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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°2, 16 janvier 2012  >  Quel rôle l’économie doit-elle jouer au sein de notre société? [Imprimer]

Quel rôle l’économie doit-elle jouer au sein de notre société?

par Reinhard Koradi, Dietlikon

A un moment où l’on cherche mondialement une issue à la crise économique et financière, une proposition très intéressante nous parvient d’un petit groupe de 15 viticulteurs romands sous la forme d’une initiative populaire fédérale «Pour une économie utile à tous». C’est un projet très cohérent que nos concitoyens romands nous présentent dans une démarche courageuse. Les viticulteurs groupés autour de Willy Cretegny se rebellent contre la pression (motivée politiquement) exercée sur les agriculteurs depuis plusieurs années déjà à travers le «libre» marché. Ils ont déjà combattu l’accord sur le «Cassis de Dijon», conclu unilatéralement par le gouvernement suisse avec l’Union européenne. Cet accord permet d’exporter en Suisse des produits alimentaires autorisés sur le marché européen même s’ils ne correspondent pas aux lois et aux règlements suisses (les exceptions doivent être présentées au Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie). La réciprocité pour les producteurs suisses n’a pas fait l’objet de négociations avec l’Union européenne. La forte opposition à cet accord a cependant été brisée par la pression exercée sur les parlementaires et la promesse de la conseillère fédérale Doris Leuthard que l’accord permettrait aux consommateurs suisses de faire des économies de l’ordre de 2 milliards de francs, ce dont il n’est pourtant plus question aujourd’hui.

Concurrence à travers l’ouverture des marchés

Le leitmotiv – davantage de concurrence pour l’agriculture – a marqué la politique agricole au cours des dernières années (non seulement en Suisse mais aussi au-delà des frontières). Le prix des produits agricoles sur le marché mondial est devenu la mesure de toute chose. On a ainsi imposé comme objectif aux agriculteurs suisses un rapprochement de leurs prix avec ceux de l’Union européenne, sans considération des conditions de production inégales (écologie, bien-être des animaux, frais de production plus élevés, etc.). L’ouverture du marché pour les produits agricoles sert à atteindre ce but, mais à un prix qui peut devenir très élevé pour la population suisse et qui a déjà eu des effets dévastateurs sur la structure de la population rurale (dépendance par rapport à l’étranger, taux d’autoapprovisionnement insuffisant, disparition d’exploitations agricole et d’entreprises dans les secteurs en rapport avec l’agriculture, dépeuplement des zones rurales, perte d’emplois précieux, désertification des Alpes, etc.).
D’autres ouvertures de marchés sont prévues par les accords de libre-échange suivant la logique du libre marché. Malgré les expériences souvent négatives, la doctrine économique du libre marché domine la pensée et la pratique économiques en Suisse comme dans le monde.

Contre-offensive au moyen d’une initiative

Et maintenant, il existe une initiative qui veut rompre avec le tabou du libre-échange. Ce qui est remarquable, c’est que ses auteurs aient choisi une approche globale. Pour eux, il ne s’agit pas uniquement d’agriculture: en effet, ils soulèvent des questions fondamentales à propos du système économique actuel. Ils demandent une économie qui ménage les ressources, surtout les ressources locales, et prenne en considération les structures locales, sociales et économiques. Ils demandent que l’on protège l’économie locale. Il faut créer une culture de concurrence loyale et sans dumping (vente à des prix inférieurs aux coûts de production ou subventions de l’Etat visant à réduire les prix des produits d’exportation). Oui à la concurrence, mais pas au moyen d’offres attractives momentanées pour accéder au marché ou évincer du marché des concurrents gênants. La protection de la production locale, et donc des emplois et des places d’apprentis (y compris la protection du niveau des salaires et des prestations sociales) est une autre demande du comité d’initiative. En outre, ils proposent des instruments qui ont déjà fait leurs preuves par le passé (droits de douane, contingents d’importations). Il fut un temps où la protection de la production indigène et les droits de douane constituaient la base légitime des politiques économiques nationales dans le monde entier. Les recettes douanières servaient entre autres au financement du budget de l’Etat et réduisaient ainsi la charge des contribuables.
L’initiative exige des critères égaux pour tous afin de faire face à la concurrence. Les produits d’importation doivent répondre aux exigences concernant les produits suisses. Si l’on veut garantir la qualité des produits, on ne doit pas faire de compromis pour des raisons de prix et de concurrence. Il faut s’opposer de manière plus nette que ne le fait la Constitution actuelle à l’abus de pouvoir des grandes entreprises dominant le marché.
L’initiative populaire fédérale «Pour une économie utile à tous» nous offre une chance de réfléchir à l’orientation future de la politique économique et de trouver une réponse judicieuse aux questions suivantes: Quel rôle l’économie doit-elle jouer au sein de notre société? L’économie peut-elle s’affranchir de ses responsabilités envers le peuple ou fait-elle partie de notre société et doit donc contribuer à la résolution des défis sociopolitiques?
Abordons franchement ces questions et osons un débat approfondi sur une politique d’avenir.    •