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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°37, 10 septembre 2012  >  La voie honnête serait plus «durable» [Imprimer]

La consultation par le gouvernement d’Evo Morales – le cas de TIPNIS

par Muruchi Poma*

Le gouvernement d’Evo Morales en Bolivie fait tout son possible pour atteindre les 69 communes du TIPNIS (Territoire indigène et parc national Isiboro Sécure) et les consulter sur leur consentement par rapport à la construction d’une autoroute qui traverserait ce parc national. Mais les habitants du parc s’opposent à cette consultation. Pour manifester leur résistance à la construction de la route, ils ont parcouru en moins d’un an deux fois 500 km à pied et maintenant ils cherchent des voies légales. Le gouvernement est pour le plébiscite et les habitants contre. Ça, c’est la première impression qui s’offre à nous. Mais c’est une fausse impression. Notre interprétation de la réalité montre le contraire. Regardons de plus près.
Les indigènes du TIPNIS ont déjà une fois fait cette marche, il y a 22 ans. Cette marche est devenue historique. En août 1990, ces habitants se sont servis de ce moyen et ont exigé «de la terre et de la dignité». Après une marche marquée par le dévouement, de Beni jusqu’à La Paz d’une durée d’un bon mois et sur une distance de 500 km, le gouvernement néolibéral de Paz Zamora s’est vu contraint de déclarer territoire indigène le parc national Isiboro Sécure (connu plus tard sous le nom de TIPNIS). C’est le territoire où vivent les marcheurs indigènes. Depuis ce temps, le parc national Isiboro Sécure fait partie de la catégorie des territoires indigènes.
En réalité, cette marche a été historique parce qu’elle a inversé, dans l’Est de la Bolivie, le processus de la ruée sur les territoires indigènes, leur appropriation et répartition. Le message était clair: D’un côté la reprise de leurs territoires et de l’autre côté la reconquête des droits politiques, économiques et culturels par les indigènes. Avec la marche de 1990, le processus du changement a commencé, il s’est consolidé en 2006 avec le gouvernement d’Evo Morales, mais plus tard il s’est arrêté.
A l’opposé de ce processus social, le caractère du parc du TIPNIS a d’autres racines, plutôt d’origine occidentale. On a plutôt pensé à la protection des arbres qu’à la protection des cycles de la vie, dont celui des êtres humains qui est le plus important. 25 ans plus tôt (en 1965), ce parc a été déclaré parc national et il fait partie des soixante territoires protégés qui couvrent 20% de la Bolivie et sont la patrie de 17 des 36 peuples indigènes.1
Le TIPNIS est situé au cœur de la Bolivie, dans le Sud il est limitrophe à la région de culture de coca de Chapare, et dans le Nord se trouve la région des entreprises du travail du bois autorisées. La Bolivie est un des pays avec la biodiversité la plus riche du monde et le TIPNIS, avec une surface de 14 fois la surface de Berlin, reflète cette diversité naturelle multiple avec 402 espèces enregistrés de la flore et 714 de la faune.
Il est connu que «le TIPNIS est le cœur de l’économie de l’eau de la Bolivie. Avec la superficie de ses réserves en eau douce, il occupe la 5e place mondiale».2 Ce fait en souligne l’importance nationale et rend absurde tous les arguments prétendant que les Boliviens sont seulement les gardiens du peuplement forestier du monde. Si les Boliviens ne protègent pas leurs réserves de nappe phréatique, ils seront les premiers à souffrir des conséquences irréparables de la destruction de cette zone écologique de la production d’eau. La destruction définitive des arbres et de l’humidité de cette zone, par l’absence de nuages qui parcourent l’Altiplano et se déversent sous forme de pluie, peut avoir des conséquences catastrophiques, affirment les experts. Il semble que le gouvernement Linera-Morales n’ait pas la moindre intention de guérir ce «poumon» malade d’un «cancer» du TIPNIS, mais voudrait plutôt lui assener le coup de grâce. Les grands propriétaires terriens de Santa Cruz déboisent par année 250 000 ha de forêt. Linera minimise les conséquences en promettant que la construction de l’autoroute fera perdre «seulement» 200 ha de la forêt.

Les organisations indigènes du TIPNIS

Les habitants qui ont vécu depuis toujours sur le territoire du TIPNIS appartiennent aux peuples des Mojenos, Chimanes, Yuquis, Yuracares et Trinitarios. On estime qu’environ 15000 habitants y vivent dans 69 communes. Ils sont organisés dans des associations TIPNIS et Sécure et au Conseil des indigènes du Sud (CONISUR) et appartiennent tous à l’organisation de base de la Confédération indigène de l’Est bolivien (CIDOB).
Les dirigeants et les membres de ces organisations ont investi beaucoup d’efforts pour recouvrer leurs droits. Un an après la marche historique, le parlement bolivien se voit contraint de signer le contrat 169 de l’Organisation internationale du travail (Loi no 125 du 11 juillet 1991). Après 16 ans, bien qu’encore sous les conditions d’une forte présence au Parlement des grands propriétaires terriens de l’Est de la Bolivie, les parlementaires sont contraints d’accepter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes (Loi no 3760 du 7 novembre 2007). Nous avons pu voir, transmis par hasard par la télévision bolivienne, comment le président de la CIDOB, Adolfo Chávez, a été brutalement roué de coups par les casseurs des grands propriétaires, et cela uniquement parce qu’il a défendu la nouvelle Constitution de la Bolivie, acceptée par un référendum du peuple bolivien en l’an 2008.

La consultation préalable

Mais quels sont les droits que les indigènes ont acquis, pas seulement dans l’Est, mais dans toute la Bolivie? La propriété en commun de leurs territoires ne doit pas seulement exister en théorie mais doit être mise en pratique. Un an après l’introduction de la nouvelle Constitution pour l’Etat pluriethnique de la Bolivie, le président Evo Morales a lui-même remis aux habitants du TIPNIS le titre de propriété.3 Il n’y a aucun doute, toutes ces lois prévoient l’intervention de l’Etat dans n’importe quel projet. Les habitants ont «droit à une consultation préalable par l’Etat en toute bonne foi et d’un commun accord».4 En lisant ces lois, on pourrait croire que les intérêts des indigènes sont protégés légalement. On doit dire cependant qu’ils l’étaient, car maintenant ils ne le sont plus. La loi reste figée dans son texte. C’est la politique qui, dans la pratique, la foule aux pieds.
Dans ce processus de changements, il s’est passé un fait qui est à l’origine de toutes ces complications. Le gouvernement de Morales et Linera a donné, en 2008, l’accord pour la construction d’une autoroute à une entreprise brésilienne (OAS Ltda. Brasil) d’un montant de 332 millions de dollars, et cela sans consulter au préalable les «propriétaires de la maison». Non seulement l’entreprise de construction, mais aussi l’investisseur viennent du Brésil. Bien que l’accord ait été annulé seulement le 9 avril 2012 par le gouvernement bolivien, il n’est pas exclu qu’après la consultation citée, on ne retourne pas aux mêmes sources financières. La vérité est que la route est d’une importance vitale pour l’industrie agricole et d’élevage du Brésil, surtout en Rondonia. Celle-ci s’intéresse au marché asiatique. Actuellement, pour y arriver, elle doit utiliser les ports de l’Atlantique et faire le tour du monde pour arriver par exemple en Chine. Avec la construction de la route à travers le TIPNIS, elle n’aurait que 1450 km jusqu’aux ports de l’océan Pacifique. C’est pourquoi le Brésil fait tout ce qu’il peut pour que cette route soit construite.
Peu importe, cette situation n’explique pas pourquoi le gouvernement bolivien a d’abord évité de consulter les habitants du TIPNIS. Il y a des raisons qui pourraient probablement expliquer cette négligence. Voyons: La route a été divisée en trois segments de construction. Une partie dans le Nord du TIPNIS (appartenant au département de Beni), une partie dans le centre, c’est la partie principale du TIPNIS, et une partie dans le Sud appartenant à Chapare dans le département Cochabamba, où Evo Morales a son plus fort soutien. Nous voyons plus clair dans cette affaire en prenant connaissance qu’aussi bien la construction de la partie nord que de la partie sud de la route a déjà commencé en 2011.
Evidemment les producteurs de coca de Chapare ont un intérêt spécial à avoir cette route pour mieux atteindre les régions inhabitées du TIPNIS. C’est un soupçon fondé. D’un côté, il existe une grande demande du côté des planteurs de coca pour avoir des terres. De l’autre côté, la nouvelle Constitution empêche (cf. art. 399) toute possibilité d’avoir accès aux territoires des grands propriétaires terriens pour les planteurs de coca. Il ne semble exister aucune alternative à celle d’accaparer les terres des communes indigènes. Ces débordements arbitraires augmenteront avec la construction de la route, malgré l’intention du gouvernement de les punir.
Mais revenons à nos considérations: pourquoi n’y a-t-il pas eu de plébiscite? Il est possible qu’Evo Morales et ses proches aient pensé qu’ils n’avaient pas besoin de l’accord des habitants du TIPNIS pour la construction de la route (2e partie de Villa Tunari jusqu’à San Ignasio de Moxos) comme ils n’en avaient pas eu besoin pour la première et la troisième partie, justement parce qu’ils ont la majorité absolue au Parlement et tiennent le pouvoir gouvernemental. Evo Morales, qui se considère comme président des indigènes, a certainement cru qu’ils le suivraient aveuglément. Mais nous devons aussi tenir compte du manque de lois pour effectuer une consultation. Il a fallu d’abord cette marche des indigènes pour contraindre le Parlement bolivien à voter de telles lois.
Alors que tout ce qui concerne la construction de la route semblait être sous toit, les habitants du TIPNIS ont appelé, ensemble avec le Conseil national des Aylus et Markas de Qollasuyo (CONAMAQ) qui représente les indigènes de l’Altiplano et des vallées, à la VIIIe marche. D’abord elle n’a été qu’à peine remarquée par le gouvernement, mais bientôt il a reconnu la popularité énorme qu’elle avait gagnée. Des forces policières ont brutalement arrêté les marcheurs près du village de Chaparina. Leur intervention a rendu la marche encore plus populaire. Le 24 octobre 2011, le gouvernement d’Evo Morales n’avait pas d’autre alternative que de voter la loi no 180 qui interdit la construction de la route et qui rend le TIPNIS intouchable.
Il n’y aucun doute que Morales, Linera et ses compagnons faisaient mauvaise mine. Quelques jours plus tard, ils étaient blancs de colère. Comme le TIPNIS est dorénavant intouchable, ils se tournent contre les investisseurs étrangers de là-bas. Et même l’élevage de lézards par les indigènes du TIPNIS n’a pas été épargné. Le 11 novembre 2011, la licence écologique pour l’entreprise touristique Untamed Angling SA a été retirée. L’entreprise avait construit dans le TIPNIS des cabanes de vacances avec des matériaux indigènes. Les touristes venaient en hélicoptère depuis Santa Cruz. L’exclusivité de ce tourisme était connue. Sans doute, les indigènes en profitaient pour avoir du travail qui leur donnait un revenu. Les habitants ne dépendaient pas de l’aide de l’Etat. Mais au lieu de veiller à ce que les indigènes profitent encore plus de cette forme de tourisme, le gouvernement détruit toute forme de source de revenu les concernant. C’est vraiment une position quelque peu paranoïde d’appeler d’un côté des investisseurs étrangers, comme c’est le cas pour l’exploitation du lithium, mais d’interdire des investissements étrangers qui ne misent pas sur l’extraction.

La consultation manipulée

La loi qui interdit la construction de la route permet au gouvernement de gagner du temps. Morales semble maintenant être arraché à son rêve de pouvoir et comprend qu’une interrogation est nécessaire. Mais sa position n’est pas honnête: Il ne veut pas cette interrogation pour arriver à la décision de construire ou non la route, mais il cherche uniquement une justification à sa construction. Ils parlent bien d’une «consultation préalable», mais en réalité il s’agit d’une consultation postérieure. Cela est en contradiction avec la Constitution. Dans le fond, le gouvernement devrait s’engager à changer la Constitution. C’est ce qu’il ne fait pas, mais les partisans (CONISUR) commencent une marche de Chapare vers La Paz pour imposer une consultation. Ils demandent la construction d’une route et exigent d’être consultés. En février 2012, le Parlement a voté la loi no 222 avec l’intention d’effectuer «la consultation préalable». Et maintenant le gouvernement et ses partisans se posent en défenseurs de la Constitution. Le show est parfait.
Contre cette manipulation, les habitants du TIPNIS organisent la IXe marche. Six jours avant leur arrivée à La Paz, la Cour constitutionnelle a déclaré, le 18 juin 2012, la «constitutionnalité conditionnelle» de la loi n° 222, et l’autre loi no 180 comme non-conforme à la Constitution. La conformité conditionnelle se réfère à l’accord entre les adversaires. La cour, élue en 2011, a donc manqué la possibilité d’être un instrument indépendant de la défense de l’Etat de droit. Mais les indigènes de la IXe marche voient malgré tout dans la notion «d’accord» (concertatión en espagnol) la possibilité de pouvoir mener un dialogue avec le Parlement et l’exécutif.
Pendant ce temps, la IXe marche atteint le 24 juin la ville de La Paz. La réception grandiose d’octobre 2011 ne se répète pas. C’est un échec. Ils n’atteignent pas le but d’abolir la loi no 222. Ils ne voient pas que la machinerie de l’Etat est en plein mouvement pour la consultation préalable. Pendant qu’ils marchaient, Evo Morales et ses adeptes de Chapare étaient tout le temps dans le TIPNIS et faisaient des cadeaux de Laptops, de portables et de moteurs de bateaux et autres, et avec cela ils ont corrompu les habitants restés chez eux. En plus, le gouvernement a accusé les dirigeants de la IXe marche d’être des larbins de l’impérialisme, parce qu’Adolfo Chávez de la CIDOB avait donné la main au gouverneur de Santa Cruz et autres représentants des grands propriétaires terriens. En plus on pouvait voir clairement que l’église catholique était derrière cette marche. Cela a retenu beaucoup de gens qui avaient soutenu la VIIIe marche. Tout porte à croire que même la révolte des policiers à la mi-juin a été dénigrée comme partie de la conspiration des marcheurs contre le gouvernement.
Lors de l’arrivée des marcheurs à La Paz, Evo Morales était, comme trop souvent, en voyage, mais même après son retour il n’était pas prêt à prendre contact avec les dirigeants de la IXe marche. Linera et ses ministres ont pris la même position. Et au lieu de prendre contact, le gouvernement a poursuivi la voie de la scission des indigènes. Ainsi, les indigènes de Chapare et du CONISUR (partisans d’Evo Morales) ont été transportés à La Paz et y ont mis en scène «un monologue». Ils sont d’accord avec la consultation et demandent la construction de la route. Par la suite, les participants de la IXe marche ont décidé de retourner dans leurs communes dans le TIPNIS pour s’opposer à la consultation. En même temps, ils ont déposé une demande de protection de la Constitution au Tribunal de Sucre, pour obtenir le respect des lois. Ils ont argumenté que le contenu du protocole de la consultation leur était totalement inconnu. La cour a refusé la demande. Les ministres du gouvernement ont déclaré qu’ils parleraient avec les communes du TIPNIS. Ils les interrogeront probablement aussi longtemps qu’il faut pour que les habitants rendent leurs armes et soient d’accord avec la construction. Il faut considérer que ceux qui font la consultation sont pour la construction de la route. Là il faut aussi savoir que les participants de la IXe marche sont pour la construction de la route, cependant pas par le milieu, mais au bord du parc. Le point culminant de l’impertinence du gouvernement a été atteint lorsque ce dernier a commencé à déposer une plainte contre les dirigeants de la IXe marche.5
Il est possible que le gouvernement de Morales puisse faire construire des routes partout dans le pays, mais il ne peut pas fouler la loi aux pieds. Le gouvernement a entamé le chemin du non-respect de la loi et de l’abus de pouvoir, et ce qui est pire, il sème la haine partout parmi les indigènes et fait ce que les colonialistes et les néocolonialistes ont essayé depuis toujours. Ce que le gouvernement veut combattre, devient son instrument.    •
(Traduction Horizons et débats)

1    cf. Dittmann, Wencke. Starke Gesellschaft – Schwacher Staat. Entwicklung der Bevölkerungspartizipationen am Schutzgebietsmanagement in Bolivien. Diplomarbeit. Leipzig, septembre 2010,
p. 33sq.
2    cf. Prada Alcoreza, Raul. En Torno al TIPNIS http://www.amigo-latino.de/indigena/noticias/newsletter_07_11/461_09EntornoalTIPNIS_rp.html (21/9/11)
3    cf. «Antrag zum Schutz der Verfassung» de Fernando Vargas Mosua, document daté du 27/7/12.
4    cf. la Constitution bolivienne, art. 30, no 15.
5    cf. www.laprensa.com.bo/diario/actualidad/bolivia/20120809/el-gobierno-inicia-juicios-por-la-consulta_31265_49998.html  (13/8/12)