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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°46, 21 novembre 2011  >  Les parcs naturels ne sont que de la propagande en faveur d'un projet néolibéral de l'UE [Imprimer]

Les parcs naturels ne sont que de la propagande en faveur d’un projet néolibéral de l’UE

par Erika Vögeli

Les parcs naturels ne sont pas un produit suisse mais un article importé de l’UE. Ils s’inscrivent parfaitement dans les stratégies des globalisateurs visant à démanteler les Etats nations. La privatisation est ici une notion clé: il s’agit d’arracher les ressources naturelles et les terres au contrôle légal des Etats ou des communes. Un autre principe clé consiste à priver les citoyens de leurs droits civiques car les privatisations d’une part et les structures supranationales d’autre part créent de nouveaux organismes qui exercent leur influence et prennent des décisions économiques en marge des droits politiques garantis par la Constitution dont on réduit la portée à des domaines de plus en plus restreints.
L’UE elle-même en est un excellent exemple: de plus en plus de lois ne sont pas édictées par les parlements nationaux mais élaborées par 27 commissaires non élus par le peuple et sous l’influence de 15 000 lobbyistes grassement payés appartenant à des grands groupes économiques et financiers ayant leurs bureaux à Bruxelles.
La stratégie des parcs naturels s’inscrit notamment dans un programme de l’UE visant à «développer l’espace rural» car ces projets sont nombreux dans les pays membres de l’UE. Et de même que pour les parcs naturels de Suisse, des agences de communication les présentent comme des moyens de protéger l’environnement, de développer l’économie et créer des emplois, d’instituer des labels permettant de mieux commercialiser les produits locaux, de promouvoir le tourisme.

Quand l’approche «de la base au sommet» est pilotée à partir du sommet

Les parcs naturels figurent sur un site web de la Commission européenne comme des exemples de groupes d’action locale. Ils sont destinés à mettre en pratique le concept LEADER («Liaison Entre Actions de Développement de l’Economie Rurale»). Cette procédure de Bruxelles, qui n’a rien de local, est destinée à «appliquer et financer ses stratégies de développement, lesquelles visent à promouvoir des partenariats entre les secteurs public et privé grâce à une approche multisectorielle allant de la base au sommet qui encourage la coopération locale et le réseautage.»1
Les groupes d’action locale font partie de réseaux nationaux qui intègrent tout ce qui participe à ce développement. Tout est centralisé dans le Réseau européen de développement rural dont la mission est d’appliquer de manière efficace les programmes de développement rural de l’UE.

Exploiter les ressources rurales

L’intérêt de l’UE n’est pas dépourvu de fondement. En effet, les zones rurales européennes représentent «90% du territoire et le développement rural est un domaine politique vital. L’agriculture et la sylviculture demeurent déterminantes pour l’exploitation des sols et la gestion des ressources naturelles dans les zones rurales de l’UE».2
Le seul fait que les groupes d’action locale soient liés, au travers de diverses struc­tures (LEADER, réseaux nationaux, réseau européen), à la politique de la Commission européenne révèle l’hypocrisie de cette présentation. Ce qui, au niveau communal, se présente comme des groupes d’action locale pratiquant une stratégie «de la base au sommet» ne sont que les derniers éléments d’une politique mise en œuvre par Bruxelles qui prétend promouvoir des solutions locales et être proches des citoyens alors qu’en réalité elle dépend de directives européennes qui risquent de constituer des traquenards entraînant des procédures juridiques coûteuses pour l’économie locale.

«Unification», notion destinée à cacher la mise à l’écart des citoyens et la centralisation

Un document intitulé «Politique régionale – Union européenne – Parcs naturels sans barrières» nous apprend comment l’on procède à l’éclatement des frontières nationales. «Des territoires géographiquement voisins mais séparés par une frontière ont entrepris un rapprochement susceptible d’aller jusqu’à une unification plus facile à envisager qu’à réaliser».3 La notion trompeuse d’«unification» signifie en réalité ceci: Ce qui relevait jusqu’ici de la législation des communes, des districts, des cantons et des Etats doit être démantelé et, pour prendre l’exemple des parcs naturels, soumis aux décisions de groupes d’action ou d’associations supranationaux privés qui sont soumis, au travers de réseaux et d’une dépendance financière, à des directives de l’UE.

Démantèlement de la démocratie

Si l’on examine la création des parcs na­turels en Suisse, on constate que la procédure est pratiquement la même partout. En l’absence de financement européen, c’est le Trésor public fédéral qui intervient. Et comme dans la stratégie LEADER, les communes, institutions de droit public, sont intégrées dans une association de droit privé qui constitue un niveau nouveau qui – et c’est un fait capital pour la Suisse – échappant aux processus de la démocratie directe. On crée des structures que la population ne peut plus contrôler politiquement. Certes, les citoyens des communes concernées peuvent, pour ce qui concerne les parcs naturels, voter sur l’adhésion au parc, mais c’est la dernière fois qu’ils ont la possibilité de se prononcer. La procédure est la même que celle des conférences et associations métropolitaines, dépourvues de légitimité politique, des zones urbaines du Plateau. Ce sont des membres de l’exécutif des villes et des communes concernées qui décident du programme de la région bien que cela relève de la compétence constitutionnelle de la Confédération et les cantons qui sont soumis aux droits de référendum et d’initiative. Avec ces nouvelles entités, on crée un niveau politique supplémentaire qui s’arroge une compétence décisionnelle non prévue par la Constitution fédérale et les constitutions cantonales. Ce niveau intermédiaire, qui n’est pas contrôlé démocratiquement, produit ou copie alors, en collaboration avec d’autres organismes semblables et parfois avec des sections d’offices fédéraux qui encouragent ces initiatives – en ce qui concerne les parcs naturels, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) – des directives, des dispositions, des ordonnances, etc., tout à fait comme l’UE.
Le fait que des «organismes paraétatiques» privés se chargent de missions étatiques restreint le rôle de l’Etat et entame un processus de privatisation insidieux. Sans être officiellement membre de l’UE, nous bricolons ici à différents niveaux des structures qui, exactement comme ailleurs, obéissent à des concepts néolibéraux et la soif d’«exploitation des sols et de la gestion des ressources naturelles» pourrait nous amener un jour à privatiser les voies de transports et les ressources en eau.

Appâts financiers datant d’une période d’euphorie

La Suisse n’a pas besoin d’un tel concept. Et surtout pas dans une période de crise car pour développer de telles structures, il faut de l’argent, parfois beaucoup d’argent, par exemple pour les études de faisabilité. Les projets de parcs naturels ont été élaborés à une époque où les caisses fédérales étaient pleines. Or maintenant, les conséquences de la crise financière et économique se font sentir: les recettes fédérales vont considérablement diminuer et, après le financement des études de conception et de faisabilité, il n’y aura probablement plus d’argent, si bien que les autres dépenses devront être supportées par les communes et les cantons.

Revenons à la raison

Depuis des décennies, nous prenons soin de la nature et du paysage. S’il s’agit vraiment d’encourager les zones rurales, pourquoi ne pas penser par exemple au Fonds d’aide aux investissements destiné aux régions de mon­tagne? Ayant amassé dernièrement 1,5 milliard de francs, il a permis d’accorder d’innom­brables prêts sans intérêt pour la construction d’infrastructures qui ont toujours été remboursés par les communes. Ce Fonds a été dissous suite à la nouvelle politique régionale. Va-t-on l’utiliser maintenant pour financer les projets de parcs naturels, mais cette fois sans remboursements? Jusqu’à ce que les caisses soient vides? Et après? Les communes vont-elles devoir passer à la caisse ou allons-nous brader notre espace de vie à des investisseurs privés?
Rappelons-nous nos valeurs et nos expériences. Abandonnons la croyance erronée selon laquelle tout ce qui est nouveau est en soi préférable. Avec le Fonds d’aide aux investissements, la Suisse a fait des expéri­ences très concluantes. Plutôt que d’adopter des projets de l’UE qui sapent la démocratie, revenons à cette solution typiquement suisse et durable.
D’ailleurs, le canton d’Uri, par exemple, avec ses théâtres populaires auxquels toute la population, des écoliers au Landamann, participait et qui rencontraient un écho enthousiaste auprès des spectateurs, aurait offert quelque chose de plus judicieux et de plus original que des ordonnances sur les parcs copiés sur l’UE et qu’un développement de l’embrouillamini des labels. En outre, ces initiatives, au lieu d’abandonner la jeunesse à l’influence de l’american way of life destructeur de culture, donnent l’occasion de lui confier des activités plus utiles et de lui faire comprendre leur importance pour la commune et l’intérêt général en plus de lui transmettre des connaissances générales, notamment historiques.     •

1 http://ec.europa.eu/agriculture/rur/leaderplus/index_fr.htm
2 http://enrd.ec.europa.eu/rural-development-policy/introduction/fr/introduction_home_fr.cfm
3 http://ec.europa.eu/regional_policy/projects/stories/details_new.cfm?pay=DE&the=79&sto=1515&lan=9&region=ALL&obj=ALL&per=
2&defL=EN 

Le château d’eau du pays est en jeu

hd. Subitement, des «parc naturels» se mettent à pousser en Suisse comme des champignons. Il existe environ 30 projets répartis sur l’ensemble du pays. On cherche à appâter les citoyens en leur promettant une meilleure protection de la nature. Dans ce domaine, l’Union européenne n’a-t-elle pas assez à faire sur son propre territoire? Pourquoi l’imiterions-nous?
La population suisse aime tellement la nature qu’elle risque d’en oublier bientôt la vie réelle, par exemple celle des paysans. Les présentations de projets de parcs dans des brochures sur papier glacé ont un relent d’économie financière néolibérale: On n’y trouve plus ni Suisse ni citoyens mais seulement des bipèdes dociles luttant pour leur survie, le tourisme occupant la première place et subordonnant tout le reste. Pour qui, en fait? Pour des oligarques russes, des cheikhs arabes, une classe supérieure chinoise dont on dit qu’elle aime beaucoup la nature? Ces messieurs les conseillers nationaux et les conseillers aux Etats qui ont la haute main sur ces projets devront bientôt répondre à la question de savoir s’ils veulent faire de nous autres Suisses un peuple de prostitués au service des 20% plus riches de ce monde.
Derrière le dos de l’ensemble de la population, tout le château d’eau de la Suisse sera peu à peu loué puis vendu. La protection de l’environnement sert d’appât. On ruine les paysans afin qu’ils n’aient plus ni le temps ni la force de résister, car leur famille devra exercer un second métier à temps partiel ou à plein temps.
Aujourd’hui, comme dans diverses communes des Grisons, de la Suisse centrale et orientale, des votations sur l’adhésion à un «parc naturel» sont imminentes, il est urgent d’attirer l’attention de la population et des politiciens communaux sur ce dans quoi ils risquent de s’aventurer. Nous citoyens des communes n‘avons pas le droit de vendre notre territoire national à Bruxelles selon la stratégie des petits pas. Il est encore temps de songer aux conséquences et de dire non. Ce ne sera bientôt plus possible.

La bureaucratie du «parc naturel» abuse de notre force de travail
Entretien avec Christian Oesch, agriculteur, ancien maire et député au Grand conseil, Eriz
Christian Oesch: En tant que citoyen bien implanté et ancien maire d’Eriz, je parlerai tout d’abord de l’inauguration d’un vieil immeuble rénové à Eriz. Monsieur Steiner, planificateur du Parc naturel du Lac de Thoune-Hohgant, était présent. Je lui ai dit qu’un tel cube ne convenait pas à notre paysage. Il a répondu qu’avec le parc naturel il n’y aurait plus seulement des baraques du genre châlet d’alpage d’à côté, mais qu’il y aurait un changement dans notre vallée, quelque chose de nouveau.
Et puis ils privent les gens de leur argent. Le citoyen ne remarquera rien du tout des effets bénéfiques des centaines de milliers de francs de contributions. Ma femme fabrique des objets artisanaux en laine de mouton, de nombreux produits, allant du chapeau jusqu’aux babioles. Elle les vend dans la boutique du parc. Sur tous les produits vendus dans la boutique, les producteurs doivent céder 20%. Imaginez ceci: Vous produisez et vendez quelque chose et vous devez céder 20% des recettes. Et en plus, vous êtes responsable de la gestion de la boutique une demi-journée par semaine sans être rémunéré. A mon avis, c’est donc paradoxal de prétendre qu’il y aurait un flux d’argent vers la région.
Aucun argent n’arrivera dans la région, sauf pour les planificateurs et le bureau.
Et les gens actifs, qui veulent vendre leurs saucisses et leurs travaux à l’aiguille, doivent encore payer en plus pour cela!
S’il y a nécessité, je viendrai encore aujourd’hui à l’assemblée communale pour prendre position contre le parc naturel. Car nous voulons veiller à pouvoir maintenir notre belle nature, dans laquelle nous avons grandi, et qui vaut toujours d’être protégée, au lieu de donner de l’argent aux planificateurs qui arrivent dans notre région sans rien apporter à nos citoyens.