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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°5, 7 février 2011  >  Reprendre le droit des armes allemand – une stupidité stratégique [Imprimer]

Reprendre le droit des armes allemand – une stupidité stratégique

par Albert A. Stahel, Institut d’études stratégiques, Wädenswil

Tout citoyen ou citoyenne suisse a eu jusqu’à maintenant le droit, c’est-à-dire la liberté, d’acquérir et de posséder des armes. Ce droit forme la base pour toute demande de permis d’acquisition d’arme. L’initiative, elle, exige l’introduction d’une autre conception du droit. Dans la mesure où l’initiative serait acceptée, toute personne de nationalité suisse serait tenue, lors d’une demande d’acquisition d’arme, d’apporter la preuve qu’il y a nécessité. Ce type de loi correspond en gros à la loi allemande sur les armes. On assisterait, une fois de plus, à l’abandon de notre propre législation au profit de celle d’un pays étranger. Une loi étrangère remplacerait une loi suisse. Cette volonté des initiateurs n’est pas étonnante, puisque l’initiative fut lancée dans le cadre de la revue Annabelle, laquelle, comme on le sait, est dirigée par un rédacteur en chef allemand.
Il n’y a toutefois pas que des questions de droit, mais aussi de stratégie militaire qui poussent à s’opposer à cette initiative. Certes, nous vivons actuellement dans une Europe relativement paisible et sommes entourés de pays pacifiques. Il n’est cependant pas possible de prévoir la situation, ne serait-ce que dans cinq ou dix ans. L’histoire nous a appris que les situations stratégiques peuvent changer rapidement. Qu’on se rappelle l’année 1932. Personne n’envisageait la possibilité d’une guerre. Un an plus tard, Adolf Hitler prenait le pouvoir dans le Reich allemand et le danger de guerre fut accru dès la mort du président Hindenbourg. Finalement, en 1939, Hitler envahit la Pologne.
Certes, aujourd’hui rien ne laisse à penser à une guerre en Europe, qui se trouve intégrée dans l’Alliance atlantique et dans l’Union européenne. L’OTAN repose sur la force militaire et stratégique des Etats-Unis, lesquels, en tant que puissance hégémo­nique, sont toutefois en perte de vitesse, du fait de l’endettement et de la crise économique. Cet endettement a grandi suite aux 1000 milliards de dollars engloutis dans les guerres en Irak et en Afghanistan depuis les années 2001 et 2003. Alors qu’on sait que, lorsque les troupes américaines auront quitté l’Irak à la fin de cette année, ce pays deviendra un satellite de l’Iran, il apparaît clairement que la guerre en Afghanistan est perdue. Le retrait prévu des forces améri­caines d’Afghanistan en 2014 portera un coup sensible au prestige des Etats-Unis dans le monde, mais en plus sera compris comme une défaite de l’OTAN face aux Talibans. De ce fait, l’OTAN perdra toute crédibilité militaire et donc ne sera plus un rempart. Aux Etats-Unis, dans les débats militaires, on commence déjà à mettre en doute l’utilité de l’OTAN pour le pays et à en demander le retrait. Ce qui aurait pour résultat non seulement le démantèlement de l’OTAN, mais aussi le retrait américain de l’Europe. Dans ce cas, l’Union européenne – qui est déjà gravement atteinte par la banqueroute de certains de ses pays membres, malgré les injections financières – pourrait perdre sa cohésion.
Quelle serait alors la situation straté­gique en Europe? Aujourd’hui, la plupart des pays ont considérablement désarmé. Ce qui est aussi le cas de l’Allemagne. Seules la Grande Bretagne et la France ont encore de quoi inspirer quelque respect sur le plan militaire, surtout grâce à leurs armes nucléaires. Alors que l’Europe désarme, la Russie, dont on se moquait jusqu’ici, réarme. La guerre contre la Géorgie a redonné à la Russie une assurance en ses capacités militaires. Parallèlement, grâce à Poutine, elle a repris une influence sur l’Ukraine et l’Asie centrale. Si sa poli­tique du réarmement se poursuit, on peut estimer que d’ici 5 à 10 ans le pays possédera des moyens militaires lui permettant de s’imposer aux Etats d’Europe centrale et orientale. Ces Etats, dont fait partie l’Alle­magne, n’auront à ce moment-là plus les moyens militaires pour résister aux pressions russes. En tenant compte d’un tel développement tout à fait plausible, il apparaît stratégiquement stupide que la petite Suisse provoque son propre désarmement en acceptant cette initiative, se mettant ainsi volontairement, au niveau des pays européens désarmés. Le fait de détenir son arme à la maison est la marque d’une volonté indéfectible de résistance de notre pays. Cela signifie aussi assurer la capacité de réaction rapide en cas de besoin, dissuadant tout Etat disposé à imposer sa contrainte contre un petit pays. Cela reste valable aussi à l’avenir.    •

Source: Aargauer Zeitung du 25/1/11
(Traduction Horizons et débats)