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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°45, 10 novembre 2008  >  Des voies pour sortir de la crise: la petite ferme [Imprimer]

Des voies pour sortir de la crise: la petite ferme

 

par Renate Dünki et Renate Hänsel

La question de la souveraineté alimentaire d’un Etat comme base d’une démocratie a souvent été traitée dans Horizons et débats. Elle s’est posée dans le passé et elle est aujourd’hui de nouveau d’une actualité brûlante eu égard à l’industrie alimentaire mondialisée et la crise économique mondiale aiguë. Les gens en Europe se sont posé de telles questions lors de la crise des années trente du siècle dernier ou après la Seconde Guerre mondiale et ils ont cherché des réponses; c’étaient des périodes pendant lesquelles une alimentation suffisante n’était pas évidente. En ces temps-là ont émergé en Allemagne des expériences modèles sur l’incitation d’agriculteurs et de politiciens responsables pour créer les possibilités d’un approvisionnement autonome des familles, résistant à la crise pendant des périodes de disette, indépendamment du chômage et de l’effondrement économique. Oswald Hitschfeld les a résumées dans un petit livre.

De façon répétée dans l’histoire récente de l’humanité, et aussi dans celle des pays occidentaux soi-disant riches, il y a des situations dans lesquelles beaucoup de gens n’ont plus de gagne-pain; soit que tout a été détruit par une guerre, soit qu’après des crises économiques, causées par des processus de concen­tration et de spéculation financière, il y a moins d’emplois et que beaucoup de gens ne travaillent pas, ne reçoivent pas de rémunération et ne peuvent en conséquence plus se nourrir.
Aujourd’hui nous nous trouvons au milieu d’une telle crise mondiale, à laquelle nous ont conduits une concentration sans limites du pouvoir et de l’argent et une soif immodérée de profit et de pouvoir. Cela conduira à la pauvreté et à la famine, aussi dans nos pays du soi-disant premier monde. L’appel à reconsidérer les tâches de l’Etat se fait de nouveau entendre de nos jours. La voie erronée du système économique néolibéral est discutée dans le monde entier, une règlementation des sociétés financières est exigée.

Travail agricole comme issue

Dans quelle direction trouvera-t-on une solution à la crise actuelle? Celui qui réfléchit à la question de savoir comment on peut y survivre, arrive à la conclusion qu’un tournant est possible, comme le dit Oswald Hitschfeld, l’auteur de la brochure «Der Kleinsthof und andere gärtnerisch-landwirtschaftliche Nebenerwerbstellen – Ein sicherer weg aus der Krise» (Xanten 1995) [La petite ferme et d’autres gagne-pain entre jardinage et agriculture – une voie sûre pour sortir de la crise]. La solution ne sera possible que si les gens se rappellent ensemble les choses essentielles comme l’entraide, l’autonomie de l’approvisionnement, le recours à ses propres moyens pour se libérer des turbulences de l’économie mondialisée. Pour l’auteur il ne s’agit pas seulement du bien-être individuel, mais de l’assurance de l’existence pour des millions d’hommes dans une coopération de tous ceux qui réfléchissent à la planification de l’avenir. Comme perspective il voit le retour au travail agricole. Hitschfeld suggère une solution qui se base sur la famille, la plus petite unité d’une communauté. La petite ferme est possible sur la plus petite surface cultivable, sur laquelle, avec son propre travail, l’existence d’une famille peut être assurée. L’assurance de l’existence est prise en main courageusement. En même temps, l’indépendance, l’autonomie et la responsabilité individuelle sont rendues possibles. L’idée de la petite ferme offre ainsi une voie pour sortir des sentiments d’impuissance et du ras-le-bol de la politique.

L’autosuffisance est possible

Certes, l’agriculture se trouve actuellement dans un autre état qu’après la Seconde Guerre mondiale. Cependant il est possible et inévitable que chacun s’occupe de cette question fondamentale, importante pour l’assurance de l’existence et la cohabitation en liberté et que chacun cherche des solutions dans son entourage. La petite brochure de Hitschfeld sur l’autosuffisance est une aide et une bonne base qui incite à réflexion en commun et à la participation à une voie pour sortir toute la société de la crise. Il rassemble d’une manière compréhensible un savoir multiple. Pour Hitschfeld, il s’agit d’une autosuffisance post-industrielle dans le cadre d’une activité annexe, orientée selon les expériences de la société industrielle actuelle. L’auteur s’engage pour créer le plus possible d’activités annexes en jardinage et en agriculture sur du terrain en friche non utilisé, comme ils ont été discutés et essayés en Allemagne dans la période entre les deux guerres et après les deux guerres. Les terrains pour de telles colonies devaient être mis à disposition par les communes. Ainsi la possibilité serait ouverte aux familles de se rassembler avec d’autres familles dans des unités plus grandes.
Les propos du préfacier Karl Walter Lau sonnent comme un pressentiment de la situation actuelle: «Des fermes d’autosuffisance et d’activités annexes seront dans un avenir pas si lointain pour beaucoup de nos semblables une sorte de refuge. Peut-être quelque chose comme de toutes petites arches dans le courant des temps chaotiques, desquelles émanent de nouvelles idées et actions qui avanceraient le développement de l’humanité d’un grand pas.» (p. 6)
Hitschfeld présente quatre formes de petites fermes choisies parmi une multitude d’exemples:

1. La ferme de jardinage

Déjà au début du siècle passé existait dans les mouvements de jeunesses allemandes une multitude de tentatives de colonies ayant différents objectifs. Ainsi l’architecte de jardin, Max Karl Schwarz, de Worpswede près de Brême, a développé l’idée de la ferme de jardinage dans laquelle sur un terrain de 2,5 ha avec 4 à 5 ouvriers on pouvait produire des légumes pour environ 100 personnes et garantir un ravitaillement complet pour 8 personnes. (p. 15)

2. Le plan de petite ferme de Heinrich Jebens

L’agriculteur Heinrich Jebens, a également opposé à la misère du temps, après la Seconde Guerre mondiale, son plan de petite ferme. Ses idées sont aujourd’hui de grande actualité. (p. 16)
Le plan de petite ferme auquel Jebens a donné le sous-titre de «Idées pour une nouvelle structure de population» (Gedanken zum Volksneubau) propose une colonie d’activités annexes d’une grandeur d’environ 1,5 ha. Là, 2 vaches, 3 cochons et douze poules seront élevés. Le fourrage pour les animaux et la nourriture pour les gens pouvaient être cultivés sur ce terrain: Des pommes de terre précoces, des pommes de terre d’affouragement, du maïs, des betteraves, toutes sortes de légumes rendraient le plan possible. Autour de la maison des arbres fruitiers donneraient des fruits en abondance. Des 20 litres de lait des vaches on a tiré entre autre à l’époque du lait écrémé pour les cochons. Cette forme d’agriculture en activité annexe a été expérimentée pendant des années. Dans la comparaison, elle représentait la forme la plus rentable des formes d’exploitations agricoles et comme ferme de pâturage elle a été la plus simple à exploiter en activité annexe. En hiver, une personne y consacrait une heure matin et soir et en été en moyenne la moitie de la journée.
Avec son modèle de petite ferme, Heinrich Jebens avait en vue une nouvelle structure de la population. (p. 19) Ce qui comptait pour lui, ce n’était pas uniquement de vaincre la faim dans ces temps de disette, mais aussi d’établir des conditions stables en permettant à beaucoup de gens d’exploiter un modeste bout de terre. Jebens a écrit à ce sujet: «Associons le paysan à l’ouvrier, il en résulte un ‹type d’homme› qui, avec ses activités annexes résiste à la crise, et dont nous allons avoir besoin pour venir à bout de l’ère nucléaire.» (p. 20) C’est dans ce but qu’il aurait voulu établir en 5 ans 5 millions de petites fermes.
Malheureusement, les autorités n’ont pas pu être gagnées à cette cause. Dans l’après-guerre sa réussite aurait donné de la nourriture, du travail et un nouvel espoir à des millions de gens, stimulé l’économie mal en point et éliminé la pénurie de logements. Cependant, suivant son initiative, 169 petites fermes ont pu être construites jusqu’en 1953 dans le Bade-Wurtemberg (Allemagne).

3. La colonie de jardins de Heinrich Frantzen

Une autre variante d’une telle petite ferme a été expérimentée en 1937 dans la colonie de jardins de Heinrich Frantzen dans la région de Cologne. Cette sorte de petite ferme a été réalisée sur un terrain encore plus petit, de 5 «preussische Morgen» [Morgen = arpent, 2500 m2]. La ferme a fonctionné sans animaux et tout à fait sans engrais animal. On a mis l’accent sur la culture de fruits et de baies. Pour les arbres fruitiers on a utilisé du compost de plantes et le contenu de deux bacs d’eau usée, et pour les champs des légumineuses comme des lupins, des vesces et des fèves etc. Cela suffisait pour produire suffisamment de nourriture végétale, et c’etait plus que ce qu’une surface pareille aurait produit autrement. Frantzen a montré clairement: «On peut très bien cultiver sans engrais de provenance animale et atteindre des récoltes suffisantes. On peut aussi se nourrir suffisamment avec des végétaux. […] Entre la forme d’exploitation sans animaux avec l’alimentation exclusivement végétale et l’exploitation uniquement avec des animaux et une alimentation excessivement animale, toutes les variantes sont possibles.» (p. 23)

4. Un modèle spécialement impressionnant: «Un bout de terre pour une famille»

La surface cultivable moyenne par personne de la population mondiale, d’après le «Club of Rome» est de 4000 m2. Cette surface a suffit, dans une culture autonome expérimentée avec deux moutons, pour nourrir suffisamment et sainement une famille de 6 personnes. En moyenne quotidienne, la famille n’avait pas à travailler plus de 5 quarts d’heure. On a pu produire par jour (sur la base d’une moyenne annuelle) 4 kilos de légumes, 1 kilo de fruits et 1,6 kilos de pommes de terre. S’y ajoutaient des œufs, du lait de brebis, des fèves de soja, de l’huile de pavot et du maïs. Tout cela a été produit sur un terrain de 100 x 20 mètres et sans l’aide de machines à moteur. (p. 24)

5. Une méthode de culture avec un bon rendement: «La transplantation des céréales»

Il tient spécialement à cœur à l’auteur de «Kleinsthof» de faire connaître la méthode de transplantation des céréales (Getreideumpflanzmethode). (p. 26 sqq.) La propagation de cette méthode peut être une contribution importante pour la survie.
La méthode de transplantation donne, sans avoir recours à des machines, un très haut rendement de céréales sur les surfaces les plus petites et elle est donc de très grande valeur en temps de disette. Les graines de céré­ales sont semées très tôt dans des serres, quelques semaines avant le moment habituel des semailles. Lorsque le jeune planton a 20 cm de hauteur, il est transplanté dehors et planté assez profond pour que le premier nœud de la tige se trouve sous terre. A partir de ce nœud pousse très vite une autre couronne de ra­cines avec 40 à 50 tiges au lieu de 4 à 5 tiges. Le rendement d’au moins du double de la méthode de transplantation se fait par l’ensemencement précoce et une plantation très profonde qui produit cette seconde couronne de racines. Sans machine à planter, quelqu’un de très adroit peut planter 400 à 500 plantons de céréales par heure. Le rendement supplémentaire de cette méthode étonnante s’explique par le fait que les plantes, avec l’ensemencement précoce, ont une période de croissance plus longue. C’est une très vieille expérience d’agriculteurs que les ensemencements précoces ont des rendements plus grands. Comme ces grands rendements permettent aussi le passage à l’engrais vert, la méthode a, à long terme, aussi l’avantage d’assainir la terre. Avec cette méthode de plantation de céréales on peut atteindre un très haut degré d’autosuffisance et ainsi l’indépendance en temps de disette. Il est recommandable d’essayer soi-même cette méthode de transplantation.

Chacun peut participer à la réalisation de cette vision sociale

Pour Hitschfeld, la petite ferme suppose avoir des connaissances de jardinage et d’agriculture. Il considérait donc le projet comme approprié pour des gens ayant déjà fait des expériences dans l’agriculture donc d’anciens petits paysans d’un jeune âge qui avaient plus tard un emploi en ville. (p. 35) Hitschfeld pensait aussi à des gens qui sont revenus de l’ancienne Union soviétique, qui sont obligés de vivre de l’aide sociale et auxquels la vie dans une petite ferme permettrait une issue à leur désespoir psychique. (p. 36) Remarquons que l’apprentissage de la culture de légumes et l’élevage d’animaux de basse-cour peut très bien se faire aussi. (cf. la bibliographie ci-joint)
Hitschfeld a en vue une ferme d’activité annexe, qui ne mette pas la production agricole sous pression et rend possible la culture écologique. (p. 37)
Il a énuméré les conséquences positives de la réalisation de l’idée des petites fermes:
–    Elle aurait une influence bénéfique sur le maintien de l’équilibre de la nature;
–    Un retour à l’agriculture et avec cela à la souveraineté alimentaire serait amorcé;
–    La misère intellectuelle et psychique de beaucoup de gens, surtout de la jeunesse, pourrait être surmontée: le travail dans la nature peut transmettre de vraies valeurs vitales;
–    Une économie orientée vers le bien de la communauté dans une vraie fraternité pourrait enfin se développer. (p. 37 sqq.)
L’idée de la petite ferme veut ainsi constituer un contrepoids contre la destruction des sols, contre le changement en steppes des sols, aussi dans de vastes régions de l’Europe du Sud.
Pour la réalisation de sa vision Hitschfeld a souhaité un large soutien de la société.
Il a appelé les entrepreneurs à soutenir cette idée avec la création d’emplois à temps partiels, car une participation de l’industrie et de l’artisanat serait importante pour la réalisation de ce modèle expérimenté.
«Si les institutions et des personnes individuelles qui peuvent obtenir des résultats s’occupent sérieusement de la réalisation, il ne faudra pas se faire du souci pour l’avenir. Aucune crise ne peut alors nous faire peur. Les bouleversements de l’économie et de la société ne peuvent pas arriver, car on leur a enlevé le fondement.» (p. 39)
Hitschfeld a souhaité pour la réalisation de sa vision de la petite ferme dans chaque Land de la République fédérale Allemande un ou plusieurs modèles. Il ne considérait pas son livre comme un mode d’emploi pour la réalisation de petites colonies. Il a voulu plutôt, avec sa brochure, appeler à des initiatives dans cette direction.
Sa brochure s’adresse donc d’un côté à des jeunes qui voudraient créer des colonies, de l’autre côté à tous ceux qui ont quelque chose à dire dans la planification (des administrations agricoles, des maires, l’artisanat et l’industrie, des politiciens dans les communes, les départements et les capitales). Tous ces milieux devraient recevoir cette brochure. Dans la presse également, et surtout dans la presse locale, il faut faire connaître cette publication, souhaite Hitschfeld.
Le vœu de l’auteur est donc: Aidez tous à faire connaître l’idée des petites fermes.    •

Petite bibliographie:
Pour l’exploitation d’une petite ferme, des connaissances d’agriculture et de jardinage sont importantes. Pour les acquérir ou pour les actualiser, il existe de nombreux livres. En voilà un petit choix:
John Seymour. Das neue Leben auf dem Lande. Urania Verlag, ISBN 3-332-01474-9
Marie-Louise Kreuter. Der Biogarten. ISBN 3-405-15841-9
Sepp Brunner, Margrit Brunner. Permakultur für alle. Edition Löwenzahn. ISBN 9783706623940
E. Pfeiffer, E. Riese. Der erfreuliche Pflanzgarten. Verlag am Goetheanum. ISBN-10: 3723504868
[Comme toute cette littérature et la brochure de Hitsch­feld sont écrites en allemand, je voudrais
appeler nos lecteurs en Suisse romande et en
France à nous faire connaître des écrits
équivalents en français, ndlt.]

En Suisse, pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, une solution exemplaire de cette question a été trouvée avec la coopération de tous les citoyens et des autorités, ce qui a sauvé le pays d’une famine menaçante en temps de guerre. (La bataille des champs d’après le plan de F. T. Wahlen), mais au delà de l’expression de la volonté politique, la volonté d’une défense spirituelle du pays encore a renforcé l’attachement de tous les citoyens. Cet engagement mutuel dans la tâche d’assurer la souveraineté alimentaire pour le bien de tous en des temps de haute menace de cette époque, a donné des forces à tout le monde. L’agriculture et les exploitations se sont rapprochées et cette expérience est encore bien vivante dans la mémoire de beaucoup de citoyens.

(cf. Horizons et débats 43/2008)

«Lorsqu’à Detroit l’industrie de l’automobile s’est effondrée et que beaucoup de gens se sont retrouvés au chômage, les villes sont tombées en friche: les maisons étaient vides, tout était envahi par les mauvaises herbes. Une femme a eu l’idée de retourner un bout de terre dans un parc et de planter des légumes. Beaucoup de gens se sont joints à elle, et des jeunes y ont participé aussi.»

Veronika Bennholdt-Thomsen/Maria Mies,

«Die Subsistenzperspektive – Eine Kuh für Hillary», Munich 1997

En 2008, beaucoup de gens sont de nouveau dans la détresse et ont faim en Amérique. On a déjà commencé à retourner la terre dans les terrains de golf pour y planter des pommes de terre!