La politique de santé publique – commerce contre bien commun?par Reinhard Koradi, DietlikonPouvons-nous encore compter sur «un système de santé qui fonctionne» ou l’économisme à outrance et sans égards dans tous les domaines de la vie empiète-t-il aussi sur le système de santé? L’attaque lancée sous le patronage de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et visant les domaines fondamentaux (l’enseignement, l’énergie, les transports publics [y compris la poste et le téléphone], l’alimentation et le système de santé), axés sur le bien commun et la solidarité entre les êtres, détruit l’approvisionnement de la population qui est adapté aux besoins nationaux. La pensée et l’action unilatérales soumises au principe global de la compétition est un énorme danger pour l’égalité des chances, la cohésion de la population, la sécurité et la qualité des domaines vitaux. Avec l’exploitation abusive de la garantie de l’approvisionnement national, les capacités d’aide humanitaire internationale et de solidarité entre les êtres sont considérablement affaiblies. A la suite de l’économisme illimité de la société, les valeurs fondamentales humaines (le sens de la communauté, la solidarité avec les plus faibles etc.) sont menacées par la recherche d’un avantage personnel maximum. Si la pensée économique poursuivait le but correspondant à l’usage d’origine – c’est-à-dire de ménager soigneusement les ressources existantes (l’homme, le sol/la nature, le capital) – on ne pourrait presque pas rejeter le principe de rentabilité se rapportant aux domaines fondamentaux. Mais, la «rentabilité» poursuivie aujourd’hui exclut en grande partie l’homme et les ressources naturelles. Elle est axée uniquement sur la recherche du profit maximum et sur l’extension de l’influence et du pouvoir. Légitimer des réductions de prestations en poussant aux réformesLes «économes en matière de santé», les caisses-maladie et la politique se trouvent également sous cette influence délétère quand ils se plient à la pression continue exercée quant aux réformes du système de santé. Les raisons avancées officiellement par la politique, l’administration, les associations du secteur économique et les caisses-maladie – qu’il faut contrôler l’explosion des coûts dans le système de santé par des mesures visant à des économies et par des réductions de prestations – sont mal acceptées par la population et par les patients. Les critères de jugement sont diamétralement opposés. Les «experts autoproclamés en matière de rentabilité» dans le domaine de la santé font de la propagande en prônant qu’une standardisation (forfaits) et une réduction des prestations (rationalisation et/ou méthodes de traitement plus économes) aboutiraient à une baisse des coûts, alors que la population accorde la plus grande importance à une assistance médicale aussi étendue que possible et qualitativement aussi élevée que possible. Les sondages confirment toujours que le libre accès aux prestations, la qualité et la garantie de l’assistance médicale sont absolument prioritaires pour les habitants de la Suisse, et que les coûts pour les prestations fournies au niveau de la santé publique ne sont critiqués sérieusement ni par les personnes concernées ni par l’ensemble de la population.1 Les conséquences négatives des économies se font déjà sentirEn règle générale, le système de santé satisfait (encore) les attentes de la population suisse. Cependant, quand on y regarde de près, on perçoit qu’il y a de plus en plus de plaintes de patients qui, en cas de maladie, sont mal ou insuffisamment soignés et traités, voire même privés de soins ou de traitement. On entend aussi de plus en plus de voix provenant des cercles de médecins qui considèrent le diktat des caisses-maladie – quant aux thérapies à ordonner et à ne pas ordonner – comme un danger considérable pour notre système de santé en grande partie encore intact. La colère face à la pression permanente sur les coûts (produite artificiellement), les charges administratives excessives imposées par les institutions de santé publique et les caisses, et le nombre croissant des «fautes professionnelles» – avant tout dans les grands hôpitaux – dévoilent impitoyablement des fissures dans les façades de notre système de santé. En Suisse, nous avons déjà collectionné des expériences impopulaires avec des réformes «dictées de l’extérieur». Que ce soit l’agriculture, l’enseignement, l’armée ou la santé publique, des tâches centrales productives ont été rayées ou réduites, et les domaines réformés ont été soumis à des systèmes de contrôle et de gestion d’envergure. On a remplacé la production par l’administration. Cela est avant tout possible parce qu’on a retiré aux milieux concernés (les paysans, les enseignants, les médecins, le personnel soignant ou les officiers militaires) le droit de participation lors des projets de réformes, ou l’on a discrédité leurs critiques en les taxant de «défense de leurs privilèges». «Les réformes dictées de l’extérieur» signifient dans ce contexte l’exclusion des personnes directement concernées, et montrent que l’initiative visant à un changement a été déclenchée la plupart du temps par la signature de traités internationaux (OMC, ONU, les traités bilatéraux, FMI, la Banque mondiale et le PPP [Partenariat pour la paix]). S’il s’agissait vraiment de trouver une solution sincère pour tous les problèmes éventuels, alors nous développerions en Suisse des solutions adaptées au pays et nous ne reprendrions pas étourdiment des modèles étrangers. Les caisses-maladie – ennemies des assurés?Normalement, les assurés sont les clients des caisses-maladie. Pourtant les cas s’accumulent, dans lesquels les caisses font sentir sensiblement aux personnes malades ou accidentées qu’elles accordent plus d’importance à leurs propres plans d’épargne qu’au bien-être des assurés malades ou accidentés. Ainsi par exemple, Monsieur K. M.2 a dû combattre pendant plus de deux ans avec ses médecins traitants pour obtenir de sa caisse la garantie de prise en charge des coûts relatifs à l’opération d’une cataracte à l’œil gauche. Depuis plus de 30 ans, K. M. souffre d’une inflammation chronique de l’iris. Le médecin traitant a réussi pendant tout ce temps à tenir sous contrôle les inflammations grâce à un emploi très économique de collyres (Cortisone) et d’examens sporadiques (lors d’inflammations plus fortes). Le problème était qu’à chaque poussée inflammatoire, des cicatrisations restaient. La flexibilité des pupilles et la faculté visuelle diminuaient de plus en plus. A l’âge de 62 ans, sa faculté visuelle était tellement réduite qu’une opération des deux yeux était devenue indispensable. A cause des cicatrisations, l’oculiste traitant a jugé l’opération à venir comme un risque considérable. Un préexamen chez un chirurgien renommé a confirmé le diagnostic de l’oculiste. On a conseillé au patient un séjour stationnaire pour le suivi de l’opération en raison du risque élevé. Une demande de garantie de prise en charge des coûts a été envoyée à la caisse-maladie où K. M. est assuré depuis des années comme patient privé. Celle-ci a refusé la prise en charge et a cependant conseillé au patient de demander un deuxième avis à une clinique ophtalmique située dans un centre commercial. L’argument avancé était qu’en raison de l’âge du patient, celui-ci pouvait subir un traitement opératoire sous forme ambulatoire. Les administrateurs de la caisse n’ont pas tenu compte de l’histoire de la maladie du patient et des complications redoutées (intervention très délicate à cause des cicatrisations, du risque d’hypertension oculaire et d’hémorragies). Comme la Suva (Caisse nationale suisse d’assurance-accidents) avait déjà certifié une prise en charge des coûts pour un séjour hospitalier dans la division commune, le malade a alors réfléchi après de longues hésitations à subir l’intervention en tant que patient de cette division-là. Pour être rassuré, il a souhaité que l’opération soit pratiquée par le chirurgien expérimenté. Cependant, il n’y avait pas de garantie quant à cela. Dans le système de santé, on argumente avec des termes fauxLes coûts dans le domaine de la santé s’élevant à peu près à 53 milliards de francs sont pris en charge pour moitié environ par les assurances sociales et privées. Les ménages privés payent un tiers directement aux prestataires. En fait pour être exact, les privés couvrent presque les deux-tiers des charges financières sous forme de primes, d’impôts et de paiements directs.3 On doit retirer au système de santé l’influence des gens qui détournent les faitsLa santé publique ne doit plus rester un domaine dans les mains de conseillers, d’économistes, de politiciens et de managers de caisses-maladies. Nous devons combattre pour que le médecin, le personnel soignant et les patients reprennent la parole. Le système de santé ne doit pas être réduit à un produit standardisé adapté au marché global. Ni la standardisation, ni la concentration ne sont des moyens qui conduisent à une amélioration du système de santé. Il est complètement faux d’argumenter toujours par des coûts dans le domaine de la santé. Le secteur de la santé doit être décrit comme d’autres branches économiques justement à cause de son importance au niveau de la société et de la politique sociale. Cela veut dire que les prestations dans le domaine de la santé génèrent du revenu national et ne peuvent pas être déclarées seulement en tant que charges. Dans le secteur de la santé, il y a 496 000 employés qui gagnent leur vie avec leur travail. La recherche et le développement conduisent comme dans d’autres branches à améliorer les performances et à ouvrir la voie à d’autres domaines d’application et permettent une croissance du marché (pas une augmentation des coûts). Quand d’autres branches augmentent le confort, la performance et la sécurité de leurs produits ou lancent de nouveaux produits sur le marché, on salue cela en tant qu’extension du marché. Pourquoi ces critères ne sont-ils pas utilisés dans la santé publique? La réponse est simple mais effrayante: On veut priver le «marché de la santé» de l’obligation sociale d’aider tous les êtres qui ont besoin d’assistance médicale. Tant que les gens, indépendamment de leur pouvoir d’achat, ont un accès illimité aux institutions et aux prestations dans le domaine de la santé, on parle de coûts. Cependant, si le marché est libéré de son engagement social, un marché avec une croissance presque illimitée, et en perspective des chiffres d’affaires et des bénéfices au-dessus de la moyenne, s’ouvre aux investisseurs dotés de puissants capitaux. Voulons-nous vraiment autoriser cela? • 1 Gesundheitswesen Schweiz, édition 2007 (Interpharma) |