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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°49/50, 29 décembre 2010  >  Appréciés, connus dans le monde entier, fournisseurs des Cours européennes [Imprimer]

Appréciés, connus dans le monde entier, fournisseurs des Cours européennes

Café et pâtisseries – une invention de montagnards

par Heini Hofmann

La crise économique actuelle éveille des souvenirs des années de famine d’autrefois. Depuis le Moyen-Âge, les jeunes hommes ont souvent dû quitter leur pays en périodes de disette, d’abord comme mercenaires, plus tard comme artisans et commerçants. C’était aussi le cas dans les Grisons, car le sol aride ne pouvait pas nourrir tous les habitants.
Les principaux métiers de ces montagnards grisons forcés d’émigrer par la misère étaient des confiseurs et des cafetiers, on parlait même d’une «industrie des Grisons». Avec leurs friandises, ils ont conquis les cœurs des grands gourmands dans les métropoles européennes de l’Espagne jusqu’en Russie et même outre-mer.

10 000 en 1000 métropoles

Comme les jeunes Grisons étaient habitués au travail dur, aux économies et qu’ils savaient s’adapter convenablement aux mœurs étrangères, qu’ils restaient étroitement liés entre compatriotes tout en développant des stratégies d’investissement et des systèmes de participation, beaucoup d’entre eux ont eu du succès et sont devenus riches. Ceux qui sont rentrés ont investi leur bien chez eux dans l’agriculture, dans des édifices et dans le tourisme naissant. Mais tous n’ont pas eu de la chance; il y en a eu qui sont devenus pauvres, qui ont souffert du mal du pays et qui sont morts et enterrés en terre étrangère.
En tout, ils ont dû compter dans les 10 000 dans plus de 1000 villes. Ceux qui avaient du succès ont enthousiasmé leur clientèle aux quatre coins du monde, dans leurs confiseries et leurs salons de thé très bien situés, avec des sucreries exquises, des gâteaux excellents, des friandises artistiques, avec du chocolat fondant et du massepain délicieux, des limonades rafraîchissantes et des spécialités de glaces, des liqueurs fruitées et surtout avec du café aromatique.

Point de départ, Venise, la ville-lagune

Déjà au XIIe siècle ont eu lieu les premières émigrations depuis l’Engadine, le Bergell, le val Poschiavo et le Chams vers Venise qui deviendra le point d’attraction le plus important. La ville-lagune catholique, mais très ouverte au monde, offrait aux immigrés protestants pour la plupart de bonnes perspectives avec le droit de s’installer et le libre exercice de leur profession. Mais une crise politique entre les Etats a conduit en 1766 à une fin subite pour les confiseurs grisons à Venise, qui furent contraints de chercher d’autres possibilités de travail ailleurs en Europe, plus tard aussi outre-mer. L’exode le plus important eut lieu entre 1800 et 1850.
Le plus souvent les jeunes Grisons émigraient – au début à pied – déjà à l’âge de 14 ou 15 ans pour faire un apprentissage de confiseur à l’étranger chez un parent ou une connaissance. Suivaient les années comme employés et dans le meilleur des cas la création de leur propre entreprise. S’ils avaient du succès, ils visitaient pendant les mois d’été leur parenté au pays, ou bien ils se retrouvaient avec des compatriotes dans une des stations thermales en plein essor comme par exemple St. Moritz. Ceux qui avaient moins de succès revoyaient leur ancien pays dans le meilleur des cas en le traversant pour aller retrouver un autre lieu de travail à l’étranger, ou plus jamais s’ils étaient tombés dans la misère.

Des livres de recettes bien gardés

Au fait la notion de «Zuckerbäcker» (confiseur) n’est pas exacte. Car ce n’était pas seulement le savoir-faire professionnel qui était nécessaire mais aussi des capacités artis­tiques. Pour cette raison cette profession ne comptait pas parmi les métiers artisanaux, mais parmi les professions libérales et artis­tiques. Et de l’autre côté le métier du confiseur comportait toute une gamme de capacités, aujourd’hui recouvert par des professions spécialisées ou même des industries, comme la production de chocolat ou de friandises, de glace ou de limonade, la torréfaction du café ou la distillation de l’eau de vie.
Les notions historiques ne doivent pas être comprises comme de simples désignations de métiers, elles décrivent plutôt la fonction de l’individu dans le commerce du café, le pâtissier comme producteur de pâtés ou de boulangerie fine, le confiseur comme producteur de sucreries, le cafetier préparant du café, le limonadier qui prépare des rafraîchissements ainsi que le liquoriste ou le distillateur ou producteur d’eau de vie. Une chose pourtant était défendue aux confiseurs: Comme concurrents directs des boulangers, ils n’étaient pas autorisés à faire du pain.
Beaucoup de confiseurs grisons tenaient un livre de recettes manuscrit où ils retenaient ce qu’ils avaient appris et leurs créations propres, écrit souvent dans un mélange de langues entre le romanche et l’italien, et se mélangeant – suivant leur lieu de travail – au français, à l’allemand ou à d’autres langues. De tels trésors manuscrits du savoir professionnel ont été transmis de génération en génération en secret bien gardé, car ils contenaient la clé du succès. Comme livres de recettes de famille ils sont encore partiellement utilisés de nos jours.

Giuseppe Verdi, hôte de choix

Beaucoup de choses nous rappellent encore aujourd’hui les confiseurs et les cafetiers de l’époque: A Gênes sur la Piazza Soziglia on trouve toujours la Pasticceria Fratelli Klainguti, actuellement plus propriété grisonne, mais c’est l’entreprise qui succède à la Pasticceria-culte fondée par les trois frères Klainguti en 1828 qui comptait parmi sa clientèle Giuseppe Verdi. En son honneur et en souvenir de son opéra Falstaff a été créé une spécialité de biscuit éponyme. Par contre dans la vieille ville de Perugia, la Pasticceria Sandri, connue pour sa vaisselle ornée de la croix suisse, est dirigée encore aujourd’hui par une descendante dans la quatrième génération, qui parle encore le romanche.
En ville de Vienne, au bord du Danube, très bien située «unter den Tuchlauben», une famille de Bever a créé en 1789 une entreprise, donnée ensuite en location à un émigré de Filisur qui l’a conduite au succès: la boulangerie de Mandoletti Florinet. Pour fabriquer cette spécialité il importait du miel et du beurre du pays. En 1887 cette entreprise de tradition a été transmise à un pâtissier viennois. Même en Finlande, à Helsinki et à Wyborg, des Grisons de Chams ont été actifs comme confiseurs. La confiserie à Wyborg a été connue spécialement par son entreprise annexe, l’Hôtel Andrea, fréquenté souvent par des Russes. Un Finlandais l’a repris plus tard sous le même nom.

Pouchkine, Dostoïevski, Gogol

A Kiew, un émigré de Celerina a fondé deux entreprises, l’une au Krestchatik 15, mais, terrassé par le mal du pays, il a vendu et mis en location ses entreprises à des compatriotes, et il est retourné avec sa famille nombreuse au pays où il a pu vivre confortablement de ses économies.
Une vraie histoire à succès est celle du Café Chinois, un lieu de rencontre littéraire connu, au Nevskij Prospect no 18 à Saint-Pétersbourg, fondé par deux émigrés de Davos. On pouvait y rencontrer Pouchkine, Dostoïevski, et Gogol. A cet endroit, Pouchkine aurait bu son dernier verre avant son duel mortel avec un officier de garde français. Dans les années 1850 le Café Chinois est même devenu livreur à la cour du tsar. Mais en 1876, la troisième génération a vendu l’établissement et ils sont rentrés à Davos.

Le roi et l’empereur comme clients

Parmi les plus de cent salons de thés fondés par des Grisons en Allemagne, il n’y en a qu’un seul qui ait survécu à la Seconde Guerre mondiale: La pâtisserie Schucan dans une bâtisse à trois pignons sur le Prinzipalmarkt à Münster. Elle est issue d’une fondation d’un émigré de Lavin en 1834, mais elle a été fermée en 1989. Le légendaire Café Kröpcke (d’après le nom d’un preneur de bail) à Hannover, avec son pavillon spectaculaire qui a donné son nom à un établissement moderne, est issu de l’entreprise d’un confiseur grison de Silvaplana, ouverte en 1795, qui est devenue plus tard la confiserie de la cour de Ernest Auguste, roi de Hannover.
Et qui le soupçonnerait: Le fameux massepain de Königsberg (aujourd’hui fabriqué à Lübeck et envoyé dans le monde entier), est à l’origine une invention grisonne d’émigrés de Castasegna qui ont fondé en 1809 à Königsberg, à côté du vieux château, une confiserie de la cour et manufacture de massepain. En même temps, un confiseur de Ftan était connu en ville pour ses créations de massepain et il était également livreur à la cour de l’empereur.

Amour éternel: Café et pâtisseries

A Berlin, la confiserie Josty, fondée en 1796 par quatre Grisons de Sils, Bever et Ftan, située en dernier sur la place de Potsdam, a également été un endroit où se sont réunis artistes et écrivains. Les gigantesques dioramas en sucre, massepain et chocolat exposés à Noël, éclairés de façon spectaculaire, ont attiré les visiteurs. Les scènes représentées allaient de l’enlèvement des Sabines jusqu’à l’incendie de Rome. Aujourd’hui ils seraient certainement mentionnés dans le Livre des records de Guinness.
Bref, les confiseurs grisons ont éveillé des sympathies partout dans le monde – car ils étaient travailleurs, propres et innovants et, grâce à leur amabilité simple et leur serviabilité solide, ils étaient de vrais artistes de l’adaptation. Leur modèle à succès d’entreprise jumelée de Salon de thé et de confiserie, avec leur culte du «café et pâtisseries» a survécu jusqu’à nos jours.    •
(Traduction Horizons et débats)

Limités à l’étranger

hh. Bien qu’aisés, les confiseurs et cafetiers revenus au pays, ayant fait des investissements et ayant construit des maisons magnifiques, ont causé des effets secondaires. Leur penchant pour le luxe, dont ils eut pris l’habitude à l’étranger, eut aussi des effets négatifs et amena la décadence des mœurs. Pour cette raison, ceux qui étaient restés au pays, appelaient les cafetiers émigrés de façon à la fois péjorative envieuse, les taxant de «vendeurs d’eau chaude». Les confiseurs étaient moins concernés par cela. En effet, ils avaient meilleure réputation, car ils avaient fait l’apprentissage de leur métier.
Toutefois, a écrit un chroniqueur de Davos en 1806 «… leur profession apprise, ici ne leur sert à rien, ils ne sont bons que pour le travail aux champs et ce sont des incapables et des vicieux». Alors que les confiseries et salons de thé des Grisons émigrés ont joué un rôle éminent dans l’histoire de la culture européenne, en Suisse ils sont restés sans importance. Au contraire: Ce ne furent pas des Grisons, mais des étrangers qui fondirent des confiseries et des salons de thé à Pontresina, Saint-Moritz, Sils ou Zuoz.