Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°27, 7 juillet 2008  >  Arthur Bill – une vie sous le signe de l’engagement humanitaire [Imprimer]

Arthur Bill – une vie sous le signe de l’engagement humanitaire

par Lisette Bors et Eliane Gautschi

«L’existence au service des autres fait partie d’une existence remplie de sens: au service des êtres chers et des prochains,
mais également au service des démunis du lointain et d’encore plus loin. Si ceux-là deviennent les prochains, alors cela sert la paix sur terre.»
A 92 ans, Arthur Bill rayonne malgré quelques incommodités corporelles une joie de vivre et une énorme vitalité. Nous avons facilement entamé la discussion avec lui et il a rapidement anticipé sur notre première question relative aux racines et aux raisons de son engagement humanitaire intensif: «Les raisons reposent sur le destin de mes parents. Mon père était un Verdingkind (garçon placé). Quand il avait 8 ans, il a perdu son père. Ce dernier laissa alors 10 enfants orphelins de père. C’était une charge insurmontable pour ma grand-mère toute seule. Autrefois, il était très répandu de donner les plus jeunes enfants à des familles d’accueil. Theophil, mon père, a été placé chez un grand cultivateur à Münchenbuchsee. Il y avait à cela une raison particulière. Celui-ci avait prêté auparavant de l’argent à mon grand-père qui n’avait pas pu le rendre par la suite. Donc, l’enfant devait en tant que garçon placé en fait le rendre par son travail.
Theophil avait la vie dure. Il devait se lever très tôt le matin et aller chercher de l’herbe pour les vaches. Il avait toujours peur d’arriver trop tard à l’école et quand il arrivait là-bas, il avait déjà travaillé quatre heures. Bien qu’il ait été un bon élève, il n’a pas osé aller à l’école secondaire. Il aurait eu plus de devoirs et le cultivateur n’aurait pas été d’accord. Après sa scolarité, il a effectué un apprentissage en tant que sellier. Il nous racontait toujours quand nous étions petits quelle peur effroyable il avait quand il était enfant et de quelle manière il avait reçu le premier soir dans l’écurie une botte de paille sur laquelle il avait dû dormir pendant deux ans avant de pouvoir accéder finalement à la chambre des domestiques. Plus tard, il a épousé ma mère, une lingère. Elle aussi a souffert d’un destin semblable, son père, un enseignant, étant mort pendant l’épidémie de grippe en laissant neuf enfants derrière lui. Il n’a pas pu connaître le plus jeune des enfants, ma mère, parce qu’elle est née après sa mort. Elle aussi a été placée dans une famille d’accueil, mais contrairement à mon père, elle a eu la chance de tomber sur une «Pflegemüeti» (maman de remplacement) qui avait de l’expérience et qui était la bonté même. Ma mère a gardé un contact chaleureux et reconnaissant avec elle tant qu’elle vivait encore. J’ai donc appris par le destin de mes parents qu’on peut aborder et résoudre le même problème de manière différente. Mon père a raconté beaucoup sur cette époque de la fin du 19e siècle et cela m’a grandement impressionné. Plus tard, j’ai eu l’occasion de m’engager pour des enfants qui ont eu un destin semblable.»

Mon premier poste d’enseignant

«En 1932, j’avais fini ma formation d’enseignant au séminaire de Hofwil. J’avais été un bon élève et j’avais pensé que j’obtiendrais tout de suite un poste. J’ai remarqué bientôt que personne ne m’avait attendu et j’ai dû attendre cinq ans avant d’avoir un poste d’enseignant. C’était juste avant la guerre. A ce moment-là, je m’étais promis de ne jamais me plaindre en aucun cas d’un surcroît de travail. J’étais tellement reconnaissant quand j’ai eu enfin une place et je me suis tenu à ce principe ma vie durant, ce dont ma femme a pu aussi témoigner.
J’étais donc enseignant et ma commune m’a chargé de différentes fonctions. Une de celles-ci était de surveiller 16 enfants placés dans des familles d’accueil, ce qui arrivait à point pour moi. Une à deux fois par an, je devais visiter les familles d’accueil et voir comment allaient les garçons placés, c’était avant tout des garçons. Dans ma classe aussi, il y en avait trois. L’un d’entre eux arrivait toujours trop tard le matin et manquait la plupart du temps les leçons de calcul.
Cela m’inquiétait et je voulais savoir pourquoi il en était ainsi. Exactement comme mon père me l’avait raconté, lui aussi devait travailler quatre heures tôt le matin et arrivait alors épuisé à l’école. Il a refusé catégoriquement lorsque j’ai dit que je voulais parler avec son maître par peur que celui-ci le traite encore plus sévèrement. Je lui ai dit que c’était mon devoir d’agir, mais que je le ferais de manière qu’il n’y ait ni pour moi ni pour lui de mauvaises conséquences. En fait, ce grand cultivateur était mon supérieur en tant que Président de la commission scolaire. En ce temps-là, j’avais déjà appris un peu à être diplomate et il a compris mon souhait. Cela s’est bien déroulé et j’ai donc eu pour la première fois l’occasion de faire quelque chose pour les Verdingkinder. Ce fut le début de mes engagements humanitaires.»

Mon chemin au village Pestalozzi

Après la Seconde Guerre mondiale, on a construit à Trogen en Appenzell le village d’enfants Pestalozzi. Il était devenu le symbole de l’engagement humanitaire suisse. Arthur Bill a participé dès le début à la construction du village d’enfants. Dans ses descriptions, il nous a tracé une image impressionnante du temps passé: «C’était pendant la Seconde Guerre mondiale. J’étais dans l’armée de l’air. Nous devions toujours être en service, car nous nous attendions à une agression des Allemands. En septembre 1944, j’ai eu des congés. Comme beaucoup d’autres, j’espérais que je survivrais à la guerre sain et sauf, j’espérais la même chose pour notre pays. Je voulais donc, je me l’étais promis, non seulement aider à la défense, comme jusqu’à ce moment-là, mais aussi à la reconstruction. A la maison, j’ai trouvé dans mon courrier un numéro du magazine DU avec un article de Walter Robert Corti. Il y émettait l’idée de fonder dans notre pays un village pour les enfants souffrants. Un village, dans lequel des orphelins de guerre dont les pères avaient combattu l’un contre l’autre, pourraient être élevés dans un esprit de coopération internationale pacifique. J’ai lu l’article et j’ai dit à ma femme: ‹C’est exactement ce que je ­cherche!› J’ai écrit lors du Nouvel An au secrétariat que cela m’intéresserait de coopérer. J’ai attendu longtemps avant d’avoir une réponse. En 1946, la maison des Français devait être aménagée en premier; on nous a demandé si nous voulions être des parents de maison. Pour nous, il n’en était pas question car le concept du village d’enfants Pesta­lozzi prévoyait que les parents de maison devaient venir du pays d’origine des enfants afin qu’ils puissent transmettre la langue et la culture correspondante. Après six mois, on avait accueilli les Français et les Polonais. Lorsque la maison pour les orphelins de guerre venant d’Hambourg devait être aménagée, la situation était tout autre; pour les parents de la maison française et de la maison polonaise du village, il était encore impensable de vivre et de travailler avec des adultes allemands qui avaient fait tant de mal dans leurs pays. C’est ainsi qu’on nous demanda si nous étions prêts à prendre provisoirement la responsabilité d’une maison. Nous avons accepté et notre fille aînée a eu d’un jour à l’autre 16 frères et sœurs.»

Le travail dans le village d’enfants

Dès lors et pendant 25 ans, Arthur Bill a été actif avec sa femme au village d’enfants ­Pestalozzi. Après peu de temps déjà, il a pris la responsabilité de créer l’école et est devenu directeur de village: «Nous avions à cette époque une situation idéale pour la construction du village d’enfants. Les pays nous confièrent volontiers les enfants, nous nous donnions de la peine et ils devenaient des êtres raisonnables qu’on reprenait volontiers. Cela correspondait également aux condi­tions de la police des étrangers pour leur séjour. Les enfants étaient accueillis gratuitement au village Pestalozzi. Tout était organisé dans le sens d’une coopération au développement.
Afin que les enfants puissent plus tard faire fructifier leur savoir dans leur pays d’origine et entretenir le contact international, nous faisions attention lors du choix qu’ils soient aptes à être formés. Au fil du temps, il y avait de plus en plus d’orphelins sociaux parce qu’il n’y avait plus de guerre.
J’avais de mon temps beaucoup de collaborateurs motivés. Beaucoup avaient vécu eux-mêmes la guerre et s’étaient en partie trouvés face à face comme ennemis. Ils s’étaient souvent promis de faire quelque chose pour la reconstruction s’ils survivaient à la guerre. C’est ce qui les motivait à travailler au village Pestalozzi. Nous avions à cette époque une situation exceptionnelle.
Ma femme était naturellement toujours partie intégrante de ma vie, sans elle, tout cela n’aurait pas été possible. Mais j’ai aussi beaucoup appris de mes enfants. Aujourd’hui, mes filles disent qu’elles n’auraient pas pu avoir une éducation plus intéressante. Elles sont ouvertes au monde et ne sont en aucune manière devenues racistes. Elles n’ont remarqué la valeur de cette éducation que plus tard seulement.»

Soutenu par le peuple suisse

«Le village Pestalozzi à Trogen était soutenu par le peuple suisse. J’ai toujours bien informé la presse, ainsi nous avons obtenu beaucoup de dons et de legs. Finalement, nous avons obtenu pour la première fois un don de 250  000 francs du gouvernement suisse lorsque le village a fêté son 25e anniversaire. Le village Pestalozzi à Trogen a été possible avant tout grâce au soutien et à l’intérêt de la commune de Trogen. Il y a six mois, j’ai pu saisir l’occasion de faire part de mes remerciements à la commune et aux gens de Trogen dans le cadre d’un service religieux. Je les ai remerciés pour deux choses: D’abord pour le fait que la commune en 1946 a vendu le terrain à la fondation pour 60 centimes le mètre carré, c’est seulement comme cela qu’il a été possible de créer le village. Ensuite pour le fait que les enfants du village Pestalozzi ont eu l’honneur de monter la plus grande cloche de cette église. Cela a été un grand honneur.»

 Protéger la liberté – pouvoir être actif dans le domaine humanitaire

«Beaucoup de gens trouvaient que mon engagement pour le village d’enfants et ma carrière militaire – j’étais pilote militaire, plus tard commandant d’escadron et ensuite commandant de régiment – étaient en contradiction. Pourtant, ce n’était pas le cas! Pour cela, il faut savoir que dans les années 30, beaucoup d’éléments indiquaient clairement que les Nazis voulaient aussi conquérir la Suisse. Ce que leur domination aurait signifié pour notre pays, nous le savions tous. Beaucoup de jeunes gens disaient à ce moment-là: Nous ne voulons pas de guerre! Et en tant que soldats, nous défendions le maintien de la liberté et de l’indépendance de notre pays. Nous voulions rester ce que nous étions et continuer à être actif dans le domaine humanitaire dans un pays libre. Et puis, la guerre a coûté la vie à 60 millions de soldats et de civils. Lorsque la guerre fut terminée, nous étions heureux d’avoir pu préserver notre pays du pire. C’est alors que je voulais faire quelque chose pour la reconstruction dans les pays dévastés par la guerre. Les deux domaines de ma vie étaient de ce fait dominés par les mêmes buts humains.»

Le travail dans le Corps suisse d’aide humanitaire (CSA)

A l’occasion de la visite de remerciements pour le don du gouvernement suisse au profit du village d’enfants, on a demandé à Arthur Bill s’il voulait organiser le Corps suisse d’aide humanitaire (CSA). Auparavant déjà, il avait été actif, à côté de ses activités au village d’enfants, dans différents territoires en crise ou en guerre et il avait assemblé des expériences dans le domaine de l’aide humanitaire sur place. La création du Corps suisse d’aide humanitaire était prévue depuis longtemps mais plutôt en relation avec la Croix Rouge. Cela n’a pas été facile pour Arthur Bill de prendre la décision de quitter le village d’enfants. Après de longues hésitations, il accepta.
Après son départ de Trogen, Arthur Bill s’occupa en tant que délégué du Conseil fédéral de la construction et de la direction du Corps suisse d’aide humanitaire. C’était entre 1972 et 1981 et plus tard entre 1986 et 1988. Sous la devise «Neutralité et solidarité», on voulait marquer le pas et à côté de la Croix-Rouge, qui était avant tout active au niveau de la santé, on voulait aider au moyen de la reconstruction, du transport, de la nourriture etc. des pays qui étaient touchés par des guerres, par la pauvreté et des catastrophes naturelles. Dans un travail de construction minutieux, Arthur Bill développa une première conception pour l’engagement du Corps suisse d’aide humanitaire. «J’avais à disposition une secrétaire et deux collaborateurs. C’étaient de bonnes personnes. Après deux ans, nous étions effectivement prêts. Nous avions commencé en 1974, et en 1975 nous étions prêts à débuter. La première intervention fut lors de la catastrophe du Sahel près du lac Tchad. Nous étions d’abord 20 à 30 personnes, ensuite 100. Après avoir d’abord récolté beaucoup de lauriers, nous avons reçu une volée de critiques dans les journaux. Quatre de mes collaborateurs sont venus me voir et m’ont demandé: ‹Que fait-on maintenant?› Une partie des critiques étaient justifiées, une autre seulement partiellement et la dernière pas du tout. J’ai dit: ‹Je reconnaîtrai la critique là où elle est justifiée!› Un supérieur d’une commission latérale a dit: ‹Un chef ne reconnaît jamais de lui-même qu’il a commis des fautes.› J’ai répondu: ‹Je suis un chef qui admet quand il a fait quelque chose d’erroné, il faut que vous le sachiez. Là où cela n’est que partiellement vrai, je dirai ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, mais je l’expliquerai. Pour les critiques injustifiées, je me défendrai comme le diable. Mais j’expliquerai là aussi pourquoi.› C’était bien, après on nous a laissés tranquilles, ils nous ont trouvés tout à fait raisonnables et nous avons bien sûr tiré la leçon de ces erreurs.
Lorsque je suis parti à la retraite à 65 ans, j’ai encore aidé à trouver un successeur. Plus tard, on me demanda encore si je pouvais faire un remplacement pour deux ou trois mois. Celui-ci a duré deux ans. Ensuite, j’ai reçu la mission en tant que chargé spécial du département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) d’accompagner la Namibie sur le chemin de l’indépendance. A 74 ans, je suis parti une deuxième fois à la retraite.»

Les trois phases de la vie – trois livres

«Quand j’ai eu 80 ans, je me suis dit que j’avais eu une vie vraiment intéressante et je voulais écrire là-dessus. Je m’étais penché sur les réflexions du père jésuite français, Teilhard de Chardin. Il a conçu l’existence humaine en trois phases:
La première phase est la phase du ‹je›, dans laquelle nous devons devenir quelque chose nous-mêmes. Dans la deuxième phase, la phase du ‹tu›, il s’agit de se tourner vers les autres pour les aider etc.
Ces phases se recoupent. Finalement, quand on est âgé ou assez sage, cela ne coïncide pas forcément, alors la phase du ‹ce› commence, dans laquelle on pourrait être curieux de savoir quel sens tout cela avait, c’est l’interprétation. J’ai écrit trois livres correspondant à ce développement en commençant par ‹Helfer unterwegs› (Secouristes en route) qui décrit la phase du ‹tu›, car c’est ce que je trouvais le plus important. ‹Fliegerlatein› (Histoires d’aviateur) traite de ma phase du ‹je› et enfin dans le troisième livre ‹Von Menschen und Orten› (A propos des êtres et des lieux), il s’agit du temps de ma vie que Teilhard de Chardin nomme la phase du ‹ce›.»

Visions et perspectives

Arthur Bill est resté attaché tout le temps de sa vie au village d’enfants Pestalozzi. Après son départ, il est venu quand il s’agissait d’entreprendre quelques modifications du concept en face desquelles il était sceptique. Ainsi, le nombre d’enfants dans les maisons a été réduit de moitié. On voulait aussi laisser aux enfants le libre-choix, soit de rester en Suisse soit de retourner dans leur pays. Parmi les maisons des nations, la maison du Tibet continue d’être conduite selon l’idée initiale. Aujourd’hui en partie, des enfants étrangers qui vivent en Suisse et qui sont tiraillés entre leur culture d’origine et leur nouvelle culture sont également accueillis. Des cours pour les classes scolaires et pour les adolescents du monde entier dans lesquels ils sont initiés à l’entente internationale constituent un point important dans l’activité du village Pesta­lozzi.
Pour Arthur Bill, les idées fondamentales initiales ont de nouveau gagné de l’actualité: l’idée de l’entente internationale vécue comme contribution à la paix. «J’avais de mon temps à Trogen très tôt l’idée qu’il devrait y avoir davantage de villages d’enfants comme celui de Trogen. Un existait déjà à Wallwies en Allemagne, qui accueillait surtout les enfants venant des Länder allemands et peu d’enfants étrangers. Un autre a été créé en Angleterre pour les enfants venant du pays ou d’anciennes colonies, et un autre encore en Inde. L’échange entre les villages a été pour moi très important. Nous avions un journal en commun dans lequel nous échangions nos expériences professionnelles. Mon idée était de continuer là-bas et de former d’autres lieux semblables à Trogen, de vivre l’entente des peuples sur ces lieux. Peut-être que cette idée sera reprise.»
Le concept des maisons des nations était de donner la possibilité aux orphelins de guerre du monde entier de se remettre des frayeurs de la guerre dans un pays sûr, mais en même temps de rester intégrés à leur culture et, grâce à leur formation à Trogen, ils devaient retourner plus tard dans leur pays pour pouvoir apporter une contribution importante. Ce concept est pour Arthur Bill de nouveau actuel: «Des millions d’enfants sont devenus orphelins par les guerres et ils n’ont plus de pays natal. On pourrait accueillir des enfants d’Afghanistan ou d’Irak dans le village d’enfants. Jusqu’à présent, personne n’a pu m’expliquer de manière logique, pourquoi cela ne va pas. Ils pourraient par exemple ouvrir une maison pour les Grecs et une pour les Turcs: je sais aussi que les Albanais enverraient volontiers leurs enfants. Il est bien entendu qu’il est important d’aider sur place, en particulier les petits enfants doivent pouvoir trouver d’abord racine dans leur pays natal. Plus tard, ils pourraient venir pour un trimestre ou pour plusieurs années au village d’enfants en vue apprendre et vivre la coopération internationale. Je peux m’imaginer que cela a un avenir, mais je dois avouer que les projets décrits ne sont pas faciles à réaliser.»

Prendre au sérieux les difficultés

Tout comme pour «son» village d’enfants Pestalozzi, Arthur Bill prend une part active aux questions de la jeunesse d’aujourd’hui que nous lui posons: «Il s’agit donc des difficultés de la vie. La visite de Martin Buber avec sa nièce au village d’enfants me revient à l’esprit. Il était très enthousiasmé. Nous lui avons dit qu’à côté de la joie, il y avait aussi des problèmes et nous lui avons demandé si nous pouvions lui poser quelques questions. J’ai commencé: ‹Savez-vous, vous êtes enthousiasmés, mais nous avons souvent à faire à de gros problèmes. Comment doit-on agir avec les difficultés?› Je constatai que cette question lui plaisait particulièrement. Il répondit: ‹Là, je peux dire quelque chose! On ne doit pas essayer de résoudre les difficultés tout de suite, d’y couper court ou de les glisser sous le tapis. On doit prendre les difficultés au sérieux, les admettre, se pencher sur elles, trouver les raisons. Car celles-ci sont les étapes d’un prochain développement.› J’ai retenu cela et j’ai constaté qu’on arrive souvent à de nouvelles solutions à travers les difficultés. Les problèmes de la jeunesse d’aujourd’hui sont des difficultés de notre temps à prendre au sérieux. Là aussi, il ne s’agit pas de les bloquer par des interdictions ou d’autres mesures, mais on doit les aborder et en premier lieu, on doit parler avec les jeunes gens, de manière répétée et avec une grande patience. Peut-être qu’il y aura une amélioration ainsi avec le temps. Cela fait partie des tâches actuelles qui valent la peine. L’union de l’école et de la maison parentale est importante. L’enseignant doit pouvoir parler avec chaque couple parental en adoptant un comportement interrogateur: qui sont les parents? On doit trouver un chemin commun. On doit aussi comprendre la jeunesse. Les difficultés qu’elle a montrent qu’il faut aborder un problème d’urgence. Quand nous étions jeunes, on devait lutter pour notre existence. Aujourd’hui, beaucoup de choses tombent dans les mains des jeunes, ils ne sont plus obligés de se donner de la peine. On devrait faire en sorte qu’ils se trouvent des tâches qu’ils puissent résoudre, et même d’exiger d’eux qu’ils ne fassent pas seulement quelque chose pour eux-mêmes mais aussi pour les autres. Alors, il y aura un changement au cours du temps. Ces exemples existent heureusement, on devrait mieux les faire connaître. On devrait faire ce que Pestalozzi disait: ‹Encourager les jeunes là où ils savent faire quelque chose, ils développent alors des forces pour combattre leurs faiblesses.›»
Après cet après-midi-là, nous sommes rentrées à la maison enrichies, et motivées, justement face aux questions urgentes actuelles. C’est à notre génération de se soucier de l’héritage qu’Arthur Bill et ses collaborateurs nous ont laissé et de continuer à le développer.
«L’avenir repose dans les mains de ceux qui donnent à la jeunesse des raisons convaincantes de vivre et d’espérer.» (Teilhard de Chardin)    •


Arthur Bill a vécu toute sa vie selon la maxime citée plus haut qui témoigne d’une éthique élevée et d’un attachement humain profond. Aujourd’hui, à 92 ans, il peut avec une fierté justifiée et une satisfaction intérieure regarder en arrière et dire qu’il a maîtrisé tous les devoirs de la vie avec tout son cœur, avec un esprit clair et une prévoyance sage. Arthur Bill a été actif pendant plus de 25 ans avec sa famille au village d’enfants Pestalozzi à Trogen et a marqué de manière décisive pendant très longtemps celui-ci en tant que directeur de village pour une longue durée. Pour beaucoup d’enfants et d’adolescents qui ont passé quelques années au village Pestalozzi, il était un modèle comme démontré de manière impressionnante dans le film «Ein Lied für Argyris» [une chanson pour Argyris] à l’instar d’Argyris Sfountouris.
A la suite de son temps à Trogen, Bill a fondé le Corps suisse d’aide humanitaire et a ainsi contribué une nouvelle fois à la création d’une institution humanitaire importante.
Nous avons lu le livre d’Arthur Bill «Helfer unterwegs» [Secouristes en route] et nous avons été très impressionnées par ses réflexions et son œuvre. C’est pourquoi nous lui avons demandé si nous pouvions lui rendre visite pour le connaître personnellement.

Le village d’enfants Pestalozzi à Trogen
Cela veut être un village où des enfants, des adolescents et des précepteurs de différents pays et cultures peuvent trouver le voisinage et la communauté. Celle-ci les fait vivre le commun et l’humain en général comme élément de construction d’une petite communauté des nations en allant au- delà de ce qui sépare au niveau de la langue, de la foi et de l’origine.
Arthur Bill
eg./lb. Il y a 60 ans, juste après la Seconde Guerre mondiale, le 28 avril 1946, les assistants volontaires commençaient à construire les premières maisons du village d’enfants Pestalozzi, au-dessus de Trogen dans le canton d’Appenzell. Les âmes des gens étaient ébranlées par la misère terrible que la guerre avait laissée. On voulait faire quelque chose pour diminuer les souffrances et pour en empêcher d’autres. L’idée de l’écrivain et du philosophe Walter Robert Corti (1910-1990) de Winterthur était de construire un village pour les enfants souffrants de la guerre, qui avaient perdu pendant l’horreur de la Seconde Guerre mondiale leurs parents et leurs chez-soi. Dans la revue mensuelle culturelle DU, il publiait, en août 1944, l’article «Un village pour les enfants souffrants». L’écho des bienfaiteurs et des assistants dans la Suisse entière fut si grand qu’on put bientôt commencer à construire le village. Des pédagogues, des psychologues et des personnalités importantes comme Elisabeth Rotten (1882-1964), Marie Meierhofer (1909-1998) et l’architecte Hans Fischli (1909-1989) ont travaillé pour le village d’enfants à côté de nombreux collaborateurs de beaucoup de pays. Arthur Bill et son épouse Berta dirigèrent le village pendant 25 ans de 1947 jusqu’en 1973 avec beaucoup d’engagement. Au cours des décennies suivantes on construisit 25 maisons où des enfants de pays dévastés par la guerre trouvaient un nouveau chez-soi. Ils vivaient ensemble dans une famille avec une hôtesse et un hôte qui provenaient de leur patrie. Pendant l’école primaire les enfants étaient instruits dans leur langue maternelle dans les différentes écoles. Les enfants devaient ainsi garder les racines de leur culture et de leur langue. Dans les classes supérieures, on enseignait les enfants de toutes les nations ensemble. Le but en était de donner aux enfants et aux adolescents de différentes nationalités une possibilité de s’entendre mutuellement comme contribution à la paix. Lors de leur retour dans leur patrie, – ceci appartenait à la conception du village d’enfants pendant les premières décennies –, ils devaient pouvoir contribuer à la reconstruction et au développement de leur patrie par leur formation personnelle et professionnelle.
Aujourd’hui, le centre de gravité du travail du village d’enfants est plutôt dans des projets dans des pays du tiers monde, où l’on fait du travail de reconstruction avec les organisations partenaires après des catastrophes naturelles ou lors des guerres. A Trogen au village d’enfants, il existe aussi une offre de cours où les classes peuvent apprendre la collaboration internationale.
Aujourd’hui, le concept approfondi du village d’enfants des temps de la fondation gagne de nouveau de l’actualité – à côté de l’aide directe sur place. Dans un monde secoué par des guerres, il ferait sens de donner aux enfants une nouvelle patrie pour quelques années où ils pourraient se remettre du vécu et recevoir une formation ingénieuse et bonne. Par l’expérience humaine de la communauté des nations, au-delà de tout ce qui sépare au niveau de la langue, de la foi et de l’origine, il y a le désir de paix qui relie les hommes, et l’on pourrait faire un pas vers un monde plus paisible.
Sources et bibliographie:
Corti, Walter Robert. Ein Dorf für die leidenden Kinder. In: DU, August 1944.
Corti, Walter Robert. Der Weg ins Pestalozzidorf. Kinderdorf Pestalozzi, 1992 [1955].
Schmidlin, Guido. Gesammelte Schriften: Ein Dorf für die leidenden Kinder. Das Kinderdorf Pestalozzi in den Jahren 1949 bis 1972 mit Arthur Bill als Dorfleiter. Bern 2002. ISBN 3-258-06470-9.
Bill, Arthur. Helfer unterwegs. Bern 2002.
ISBN 3-7272-1323-X.
Bill, Arthur. Fliegerlatein. Geschichten aus ­70 Jahren Schweizer Fliegerei. Bern 2003.
ISBN 3-7272-1274-8.
Bill, Arthur. Von Menschen und Orten. Begebenheiten, Begegnungen, Betrachtungen. Bern 2006. ISBN 10-7272-1279-9.
Bill, Arthur und Argyris Sfountouris. Das Kinderdorf Pestalozzi in Trogen und sein griechischer Dichter. Bern 1996. ISBN 3-258-05384-7.
Bill, Arthur. Worte zum Abschied vom Kinderdorf Pestalozzi in Trogen. 1973.
Knoblauch, Urs. Allen Kindern im Krieg gewidmet. 60 Jahre Kinderdorf Pestalozzi. Ein Beispiel der
humanitären Schweiz. In: Zeitfragen Nr. 13/14
vom 3.4.2007
Rapports annuels de la fondation du village
d’enfants Pestalozzi
Film «Ein Lied für Argyris», 2006, Produktion
Fontana Film GmbH.