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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°50/51, 4 janvier 2010  >  Le fossé entre le Nord et le Sud ne sera comblé qu’avec honnêteté [Imprimer]

Le fossé entre le Nord et le Sud ne sera comblé qu’avec honnêteté

Le livre de Jean Ziegler «La haine de l’Occident»

thk. Ceux qui connaissent Jean Ziegler, le professeur combatif, actuellement membre du Conseil consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève connaissent également son éloquence et son intrépidité quand il désigne les malaises et les injustices. Il se peut qu’il ne soit pas toujours au-delà de toute exagération, attitude qui est peut-être liée à la nature de son engagement qui mérite pourtant tout notre respect. En sa qualité de Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, il s’est non seulement fait une renommée au sein des pays en développement mais aussi sur le plan international, car c’est grâce à son engagement que les nombreuses victimes de la crise alimentaire dans les pays pauvres du monde entier ont obtenu une voix au sein de la communauté internationale. Il fustige aussi bien l’égoïsme sans bornes du néo-libéralisme moderne, représenté notamment par l’OMC et la Banque mondiale, que le système inhumain qui règne en Chine communiste. Partout où les droits de l’homme ne sont pas respectés, Jean Ziegler élève sa voix.
C’est également le cas dans son récent ouvrage intitulé «La haine de l’Occident». Il y explique de manière impressionnante pourquoi une collaboration fructueuse entre le Nord (les pays industrialisés) et le Sud (les soi-disant pays en développement) n’a pas vraiment été possible jusqu’à nos jours.
Ceux qui suivent les débats au Conseil des droits de l’homme, et qui ont compris avec stupeur que la condamnation du gouvernement du Sri Lanka pour de graves violations des droits de l’homme face à la minorité tamoule a échoué à cause du véto des pays en développement, trouveront des réponses dans le récent ouvrage de Ziegler.
L’auteur y expose l’histoire de l’impéria­lisme des Blancs en remontant jusqu’à l’époque sinistre de la Traite des esclaves. A cette époque-là des millions d’Africains furent capturés, enlevés à leurs familles et expédiés outre-mer. Ceux qui survécurent aux conditions exécrables de ces transports, furent réduits à vivre une vie misérable en tant que serfs d’un propriétaire de mine ou d’un grand propriétaire terrien, s’il est permis de parler de vie. Rares ont été les maîtres d’esclaves à éprouver une compassion humaine et à se comporter en personnes civilisées.

Aucune excuse des pays industrialisés

La liste de ces humiliations, commises par les Blancs, est longue, preuve en est la nature des traces que les soi-disant pays développés ont laissées en Afrique, en Asie, en Amérique latine et ailleurs dans le monde.
La tentative de la Communauté internationale de soigner ces blessures lors de la Conférence internationale de l’ONU sur le racisme de Durban échoua face à l’arrogance du Nord et de l’Occident et aboutit, comme le dit l’auteur, «dans le désastre». Les pays victimes méritant la réparation des crimes commis dans le passé, se heurtèrent à un Occident réfutant toute responsabilité et répondant aux revendications des pays victimes avec indignation et ignorance.

La double morale occidentale face aux droits de l’homme

Dans différents chapitres, Ziegler règle ses comptes avec différents Etats et leurs crimes contre l’humanité, notamment le Royaume Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis, la France, et l’Union européenne. Il ne mâche pas ses mots et accuse l’insupportable double morale des gouvernements face aux droits de l’homme et la manière de les imposer. Le cas de la France en dit long. La France ayant sévi terriblement, du temps de l’impérialisme, dans les colonies maghrébines, n’a pas pu, jusqu’à nos jours, se résoudre à avouer sa culpabilité et accepter son devoir de réparations. L’exemple cité par l’auteur quant au président français le montre de toute évidence. En 2007, à Dakar, Sarkozy a dit devant des centaines d’étudiants que le «défi de l’Afrique consistait à faire son entrée dans l’Histoire». Ce qui ne veut rien dire d’autre que les pays d’Afrique sont eux-mêmes responsables de leur misère. En outre il reproche aux Africains: «Voulez-vous que la faim ne sévisse plus sur le sol africain? Voulez-vous qu’aucun enfant ne meure de faim sur le sol africain? Eh bien, œuvrez en vue d’une agriculture autosuffisante!»
Quiconque connaît un peu la manière de l’UE de saper, à l’aide de subventions à l’exportation par exemple, le faible marché africain ne peut retrouver, dans de telles paroles, que l’intention de se moquer des populations africaines, attitude à laquelle les pays exploités par la France et d’autres Etats colonisateurs se sont heurtés depuis des siècles.
L’auteur critique également sans équi­voque la politique israélienne et l’attitude de l’Occident face aux violations des droits de l’homme commises par Israël. Il montre, en se référant à différents votes au sein du Conseil des droits de l’homme concernant les violations des droits de l’homme commises par Israël et également par d’autres Etats, que les pays industrialisés pratiquent le deux poids deux mesures. Par principe, ils s’opposent à toute résolution visant à condamner les transgressions israéliennes, justifiant leur attitude par la présumée partialité des résolutions. Mais quand il s’agit d’une violation des droits de l’homme en Asie ou en Afrique, la condamnation unanime de l’Occident est garantie.

La famine au Biafra

Ziegler montre avec l’exemple de deux Etats, le Nigéria et la Bolivie, comment malgré leur indépendance formelle les gouvernements des deux pays continuent à dépendre partiellement de l’Occident à cause de la corruption et des engrenages économiques et financiers. Ce sont surtout les faits par rapport à la Guerre du Biafra des années 60 du siècle passé qui font voir au lecteur la véritable toile de fond de cette catastrophe alimentaire et humanitaire connue dans le monde entier. Après avoir lu le livre de Ziegler, personne ne s’étonnera que la responsabilité se trouve du côté des Etats occidentaux et de leurs multinationales pétrolières. Voilà une guerre qui a duré trente mois, laissant derrière elle près de 2 millions de morts ainsi qu’un désastre devenu entre-temps le synonyme de la faim africaine.
Bien qu’il s’agisse d’analyses historiques et politiques, Ziegler ne perd jamais de vue les souffrances individuelles et c’est une qualité indéniable. L’exemple de cette fillette de cinq ans, contrainte par la violence la plus brutale à laver la vaisselle dans un restaurant, du matin au soir, illustre la situation de détresse dans laquelle se trouvent les êtres humains qui vivent les effets des crises, et exige en même temps notre compassion liée à l’appel urgent d’agir. Jean Ziegler termine ce chapitre-là par l’affirmation bouleversante: «De tels enfants esclaves, il y en a des centaines de milliers au Nigéria.»

La résistance s’active

Un nouvel espoir, pour la Bolivie, est apparu lors de l’élection à la présidence de l’indigène Evo Morales. On y assiste à la libération progressive du joug de l’oppression. Dans ce chapitre, Ziegler évoque l’histoire des Conquistadors qui, depuis le XVIe siècle, furent responsables de la misère des indigènes d’Amérique latine. Là, comme partout dans le monde, les traces des Blancs sont restées visibles. Le fait que la Bolivie ait donné asile à des douzaines d’anciens officiers allemand de la SS et à d’autres cadres fascistes sans poursuite judiciaire et sans intervention des Etats-Unis bien informés, ouvre un autre chapitre sombre de ces Etats corrompus rendus dépendants de l’Occident.
Mais ce n’est pas seulement la Bolivie qui fut victime de cette oppression et de cette exploitation brutale, mais l’Amérique latine toute entière. Dans le chapitre intitulé «La fierté retrouvée» l’auteur décrit à quel point les gens avaient repris espoir suite à l’élection d’Evo Morales, et ceci non seulement en Bolivie. Sa réélection avec plus de 60% en est la meilleure confirmation. Selon Ziegler, Morales poursuit «une stratégie triple: la récupération des mines, des gisements de pétrole et des plantations; la lutte contre la misère sociale; le démantèlement de l’Etat colonial et la mise en place d’un Etat social». L’histoire récente nous a appris que ce programme constitue un véritable champ miné pour Morales. Dans ce contexte, Ziegler rappelle le cas du Premier ministre iranien, Mossadegh, dont le choix de ramener les champs pétroliers en propriété de l’Etat lui a coûté la vie. Ce n’est que dernièrement que Barack Obama a confirmé publiquement que ceux qui tiraient les ficelles à l’arrière-plan de ce complot de 1953, ne furent rien d’autre que les USA et leurs services secrets préparant ainsi la prise du pouvoir du Chah Réza Pahlévi, confirmation qui n’étonna guère les historiens qui le savaient depuis longtemps.
Quiconque désire mieux connaître les origines de la «haine de l’Occident» ne se privera pas de la lecture de cet ouvrage de Jean Ziegler. Ce livre où l’analyse politique précise et sans équivoque va de pair avec la compassion envers l’être humain, ne répand pas de pessimisme malgré toute critique de l’Occident. Il s’agit tout au contraire, pour nous tous, d’un appel clair et net à nous rendre compte des origines des problèmes actuels et de contribuer à y remédier.    •