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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°26, 4 juillet 2011  >  Que vont faire maintenant l’OMS et l’AIEA? [Imprimer]

Que vont faire maintenant l’OMS et l’AIEA?

Tchernobyl, 25 ans après

par le Dr Janette D. Sherman*

Le 26 avril 2011 marquera la 25e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl et pendant plus de 50 ans, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) se conforment à un accord consistant essentiellement pour les deux parties à se couvrir mutuellement, parfois aux dépens de la santé publique. Cet accord représente un compromis fragile entre la coopération et la complicité.
Signé le 28 mai 1959 lors de la 12e Assemblée mondiale de la santé, il stipule que «chaque fois qu’une des parties entreprend un programme ou une activité dans un domaine qui présente ou peut présenter un intérêt majeur pour l’autre partie, la première consulte la seconde en vue de régler la question d’un commun accord.» (art. I-3) En outre, «l’Agence internationale de l’énergie atomique et l’Organisation mondiale de la santé reconnaissent qu’elles peuvent être appelées à prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de renseignements qui leur auront été fournis. Elles conviennent donc que rien dans le présent accord ne peut être interprété comme obligeant l’une ou l’autre partie à fournir des renseignements dont la divulgation, de l’avis de la partie qui les détient, trahirait la confiance d‘un de ses membres ou de quiconque lui aurait fourni lesdits renseignements ou compromettrait d’une manière quelconque la bonne marche de ses travaux.» (art. III-1)
La mission de l’OMS est de s’occuper de la santé sur notre planète alors que celle l’AIEA est de promouvoir l’énergie nucléaire. A la lumière des défaillances survenues dans des centrales nucléaires, de nombreux scienti­fiques éminents et des responsables de la santé publique ont critiqué l’accord d’entente entre les deux organismes qui a fait obstacle aux efforts visant à étudier les effets de ces accidents à diffuser des informations sur la catastrophe de Tchernobyl afin que les dommages actuels puissent être documentés et les dommages futurs évités.
Lors du 20e anniversaire de Tchernobyl, l’OMS et l’AIEA ont publié leur Chernobyl Forum Report qui ne mentionnait que 350 sources, pour la plupart anglaises, alors qu’en réalité il existe plus de 30 000 publications et jusqu’à 170 000 sources consacrées aux conséquences de la catastrophe. Après qu’il eut fallu attendre deux décennies pour que les résultats des recherches sur Tchernobyl soient reconnus par les Nations Unies, un scientifique russe, Alexei Yablokov et deux biélorusses, Vassili Nesterenko et Alexei Nesterenko se sont mis à rassembler, résumer et traduire quelque 5000 articles dus à des scientifiques qui avaient directement observé les effets des retombées. Ces articles avaient été essentiellement rédigés dans des langues slaves et n’avaient pas été traduits. Le résultat de leur travail a été l’ouvrage «Chernobyl – Consequences of the Catastrophe for People and Nature», publié en 2009 par la New York Academy of Sciences.
La plus grande quantité de radioactivité est retombée à l’extérieur de la Biélorussie, de l’Ukraine et de la Russie européenne, s’étendant, à travers l’hémisphère nord, jusqu’en Asie, en Afrique du Nord et en Amérique du Nord alors que les plus fortes concentrations continuent d’affecter les personnes vivant en Biélorussie, en Ukraine et en Russie européenne.
Tout de suite après la catastrophe, les informations ont été limitées et la collecte des données a été retardée. L’OMS, appuyée par les gouvernements du monde entier, aurait pu faire preuve d’initiative et fournir des informations accessibles rapidement, mais elle ne l’a pas fait. Il en est résulté plusieurs conséquences: une surveillance insuffisante des niveaux de retombées, des retards pris dans la fourniture d’iodure de potassium stable aux personnes, l’absence de soins pour beaucoup de personnes et le retard pris dans la prévention de la contamination alimentaire.
Le nombre de victimes est la question la plus controversée entre les scientifiques qui ont recueilli des données de première main et l’OMS/AIEA qui estime le nombre de décès à 9000.
Les estimations les plus détaillées ont été effectuées en Russie en comparant les taux de décès dans 6 territoires contaminés avec les moyennes générales de Russie et avec celles de 6 zones moins contaminées, en maintenant semblables les paramètres géographiques et socio-économiques. Chaque zone comprenait 7 millions de personnes, ce qui a permis une analyse solide. Ainsi, ces données recueillies par de nombreux scientifiques ont permis d’évaluer le nombre de décès dus à la catastrophe de Tchernobyl entre 1986 et 2004 à 985 000, c’est-à-dire à 100 fois le chiffre avancé par l’OMS/AIEA.
Les maladies de la thyroïde ayant causé un nombre très élevé de victimes, Tchernobyl a montré aux Etats nucléaires – notamment le Japon, la France, l’Inde, la Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne – qu’ils devaient distribuer de l’iodure de potassium stable avant que ne se produise un accident parce qu’il doit être absorbé dans les 24 heures suivant l’accident. L’explication des effets des retombées radioactives réside dans la différence entre les radiations internes et les radiations externes. Tandis que ces dernières, rayons X, neutrons, rayons gamma ou cosmiques, peuvent provoquer des dommages et tuer, les radiations internes (particules alpha et bêta) ingérées ou inhalées, s’installent dans les tissus et libèrent une énergie destructrice au contact direct des tissus et des cellules, souvent tout au long de la vie de la personne, de l’animal ou de la plante.
Tous les systèmes de vie n’ont pas encore été étudiés mais parmi ceux qui l’ont été – oiseaux, poissons, amphibiens, invertébrés, insectes, arbres, plantes, bactéries, virus, humains – nombreux sont ceux qui ont présenté une instabilité génétique sur plusieurs générations et tous ont subi des changements dont certains étaient permanents et certains mortels. Les animaux sauvages et domes­tiques ainsi que les oiseaux ont développé des anomalies et des maladies semblables à celles des humains.
Avec une demi-vie approximative de 30 ans, le strontium-90 et le césium-137 mettent près de 3 siècles pour se désintégrer complètement, ce qui n’est rien comparé au plutonium-239 dont la demi-vie est de 24 100 ans.
Les coûts humains et économiques sont énormes: au cours de ces 25 années, les dommages économiques pour la Biélorussie, l’Ukraine et la Russie ont dépassé 500 milliards de dollars, La Biélorussie consacre environ 20% de son budget annuel, l’Ukraine jusqu’à 6% et la Russie jusqu’à 1% pour atténuer partiellement quelques-unes des conséquences de la catastrophe.
Lorsqu’un dégagement de radioactivité se produit, on ne sait pas quelle partie de la biosphère va être contaminée, quels animaux, plantes ou être humains vont être affectés; on ignore l’étendue et la durée future des dommages. Dans bien des cas, les dommages sont aléatoires: ils dé­pendent de l’état de santé des individus, de leur âge, de leur stade de développement ainsi que de l’importance et du type de contamination radioactive qui affecte les humains, les animaux et les plantes. C’est pourquoi l’aide internationale à la recherche sur les effets de Tchernobyl doit se poursuive afin de soulager les dommages qui persistent et augmentent même. L’information doit être transparente et accessible à tous, par-delà les frontières. L’OMS doit assumer une responsabilité indépendante vis-à-vis de la santé dans le monde entier.    •
(Traduction Horizons et débats)

*    Le Dr Jeannette D. Sherman est l’auteure de «Life’s Delicate Balance: Causes and Prevention of Breast Cancer and Chemical Exposure and Disease». Elle s’est spécialisée en médecine interne et en toxicologie. Elle a édité l’ouvrage «Chernobyl: Consequences of the Catastrophe for People and Nature, de A.V. Yablokov, VB. Nesterenko et A.V. Nesterenko, publié en 2009 par la New York Academy of Science. Elle s’intéresse principalement à la prévention des maladies grâce à l’éducation du public.
(Contact: toxdoc.js@verizon.net et www.janetttesherman.com)