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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°47, 12 novembre 2012  >  «Au Bade-Wurtemberg, les critiques fusent concernant les réformes du système scolaire prévues par le gouvernement vert-rouge» [Imprimer]

«Au Bade-Wurtemberg, les critiques fusent concernant les réformes du système scolaire prévues par le gouvernement vert-rouge»

par Karl Müller

L’article de Heike Schmoll (cf. page 5) que la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» a publié le 25 octobre est d’importance fondamentale pour toute l’Allemagne, ainsi que pour d’autres Etats européens ayant depuis longtemps un bon système scolaire, comme par exemple la Suisse et l’Autriche.
Ce qui est actuellement imposé à divers endroit, sous prétexte de vouloir améliorer le système scolaire dans le sens d’une école plus conforme aux enfants et apte à affronter les défis de l’avenir, est une gigantesque tricherie. En réalité, on veut massivement abaisser le niveau des écoles étatiques et ouvrir les portes à la privatisation des écoles, sous couvert de fausses théories et de la pression des marchés financiers, et des investisseurs ayant des milliards à leur disposition.
La stratégie pour y parvenir consiste d’abord à prétendre qu’on ne veut que le meilleur pour tous les enfants et adolescents et que, pour atteindre cela, il faut entièrement transformer le système scolaire actuel. Puis on se montrera très surpris des conséquences catastrophiques des changements imposés et on en rejettera la responsabilité sur d’autres, pour finalement dispenser l’Etat de la responsabilité de mettre à disposition de tout le monde un bon système scolaire, bien que cette responsabilité soit fixée dans l’article 7 de la Loi fondamentale allemande.

On a voulu très rapidement créer des faits accomplis par une action concertée

Le fait que ce soit un Land allemand tel le Bade-Wurtemberg qui est actuellement à la «tête du mouvement» est particulièrement grotesque, quand on sait que ce Land avait jusqu’à présent un système scolaire étatique très efficace dans toutes sortes de domaines. Mais, le nouveau gouvernement vert-rouge du Land, sous son ministre-président Winfried Kretschmann, semble avoir profité de l’état de choc, dans lequel se sont trouvés la CDU et le FDP après les élections parlementaires perdues en mars 2011, pour créer très rapidement des faits accomplis par une action concertée.
Action concertée veut dire: la politique du gouvernement vert-rouge n’est qu’un maillon d’une chaîne de plans et d’intérêts plus larges qui ont – politiquement et matériellement – des dimensions européennes et internationales. Beaucoup de ce qui doit être réalisé actuellement au Bade-Wurtemberg et ailleurs provient des Etats-Unis et a été adapté à l’Europe par l’OCDE.
Dans les affaires courantes politiques, on travaille à cet effet avec divers trucs et finesses. Le ministre-président vert, par exemple – après avoir réalisé l’opposition qu’avait provoquée la politique d’avance en force de sa ministre de l’Education et des Affaires culturelles – a soudainement parlé d’un future système scolaire à deux piliers (écoles communautaires [Gemeinschafts­schule] et lycées) pour tenter ainsi d’apaiser les lycées qui sont toujours encore très influents dans le Land.

Toute école sensée et tout établissement scolaire convenablement dirigé sont menacés

Le fait est cependant qu’il ne s’agit pas en premier lieu de la question d’un système scolaire de culture générale à un, deux ou trois piliers, c’est-à-dire de relancer l’ancien débat de la «Gesamtschule», mais maintenant toute école sensée et tout établissement scolaire convenablement dirigé sont menacés de dissolution.
C’est pour cette raison qu’on aspire à une hétérogenisation radicale de la population scolaire à l’intérieur des écoles et des niveaux scolaires (le dernier slogan du gouvernement du Land pour ses écoles est – on ne peut pas être plus plat – «La diversité rend plus malin» [«Vielfalt macht schlauer»]). Le nouveau «modèle pédagogique» sert également ce but en utilisant des mots-clés tels «individualisation», «apprentissage autonome», abolition des classes d’école et de l’enseignant avec ses tâches, et la responsabilité pédagogique qu’il avait jusqu’à présent.
Dans ce contexte, on néglige complètement qu’il y a entre-temps un grand nombre d’études scientifiques qui prouvent l’importance du rapport entre l’organisation de l’enseignement et la réussite scolaire. L’étude la plus complète dans ce domaine est sans doute la méta-analyse publiée en 2009 par John Hattie et intitulée «Visible Learning». Dans un rapport de recherche concernant cette analyse sur l’enseignement réussi, on peut lire: «Un tel enseignement est décrit comme ‹instruction directe› et est bien plus efficace que les méthodes ouvertes tels l’apprentissage par exploration, par problèmes et les pédagogies actives ou constructivistes». Puis: «Les résultats montrent que l’enseignement actif dirigé par un enseignant est plus efficace qu’un cours dans lequel l’‹appreneur› n’intervient qu’indirectement en tant que guide, animateur ou tuteur». Et on lit aussi ceci: «Ce sont surtout les élèves faibles qui échouent plus souvent avec les formes d’apprentissage ouvertes parce que les ‹cartes géographiques› cognitives pour l’organisation autonome de leur apprentissage leur manquent, car ils sont trop laissés à eux mêmes et obtiennent trop peu de soutien pour pouvoir s’orienter. Pour cette raison ils ont besoin d’être ‹dirigés› plus étroitement et à intervalles d’instructions plus courts.»*

La fondation Bertelsmann s’en mêle

Mais, de telles prises de conscience inquiètent apparemment peu les stratèges politiques. Et là aussi il se manifeste clairement que les politiciens vert-rouge de ce Land ne sont que le maillon d’une chaîne. L’allusion à la nouvelle étude présentée fin octobre par la fondation Bertelsmann, qui prétend que dans le système scolaire allemand, il y aurait trop peu d’élèves promus et trop d’élèves relégués, devrait suffire pour se rendre compte.
Le bilan révélateur de cette étude est que «les écoles doivent organiser leur enseignement selon le principe pédagogique du soutien individuel et que les enseignants doivent acquérir les compétences nécessaires au cours de leur formation primaire et de leur formation continue». En opposition au courant dominant dans les médias, l’Association des enseignants allemands [Deutscher Lehrerverband], a caractérisé le 31 octobre cette nouvelle étude de la maison Bertelsmann d’«extrêmement tendancieuse et sans aucune valeur». L’étude aurait été faite par des personnes qui «militent en faveur de l’idéologie de l’école communautaire, c’est-à-dire de la Gemeinschaftsschule». Le fait que notamment les écoles professionnelles offrent d’excellentes perspectives d’avancement à un grand nombre d’élèves a été tu par Bertelsmann.
L’article de Schmoll met à jour les plans du gouvernement du Land vert-rouge d’engager un professeur unique pour le niveau secondaire I (de la 5e à la 10e année scolaire dans tous les types d’école) et de n’utiliser plus qu’un plan d’études unique pour toutes les écoles du degré élémentaire selon le modèle «pédagogique» des écoles communautaires.

Critiques émises par l’Union des directeurs de lycées

Là aussi, le gouvernement du Land procède de manière concertée. La preuve en est la réaction des médias au Bade-Wurtemberg au sujet d’un communiqué de presse très critique de l’Union des directeurs de lycées du Land du 19 octobre. Presque aucun média du Land n’a mentionné les critiques sérieuses émises par cette importante association.
Sinon, le public aurait appris que les «directions des lycées du Bade-Wurtemberg jugent la réforme des plans d’études présentés comme néfastes» et que «la réforme commencée maintenant, en association avec les autres changements imminents du système scolaire, met sérieusement en danger la pérennité et l’avenir de nos lycées […]». Les directeurs de lycées ont ajouté: «[Le ministère de l’Education] ne cache même pas que la dissolution partielle des types d’écoles suite à l’élaboration du nouveau plan d’études est voulue.»
L’opposition politique au Landtag [parlement] du Bade-Wurtemberg a également critiqué le projet de ne créer plus qu’un plan d’études pour toutes les écoles d’enseignement général: «Il n’y a plus aucune recommandation pour l’école primaire, il va y avoir un seul plan d’études commun et il est prévu de défendre toute relégation [«Abschulungsverbot»], ce qui signifie que les lycées deviendront des écoles communautaires, peu importe ce qui est écrit sur le panneau de la porte.» Cela correspond à un «attentat contre les lycées». Et nous ajoutons: un attentat contre toutes les écoles publiques.

On attaque les parents avec des techniques manipulatrices …

Le gouvernement du Land vert-rouge tente – par des techniques manipulatrices (l’utilisation abusive de termes à résonances positives) – de faire gober aux parents son projet d’école communautaire et l’adaptation du système scolaire tout entier à ce «modèle». On n’arrête pas de répéter que les écoles communautaires sont «égalitaires», «démocratiques» et «performantes». On promet aux parents que c’est uniquement dans une telle école que leur enfant peut être encouragé individuellement et de manière spécialement adaptée à sa personnalité et à ses performances. Dans des brochures et des films publicitaires du ministère de l’Education, mais aussi dans de nombreux compte-rendus de médias qui en font l’apologie, l’école communautaire est présentée comme le paradis pédagogique sur terre: absolument conforme aux enfants et en même temps entièrement dans l’intérêt de l’avenir du Bade-Wurtemberg.
On fait pression sur les parents des élèves les plus faibles [Hauptschüler] pour qu’ils acceptent cette école communautaire (jusqu’à présent il n’y a que très peu de collèges [Realschule] et de lycées qui ont opté pour devenir une école communautaire). On leur présente la «Hauptschule» (le niveau scolaire le plus bas) comme n’ayant plus aucun avenir, au contraire de l’école communautaire qui offre toutes les chances à leur enfant. Avec l’élimination de la recommandation de promotion des enseignants au début de l’année scolaire passée, le ministère a lui-même fait en sorte que les «Haupt­schulen» ne trouvent plus assez d’élèves.

… mais, l’opposition grandit

Les tentatives de manipulation du gouvernement du Land n’ont pas de succès quand les citoyens sont bien informés. Au Bade-Wurtemberg, les initiatives de parents d’élèves et de citoyens sont maintenant très actives. Heike Schmoll y a aussi rendu attentif. A juste titre, la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» a écrit le 23 octobre: «L’opposition contre les réformes du système scolaire prévues par le gouvernement vert-rouge grandit au Bade-Wurtemberg.»    •

* Toutes les citations sont tirées de: Ulrich Steffen, Dieter Höfer: Was ist das Wichtigste beim Lernen? Die pädagogisch-konzeptionellen Grundlinien der hattieschen Forschungsbilanz aus über 50 000 Studien, 12/9/11; in: SchulVerwaltung, Ausgabe Hessen/Rheinland Pfalz, 16 (2011), Heft 11, S. 294–298