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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°26, 5 juillet 2010  >  Décentralisé et proche du citoyen [Imprimer]

Décentralisé et proche du citoyen

Pourquoi les communes fonctionnent mieux en Suisse qu’ailleurs

par Gian Marino Martinaglia*

La Confédération suisse est répartie en trois niveaux: fédéral, cantonal, communal. La commune est la cellule fondamentale de cette structure fédéraliste. Elle est protégée juridiquement par la Constitution, en tant que communauté de citoyennes et citoyens. Du fait que chaque commune décide souverainement des objets qui la concernent, elle exprime son autonomie et exige ainsi une partie du pouvoir public qui lui revient en liaison avec le canton et la Confédération.
Ce caractère irremplaçable d’autonomie communale, qui ne se met pas en concur­rence avec le canton, permet un échange constant de perspectives et d’actions politiques et doit son existence à la conception de la démocratie directe et de la souveraineté du peuple.

Les éléments fondamentaux du modèle helvétique

L’assemblée communale est, selon la loi, le rassemblement des citoyennes et citoyens détenteurs de droits politiques pour s’oc­cuper des affaires de la commune. Elle est le législatif aux larges compétences: elle surveille, en particulier, l’administration commu­nale. Elle est convoquée en tant que rassemblement public et élit le conseil communal qui est l’exécutif. Tout citoyen a le droit d’y participer et d’être élu. Cette forme d’organisation communale est toujours en vigueur, même dans des communes d’une certaine importance.
Dans les villes et les communes d’une certaine importance, les compétences de l’Assemblée communale sont confiées à un Parlement composé de représentants de la population élus en fonction de l’impor­tance des tendances et des partis politiques. Les charges politiques sont renouvelées périodiquement, l’Assemblée communale et le Parlement étant soumis à la démocratie directe, notamment au droit d’initiative et de référendum.
Ce droit permet d’imposer des votations afin de modifier des lois ou des décisions de la commune. Le fait qu’il y ait des listes de citoyens indépendantes des partis poli­tiques montre bien la richesse de la vie politique dans les communes. Un autre signe de l’excellente qualité de la démocratie helvétique vient du fait que dans certains cantons les étrangers ont le droit de participer à la vie politique communale. L’institution des rassemblements publics est si populaire dans certains cantons que même les votations cantonales se passent sur la place publique en présence de l’ensemble des citoyennes et citoyens (Landsgemeinde).

La commune comme fondement de la participation

Les 2700 communes suisses réunissent les citoyennes et citoyens détenant les droits ci­viques. Comme dans une montre aux mul­tiples mécanismes, ils font partie de la ri­chesse variée et harmonieuse du pays.
La commune offre à ses membres la possibilité de comprendre la culture politique et d’y participer activement. Cela a pour conséquence que les habitants du lieu comprennent mieux la culture politique et y participent plus facilement. De ce fait les populations sont en mesure d’agir de façon solidaire et avec une conscience aiguë de leur force et de leurs limites. Elles comprennent aussi mieux les événements lointains dans leurs changements et leurs risques. Alors qu’auparavant les populations ne pouvaient prendre con­science que des événements proches, ils sont aujourd’hui en mesure d’en saisir ce qui se passe au niveau mondial. Mais du même coup, la vie quotidienne prend de l’ampleur et il apparaît important de participer au niveau local, en prenant des responsabilités, ce qui permet d’éviter de se sentir inutile et impuissant.

L’exemple d’une commune vivante

Cadro, une commune resplendissante au Tessin, avec une économie saine et bénéficiant d’une bonne gestion devait être absorbée par Lugano en passe de se centraliser et de s’étendre. Les conséquences n’étaient pas que de nature politique, mais touchaient aussi les affaires publiques et le domaine institutionnel qui souffre du fait de la mondialisation économique; il y a donc une certaine confusion politique et éthique. Le canton du Tessin a décidé une nouvelle loi qui lui donne le droit de modifier la structure des communes en les fusionnant et ainsi d’en diminuer le nombre. Un des aspects les plus controversés de cette loi est le droit d’obliger une commune à fusionner, même si elle s’y oppose (fusion obligatoire). La loi offre une grande liberté d’action aux autorités en imposant des procédures obligatoires sans possibilité de recours. La population ne peut plus que se prononcer de façon consulta­tive et ne détient donc plus le pouvoir décisionnel.
Cadro refusa dès l’abord cette procédure de fusion avec Lugano, ordonnée par le canton. La population remit au gouvernement cantonal une pétition, déposa un recours auprès du Tribunal administratif cantonal et finalement une plainte auprès du Tribunal fédéral. Le résultat en fut éclatant. Malgré la liberté d’action octroyée à la nouvelle loi, le résultat de la votation de la commune dut être respecté. Les citoyens et citoyennes avaient clairement dit non, malgré une propagande soigneusement orchestrée par les partisans de la fusion et malgré l’annonce d’avantages fiscaux. La défense de l’autonomie de Cadro fut remarquable et démontra clairement comment les habitants ont pu sauver leur commune grâce aux instruments de la démocratie directe.

Fusionnement à tout prix – non merci!

Eros Ratti, ancien inspecteur des com­munes tessinoises, un spécialiste avéré en la matière, tire le bilan suivant: «Au contraire de ce qu’on pourrait penser, le nombre de com­munes suisses ne se réduit que très lentement. Les fusions ne sont pas encore très fréquentes au nord des Alpes, on en discute beaucoup, mais la démocratie suisse ne permet heureusement pas de tout mettre sens dessus dessous facilement.»
Bien au contraire, puisque dans le canton de Vaud, où l’on trouve comme au Tessin une grande quantité de petites communes, il existe une législation qui favorise particulièrement la coopération. On obtient ce résultat par le fédéralisme, sous forme d’associations et de regroupements entre les communes. L’autonomie et l’indépendance des com­munes sont respectées. En 1999, la tentative du gouvernement argovien de faciliter par la loi les fusions échoua lors d’une votation populaire. Cela grâce aux activités d’un mouvement de citoyens. Une réforme du même type échoua aussi dans le canton de Schaffhouse. On ne parle guère de fusions dans d’autres cantons, notamment à Zurich; et il n’y a pas de lois y relatives.
Eros Ratti déclare: «Préférer des fusions ne va pas de soi. Il y a actuellement presque 2700 communes en Suisse (beaucoup plus que dans d’autres Etats européens de même grandeur). En 1860, il y en avait 3211, chiffre stable dans les quatre-vingts années sui­vantes. La structure des com­munes en Suisse est finement répartie: quatre com­munes sur dix ont moins de 500 habitants, plus de la moitié moins de mille habitants et seulement 4% en comptent plus de 10 000. La mo­yenne suisse se situe à environ 2300 habitants par com­mune; c’est la plus petite en Europe. On estime que le nombre relativement important d’habitants dans les cantons de Zurich ou de Suisse centrale explique le désintérêt pour les fusions. En revanche, il y a plus de fusions dans le canton de Fribourg du fait que les communes sont plus petites: la moitié d’entre elles compte moins de 500 habitants.» Dans le petit canton de Glaris, deux Landsgemeinde, dont une extraordinaire, ont ramené les 25 communes à trois.
Eros Ratti énumère les avantages d’une petite commune: «Elle permet de présenter une grande diversité de projets et offre des prises de décisions très variées. Elle garantit l’engagement direct des citoyennes et citoyens dans l’administration des questions les touchant de près. Elle réduit considérablement la délégation des compétences de prises de décision dans les mains de quelques-uns. C’est important du fait de la tendance affirmée de l’administration à étendre la bureaucratie et à centraliser au détriment des citoyens.
De plus, on sait pertinemment que l’efficacité d’une institution ne dépend pas de sa grandeur, mais de son accueil humain. Dans les petites communes les relations sont plus faciles avec les institutions, de même que l’application de décisions concernant les besoins des gens. A cette encontre, dans les grandes communes une grande partie des gens sont réduits à l’état de spectateurs auxquels tout pouvoir est enlevé. Savoir coopérer intelligemment offre le respect des li­mites communales; dès lors qu’une idée ou un projet dépasse ces limites, cela devient un fait intercommunal.»
L’ancien conseiller fédéral Georges-André Chevallaz a trouvé les mots pour caracté­riser l’une des grandes vertus du peuple suisse: «un refus physique du pouvoir». En Suisse, le pouvoir se dilue dans les trois niveaux fédéraux et dans le système basé sur le référendum et l’initiative, le peuple se reportant toujours au bien général, gardé par la souveraineté du peuple.
Cette œuvre politique et culturelle contient la semence précieuse qui permet le développement d’une culture européenne variée. Elle est l’opposé d’une tentative de centralisation et d’unification de cette grande variété de cultures. Elle soutient cette tendance certes exigeante, mais plus satisfaisante et offrant plus de perspective qui respecte les diver­sités. Chevallaz estimait qu’une démocratie purement arithmétique pouvait mener au totalitarisme.

La commune, c’est notre culture

Une Suisse, porte-drapeau de la commune et de la coopération par son fédéralisme, vivant de façon conséquente la coopération jusque dans les moindres détails, peut stimuler cette jeune Europe, désunie et donc très fragile. Cette fragilité lui vient du fait qu’elle manque d’expérience pour résister aux tourmentes et qu’elle n’est pas établie assez solidement pour envisager une véri­table union, cela étant le résultat du fait qu’elle a été fondée principalement sur une base écono­mique.
Il faudra développer de grands efforts pour réintroduire la primauté de l’éthique et du sens civique pour tous.    •

*    Gian Marino Martinaglia est entrepreneur dans la branche de l’énergie solaire. Il est l’âme de la résistance civile de la commune tessinoise de Cadro et fondateur de sociétés destinées à renforcer le sens civique tant du point de vue cantonal que national.

 Le texte ci-dessus a paru dans Jürgen Elsässer/Matthias Erne (éditeurs): Erfolgsmodell Schweiz. Direkte Demokratie, selbstbestimmte Steuern, Neutralität, 2010. (Texte légèrement abrégé)