y relative. Mais aussi pour les cônes, la question se pose de savoir combien d’eau douce est nécessaire pour les nettoyer, etc. Il n’y a tout simplement pas encore de projet-pilote qui permettrait déjà une évaluation basée sur l’expérience.     •

Source: www.quetzal-leipzig.de 

(Traduction Horizons et débats)