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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°20, 14 mai 2012  >  La fin de partie afghane donne des frissons au Pakistan [Imprimer]

La fin de partie afghane donne des frissons au Pakistan

par Brian M. Downing*

La guerre en Afghanistan se trouve dans une impasse depuis plusieurs années et les yeux se tournent vers un règlement négocié. Ces dernières semaines, des entretiens entre les Etats-Unis et les talibans ont eu lieu, puis ils ont cessé, mais ils reprendront certainement.
Quelque bienvenus que soient ces entretiens bilatéraux, ils ne tiennent pas compte des intérêts vitaux d’acteurs régionaux comme la Russie, la Chine, l’Inde, l’Iran, et peut-être surtout le Pakistan. Ils vont tous faire valoir leurs intérêts, directement ou indirectement, intelligemment ou maladroitement. L’armée et les Renseignements généraux pakistanais (ISI) ont une influence considérable sur les talibans et sur beaucoup d’autres groupes militants le long de la Ligne Durand qui sépare l’Afghanistan du Pakistan. Ayant coupé les voies d’approvisionnement des forces américaines et de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) à travers leur pays, ces organismes de sécurité pakistanais ont l’impression d’avoir habilement acculé les Etats-Unis.
Les généraux occuperont une position de force lorsque les négociations reprendront, mais on ne sait pas s’ils l’utiliseront habilement et ce qu’apporteront les négociations. Les négociations et le règlement pourraient poser des problèmes importants aux généraux et à leurs bases de Rawalpindi.

Généraux et mollahs

Les talibans ont fait leur apparition au milieu des années 1990 dans la situation chaotiques qui régnait après le retrait des Soviétiques en 1989 et de l’effondrement du gouvernement communiste en 1992 quand d’anciens groupes de Moudjahidines constitués d’étudiants de madrasas (séminaires) se rassemblèrent pour combattre les seigneurs de la guerre et les bandits. Leur succès leur valut le soutien de nombreux Afghans lassés de la guerre et aussi de généraux pakistanais. Ces derniers recherchaient un partenaire stratégique dans le Nord qui éliminerait l’influence indienne et sauvegarderait le commerce avec les nouvelles républiques d’Asie centrale et les ports du Pakistan. Les généraux et les mollahs partageaient un mélange de croyances religieuses et politiques, enseignées dans des madrasas de Deobandi, qui étaient opposées aussi bien aux Hindous qu’aux chiites et donnaient une aura religieuse aux forces de sécurité pakistanaises. En réalité, les soulèvements de 1979 contre le gouvernement soutenu par les Soviétiques furent largement orchestrés par l’armée pakistanaise en collaboration avec la CIA. Cela entraîna l’invasion soviétique et des décennies de guerres intermittentes et d’instabilité.
Les généraux sont en mesure d’exercer des pressions sur les talibans en cessant de les approvisionner, en arrêtant des membres du Conseil de leur groupe à Quetta et à Karachi ou, plus drastiquement, en signalant aux Services de renseignements américains les endroits où se trouvent leurs chefs, et en attendant l’inévitable. Les généraux vont sans doute rechercher un règlement qui rétablit l’hégémonie pakistanaise en Afghanistan et le commerce lucratif avec l’Asie centrale. Ils insisteront pour que les talibans respectent rigoureusement leur programme anti-Hindous et fassent en sorte que l’Inde soit chassée du Nord ou du moins qu’elle se limite aux entreprises qui profitent au Pakistan, comme l’exportation de minerai via Karachi.
L’Inde a obtenu le soutien des peuplades non-pachtounes du Nord qui détestent les talibans et voient que le Pakistan apporte son soutien à l’insurrection et à la campagne d’assassinats contre les chefs du Nord. L’Inde sera soutenue par la Russie qui cherche à faire échec aux militants islamiques le long de la Ligne Durand et à l’influence chinoise en Asie centrale.
L’Iran va également soutenir l’Inde qui considère les talibans comme une secte sunnite liée à l’Arabie saoudite avec laquelle elle rivalise pour la suprématie dans le golfe Persique.
Cela pourrait signifier que les intérêts du Pakistan, tels qu’ils sont interprétés et défendus par les généraux, vont compliquer les négociations et peut-être même les conduire dans une impasse. Une autre question qui pourrait les compliquer sinon les faire échouer est la question du Cachemire, qui est essentielle pour le nationalisme pakistanais. On affirme dans les médias et on enseigne dans les écoles que l’Inde a volé les régions du Cachemire, actuellement contrôlées par New Delhi, et que le Pakistan doit arracher la totalité du Cachemire à la domination de l’Inde. Peu d’historiens hors du Pakistan sont d’accord avec cette idée et peu de Cachemiris souhaitent échanger la domination indienne contre celle du Pakistan. Mais peu importe: le Cachemire est une idée fixe des Pakistanais.
Détacher le Cachemire de la domination indienne est un véritable credo dans l’armée pakistanaise. Il se mêle à des notions d’honneur institutionnel et de mission nationale, ce qui renforce la ferveur à son endroit. L’armée forme différents groupes militants pour qu’ils opèrent au Cachemire et mène des opérations de diversion pour faciliter leur infiltration à travers la frontière. Elle a mené deux guerres au sujet du Cachemire, en 1965 et en 1971, et les a perdues toutes les deux, ce qui a introduit dans son credo le désir de venger une humiliation.
Il ne fait pas de doute que les généraux considèrent leur soutien aux talibans, leur étranglement des voies d’approvisionnement américaines et leurs pourparlers avec la Chine comme des manœuvres remarquables qui amèneront un règlement de la question du Cachemire à leur avantage. L’échec augmenterait leur déshonneur. En outre, cela pousserait les groupes de militants entraînés à libérer le Cachemire à se retourner contre leurs soutiens étatiques. Beaucoup de membres de ces groupes, comme Lashkar-e-Toiba, sont si zélés que lorsque les généraux leur conseillent la retenue, ils demandent à être libérés et vont jusqu’à exprimer leur colère en attaquant des généraux et des politiques pakistanais.

L’ascendant pachtoune

Malgré toutes leurs affinités stratégiques et religieuses, les talibans et les généraux de Rawalpindi sont des entités différentes dont les intérêts se recoupent, du moins pour le moment, mais ne sont pas identiques. Il se peut que des fissures soient déjà apparues. Il y a deux ans, le Pakistan a arrêté et mis en détention une poignée de chefs talibans soupçonnés d’être sur le point d’engager des pourparlers non autorisés avec les Etats-Unis.
L’inquiétude du Pakistan à propos de la présence de l’Inde dans le Nord pourrait dépasser celle des talibans, malgré leur hostilité à l’égard des Hindous. Cela pourrait conduire à une attitude plus dure que ne le souhaite la Shura [Conseil] des talibans. Le Pakistan pourrait vouloir que les ressources afghanes soient acheminées de préférence en mer d’Oman à partir de ses ports plutôt qu’au nord vers la Russie ou à l’ouest vers l’Iran et imposer de lourdes taxes de transit.
En outre, les généraux pakistanais considèrent les zones du Sud et de l’Est du Pakistan contrôlées par les talibans comme une forteresse en cas de guerre avec l’Inde et vont chercher à y être présents. Ils vont considérer ces provinces comme une sorte de région autonome fortement influencée par les quartiers généraux de Rawalpindi.
Les talibans ont été considérés à tort par presque toutes les puissances comme des idiots du village pachtounes sans expérience du monde qui les entoure. Or leurs communiqués habiles et leurs campagnes efficaces prouvent le contraire. Le Pakistan pourrait être le dernier pays à ne pas les prendre au sérieux.
Les trois dernières décennies de luttes des populations non-pachtounes contre des armées étrangères leur ont apporté des relations plus importantes et conféré une identité pachtoune plus forte. Les Pachtounes d’Afghanistan ont combattu les Russes, les Tadjiks, les Ouzbeks, et maintenant les Américains et leurs alliés bien qu’ils se soient aussi combattus entre eux.
Certaines tribus pachtounes ont combattu aux côtés des Russes contre les Moudjahidines, se sont alliées plus tard à l’ancienne Alliance du Nord contre les talibans et soutiennent maintenant le gouvernement d’Hamid Karzai, à Kaboul, qui est soutenu par l’Occident. Toutefois, les talibans ont rassemblé un nombre assez important de tribus dans le Sud et l’Est par des pourparlers, par la force ou parce que c’était inévitable.
Les Pachtounes du Pakistan qui habitent la région frontalière voient leur langue supplantée de force par l’ourdou [langue officielle du Pakistan] dans les journaux et les écoles, ce qui provoque un ressentiment ethnique. Beaucoup de tribus pachtounes au sud de la Ligne Durand se sont révoltées contre la présence d’Islamabad et son alliance avec les Etats-Unis. Elles ont créé le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), organisation qui s’est opposée à l’armée pakistanaise et mène régulièrement d’épouvantables attaques à la bombe.
Les guerres ont conduit à des pourparlers et à des alliances tribales qui ont fourni une sorte d’objectif commun aux tribus disparates qui composent la nation pachtoune des deux côtés de la frontière. Les talibans ne constituent pas actuellement un mouvement nationaliste pachtoune bien que leur mouvement soit très peu soutenu par les populations non-pachtounes du Nord et que leurs plus grands ennemis intérieurs soient leurs «compatriotes» non-pachtounes, ce qui provoque un ressentiment nationaliste.
Les talibans prétendent être un mouvement islamiste situé au-delà des revendications mesquines et des préjugés terre-à-terre du tribalisme et du nationalisme. Cependant un règlement du conflit les soumettrait au contrôle officiel d’au moins quelques régions pachtounes et les forcerait à lutter contre les revendications mesquines et les préjugés terre-à-terre là-bas. L’idéologie islamiste ne fournit pas de conseils judicieux quand il s’agit d’améliorer les récoltes, de développer les ressources minières ou de trouver des voies pour les exportations.

L’intégrité territoriale du Pakistan

La frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan est une création arbitraire des Britanniques qui est délimitée de manière sporadique et rarement respectée. Les vieux Pachtounes et les membres de la classe moyenne se souviennent de l’opposition violente mais impuissante de l’Afghanistan contre l’octroi de terres pachtounes au Pakistan. Ils estiment qu’elles font partie intégrante de l’Afghanistan et qu’elles leur ont été injustement arrachées par l’armée britannique il y a longtemps et détenues aujourd’hui par les cipayes [soldats de l’armée britannique à l’époque coloniale]. Nombreux étaient ceux qui préféraient faire partie de l’Inde dominée par les Hindous que du Pakistan dominé par les Pendjabis.1
Après la partition de l’Inde en 1947, les gouvernements afghans ont encouragé la création d’un Pachtounistan indépendant comprenant ce qui est maintenant le Khyber Pakhtunkhwa (anciennement Province de la frontière du Nord-Ouest), zone tribale sous administration fédérale et, curieusement, le Baloutchistan, situé à l’ouest du Pakistan. Les Baloutches ne sont pas des Pachtounes. Kaboul a simplement misé sur le ressentiment des Baloutches d’avoir perdu leur autonomie au profit du Pakistan.
Le Pakistan voit dans les aspirations des Pachtounes et des Baloutches un double danger. Le Baloutchistan connaît déjà un faible niveau d’insurrection contre l’administration pakistanaise, insurrection provoquée par la mainmise sur les ressources minières et une dure répression. Les attaques baloutches ont été une des raisons pour lesquelles la Chine était peu favorable à la construction d’une base navale à Gwadar et au développement de projets économiques bien que le Baloutchistan soit riche en or et en hydrocarbures.
Des demandes afghanes persistantes, un mouvement pachtoune de plus en plus important et des Etats-Unis de plus en plus hostiles et peut-être désireux de se venger inquiètent le Pakistan car le Khyber Pakhtunkhwa et le Baloutchistan représentent environ 60% de la superficie du pays. Et l’intégrité territoriale constitue la plus grande préoccupation depuis que le Pakistan a, en 1971, perdu l’Est du Pays (aujourd’hui le Bangladesh).
Ces préoccupations ont peut-être poussé l’armée pakistanaise à désapprouver le déploiement de forces américaines dans les provinces du Sud de l’Afghanistan, juste au nord du Baloutchistan, lors de l’accroissement de leurs effectifs («surge») en 2009. L’armée pakistanaise a protesté, estimant que cela pousserait les forces talibanes vers le Baloutchistan, ce qui nécessiterait le déplacement de troupes de la frontière indienne vers le Baloutchistan.
Dans la mesure où l’armée pakistanaise ne combat que les talibans pakistanais et non pas les talibans afghans, les protestations révèlent une inquiétude au sujet des attaques américaines contre les refuges des talibans au Baloutchistan et au sujet des liens possibles entre les Etats-Unis et les séparatistes baloutches bien qu’hors de Rawalpindi, on juge cela improbable.
Fait paradoxal, mais tout à fait compréhensible dans le contexte des craintes sécuritaires du Pakistan, l’armée craint aussi que les bandes de talibans qui ont trouvé un refuge sûr au Baloutchistan se découvrent des affinités avec les séparatistes baloutches. Cette crainte en provoque une autre: les Pachtounes et les Baloutches pourraient faire dissidence et offrir leur propre voie commerciale entre l’Asie centrale et la mer d’Oman, hors du contrôle pakistanais, par un Gwadar baloutche et non un Gwadar pakistanais ou par Karachi.
Des ressentiments et des espoirs anciens pourraient conduire à un Pachtounistan unifié, du moins en principe, et comprenant les deux côtés de la Ligne Durand. On se demande avec grand intérêt et grande inquiétude s’il va constituer une partie autonome du Pakistan, comme le Khyber Pakhtunkhwa, ou de l’Afghanistan, ou encore un Etat complètement autonome.
Des membres plus astucieux du Haut Conseil taliban ne peuvent pas ignorer la situation du Pakistan et ce qu’elle présage pour l’avenir de leur mouvement après un règlement du conflit. Le Pakistan est instable, à cause surtout des talibans pakistanais mais aussi des antagonismes ethniques, de l’immense pauvreté ainsi que les généraux et des politiques pendjabis incompétents. Les autres Etats de la région ne font pas confiance au Pakistan et même la Chine revient sur sa coopération militaire et économique.
Ainsi, le Pakistan sera moins utile aux talibans une fois qu’on sera parvenu à un règlement. Les talibans savent qu’ils n’ont pas réussi à développer le pays pendant leur règne et que cela a provoqué du mécontentement, des insurrections sporadiques et un manque de soutien public qui est apparu nettement lorsque les Etats-Unis sont intervenus et les ont évincés en peu de temps. Les talibans vont chercher un soutien international plus large que celui que le Pakistan peut ou veut leur apporter.
Il est peu probable que les Etats-Unis puissent profiter des tensions entre les talibans et le Pakistan, quelque bienvenues qu’elles soient. Quelques soient les réserves que les talibans formulent à l’égard du Pakistan, elles sont beaucoup moins importantes que leur hostilité à l’égard des Etats-Unis qui ont occupé leur pays pendant plus d’une décennie et ont tué un grand nombre de leurs combattants et de civils. Cependant les Etats-Unis peuvent leur apporter une aide économique et pourraient peut-être même, dans certaines circonstances, les aider à créer une région pachtoune autonome à l’écart des habitants du Nord du Pakistan et inquiétante pour les généraux pakistanais.

Perspective d’un retrait américain

Le Pakistan devrait également s’inquiéter des conséquences d’un règlement qui évincerait les Etats-Unis. Plus le départ des Américains serait humiliant plus il pourrait inquiéter les généraux pakistanais.
On critique les Etats-Unis parce qu’ils apportent à leur allié supposé une aide militaire de 1,7 milliard de dollars et une aide économique de 1,5 milliard. Une réduction, voire peut-être la suppression de l’aide militaire pourrait être dangereuse bien que l’assistance économique et des avantages commerciaux continueraient probablement d’aider le gouvernement civil dans sa lutte de pouvoir permanente avec l’armée. En outre, les Etats-Unis pourraient se rapprocher de l’Inde. Ces deux pays collaborent dans leurs efforts pour contrecarrer l’influence de la Chine le long des voies maritimes du transport du pétrole du golfe Persique et tous les deux considèrent le Pakistan avec méfiance.
Les généraux de Rawalpindi ont longtemps pensé que les relations triangulaires avec la Chine et les Etats-Unis leur donnent prise sur les deux grandes puissances et que les Etats-Unis n’exerceraient pas une trop forte pression sur eux de peur que les généraux n’abattent triomphalement la carte de la Chine. Or le haut commandement de Rawalpindi ne peut plus se fonder là-dessus. En effet, la Chine a abandonné son projet de base navale à Gwadar bien que cette ville ne soit qu’à 800 kilomètres du détroit d’Ormuz.
La Chine a également pris ses distances par rapport au financement d’un oléoduc Iran-Pakistan. C’était peut-être une concession peu enthousiaste aux sanctions occidentales contre Téhéran mais peut-être davantage une remise en cause de l’utilité du Pakistan. Le pays est la proie de diverses formes d’instabilité, dont la plus importante est le séparatisme de la province occidentale du Baloutchistan, où se trouve Gwadar, et par où passerait l’oléoduc. Les séparatistes baloutches s’attaquent souvent aux équipes d’ingénieurs pour limiter l’exploitation par le Pakistan. De plus, la Chine estime que le manque de confiance du Pakistan à l’égard des Etats-Unis pourrait un jour se diriger contre eux.
Un retrait d’Afghanistan, projet que soutiennent de nombreux pays, libérerait les Etats-Unis de la nécessité de harceler l’armée pakistanaise à propos de ses liens avec divers groupes de militants et de terroristes. Ce soutien international serait important. Le projet pourrait avoir été signalé récemment.
Les Etats-Unis offrent une prime de 10 millions de dollars à quiconque aidera à arrêter et à condamner Hafiz Saeed, le chef du Lashkar-e-Toiba (LeT), groupe de militants pendjabis responsable de l’attentat meurtrier de Mumbai en 2008. Le choix de LeT est essentiel car cet attentat pourrait être le premier en importance mondiale après ceux du 11-Septembre.
Il y a deux complices survivants de l’attentat, un conspirateur et un membre de l’équipe d’assaut. Ils ont tous les deux déclaré qu’ils avaient été aidés financièrement et formés par des officiers de l’armée pakistanaise. En outre, les liens de LeT avec al-Qaïda et avec les attentats de Londres de 2005 revêtent également une importance internationale. Les deux groupes opèrent côte à côte dans l’Est de l’Afghanistan, ont le même savoir-faire en matière d’assassinats et la même foi salafiste.
Saeed a recherché ouvertement un soutien populaire. Il opère librement au Pakistan sur la base bien équipée du LeT. Il n’a pas besoin de se cacher près d’une base reculée de l’armée et ses partisans n’ont pas besoin de se cacher dans les montagnes du Nord-Waziristan et du Paktia bien que certain le fassent. Sa posture publique prouve que LeT est toléré au Pakistan.
Ce dernier pourrait être considéré comme un Etat qui finance le terrorisme et faire l’objet de sanctions internationales bien qu’il faudrait une année pour monter le dossier à l’échelle internationale. Les conséquences désastreuses de ce genre de sanctions peuvent être observées à l’ouest, en Iran, et le Pakistan n’a pas de pétrole pour en atténuer les effets. Les généraux ont lieu de s’inquiéter de ce qui pourrait figurer sur les disques durs saisis par les Etats-Unis chez Oussama ben Laden à Abbottabad.

L’armée pakistanaise et ses satellites

La peur de sanctions ou leur imposition effective ainsi que d’autres pressions internationales ont pour but de contraindre l’armée pakistanaise à rompre avec ses groupes satellites le long de la Ligne Durand et à devenir une force professionnelle vouée à la défense du pays et respectueuse du droit international. Ce sera le retour du Pakistan dans l’ordre mondial. Bien que souhaitable et presque inévitable, cette rupture sera difficile et risquée.
Un règlement du conflit afghan conduira probablement le LeT et les groupes apparentés comme le Jaish-e-Mohammad à se retourner contre le Pakistan, en particulier si la question du Cachemire n’est pas résolue de manière satisfaisante, et il est très vraisemblable qu’elle ne le sera pas. Se sentant trahis, les groupes militants dirigeront leur attention vers l’armée, considérant leurs anciens mentors comme des traîtres.
Certains membres du LeT se sont déjà rendu compte que l’engagement en faveur de la cause du Cachemire faiblissait et ont participé aux tentatives d’assassinat de l’ancien président Pervez Musharraf. Les forces totales du LeT, les troupes basées dans l’Est de l’Afghanistan et dans beaucoup d’autres villes pendjabies seraient effrayantes si elles s’attaquaient à l’armée et à l’Etat. Des milliers d’officiers de l’armée pakistanaise, longtemps endoctrinés par la foi cachemirie, les soutiendraient.
Même en cas – peu probable – de résolution satisfaisante de la question du Cachemire, resterait le problème des fervents combattants entraînés qui sont encore sous l’emprise du militantisme islamiste et peu enclins à retourner à une vie civile peu attrayante. A cet égard, ils ressemblent aux Moudjahidines arabes après la guerre afghane de 1989 ou aux Touaregs après le renversement du colonel Kadhafi l’année dernière en Libye. Ils seront disponibles pour d’autres causes qui nécessitent leur savoir-faire particulier. Il est peu probable que le monde les repoussera.
Indépendamment de l’attitude du Pakistan à l’égard de ses groupes satellites, les pressions internationales vont s’exercer sur Islamabad non seulement sous la forme d’une rupture mais aussi d’actions engagées contre lui. De même, tout règlement du conflit afghan va impliquer que les talibans rompent avec différents groupes opérant dans l’Est de l’Afghanistan, s’ils ne tentent pas de les écraser. Qu’elle soit gagnante ou perdante en Afghanistan, l’armée pakistanaise devra un jour combattre les groupes meurtriers qu’elle a aidés à créer et qu’elle croyait pouvoir contrôler indéfiniment.    •

Source et ©: Asia Times Online (Holdings Ltd. 2012)
(Traduction Horizons et débats)

1 cf. Amin Tarzi, Political Struggles over the Afghanistan-Pakistan Borderlands. In: Shahzad Bashir and Robert D. Crews, eds. Under The Drones: Modern Lives in the Afghanistan-Pakistan Borderlands. (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 2012).

*Brian M. Downing est un analyste de la politique militaire et l’auteur de «The Military Revolution and Political Change» et de «The Paths of Glory: War and Social Change in America from the Great War to Vietnam». Son adresse électronique est brianmdowning@gmail.com.

«Brian M. Downing propose ici une analyse objective, correcte et honnête.»
Mohammed Daud Miraki, auteur de l’ouvrage «Afghanistan after Democracy».